Nicolas Gilsoul : « Nous avions perdu le contact avec les animaux dans nos villes »
L’architecte-paysagiste Nicolas Gilsoul a sorti Bêtes de villes aux éditions Fayard en novembre 2019. Un écrit qui vient à point nommé en cette période de confinement où l’on entend et voit davantage d’animaux dans nos villes. Mais ces derniers étaient-ils toujours là ou bien reprennent-ils un territoire laissé par l’humain ? Éléments de réponses avec celui qui a été parrain de la première semaine de la Fête du livre à la maison, un événement stéphanois.
Architecte ? Paysagiste ? Écrivain ? Quel est votre métier finalement ?
Nicolas Gilsoul : On me pose souvent cette question. Il y a une phrase de Fellini que j’aime beaucoup et qui disait les étiquettes sont juste bonnes à coller sur les valises. Je trouve ça assez juste. Donc on peut dire un petit peu tout cela à la fois…
Pendant le confinement, est-ce que les animaux sont de retour dans nos villes ou bien tout simplement, ils ont toujours été là mais nous ne les voyions plus ?
Oui, nous avions perdu le contact avec eux, mais ils étaient bien là. Dans le livre Bêtes de villes que j’ai sorti quelques mois avant cette crise et donc avant le fait qu’on les voit à nouveau, j’ai recensé 300 espèces. Mais il y en a beaucoup plus que ce nombre. Les renards, les coyotes de Chicago, le léopard à Bombay, les 30 000 sangliers dans le cœur de Berlin étaient déjà là. Nous avions simplement perdu la manière de les regarder et de les écouter. C’est la première chose. Ensuite, comme nous nous faisons discrets ces derniers temps, ils s’aventurent plus près de nous.
En épigraphe de Bêtes de villes, vous citez Gilles Clément qui explique que les animaux sont des opportunistes biologiques. La situation actuelle confirme cette proposition…
Oui, en fait les animaux que l’on voit dans nos villes sont les plus opportunistes. Le renard ou le coyote vont adapter leur comportement, leur régime alimentaire, leurs horaires de sortie… Ils sont très souples.
Vous évoquiez les sangliers de Berlin ou les coyotes de Chicago… Votre livre regorge d’exemples insolites d’animaux dans les villes du monde entier. Comment avez-vous fait pour trouver ces espèces et choisir d’en parler ?
Juste avant ce livre-là, j’en avais écrit un autre avec Erik Orsenna qui s’appelle Désir de villes. Pour cet ouvrage, c’était 200 villes que j’avais visitées, qui y étaient répertoriées. J’avais essayé de comprendre comment les villes s’adaptaient aux changements climatiques, aux crises sociales ou économiques… Quand j’ai visité ces cités, j’ai vu de nombreuses bestioles y vivre. Les bêtes m’ont toujours intrigué et le côté naturel m’a toujours fasciné. C’est d’ailleurs aussi pour cette raison que je suis devenu architecte. De ces visites, j’avais noté dans un coin les espèces que je croisais dans ces villes. Et l’été, les médias ont souvent moins de sujets à traiter, donc on a des articles extraordinaires sur la présence d’un sanglier dans le centre-ville de Berlin, un kangourou dans les Yvelines… J’épinglais tous ces articles. À un moment donné, je me suis décidé à rassembler tout ça. Mais il y en a plein d’autres qui prendront forme dans mon prochain livre, d’une autre manière.
À Saint-Étienne, avez-vous une idée des espèces que l’on peut croiser ?
Je ne suis pas encore venu à Saint-Étienne. Je suis ravi de pouvoir venir à l’occasion de la Fête du livre 2020. Je mènerai l’enquête et je vous promets que l’on en reparlera !
Pensez-vous que cette crise peut faire évoluer l’architecture et les constructions mais également nos modes de vies par rapport à la nature et aux animaux ?
C’est à espérer que cette crise serve à quelque chose ! Il y a plusieurs lectures dans votre question. Concernant l’évolution de nos comportements, je pense que c’est la première chose à faire. Nous nous sommes rendus compte que nous sommes arrivés à une crise mondiale provenant de nos comportements. La déforestation emmenant certaines espèces à se côtoyer. Les marchés d’animaux sauvages forçant des cohabitations dans des conditions de stress extrême d’un pangolin qui vit au sol et de chauve-souris qui vivent dans la canopée et qui n’auraient jamais dû se croiser… Du coup, virus, mutation puis mondialisation qui entraîne sa propagation. On s’est rendu compte de la limite de ce système. Il ne sert à rien de blâmer les mangeurs de chauve-souris ou de pangolin car ça commence par la déforestation. Et cette dernière débute dans nos assiettes de petit-déjeuner quand nous tartinons de la pâte chocolatée à l’huile de palme.
Ensuite, la question de la construction de la ville et de l’architecture. C’est également intéressant car nous avons une action politique et de pédagogie à mener. Je suis prof depuis 20 ans dans des écoles d’architecture. Je me rends compte que la jeune génération est beaucoup plus sensible à ces questions-là. Les architectes de ma génération ou plus âgés, « verdissent » un peu leurs travaux car il faut être dans le coup mais on se rend compte que ce n’est pas inscrit dans l’ADN de la conception d’un projet. Cette dernière peut passer par exemple par des choses toutes simples comme la pleine terre. Dans une ville, mieux vaut avoir préserver un espace de pleine terre qui va absorber la pluie, l’humidité, restituer de la fraîcheur lors d’une canicule, permettre aux arbres de pousser… plutôt que de garnir des jardinières sur un bâtiment qui nécessitent un contrôle plus précis et donc davantage d’argent. Le combat de la pleine terre vient au niveau du maire, du promoteur et des architectes qui ont un rôle de conseil. Il est important intelligemment en prenant en compte la vie des animaux.
Bêtes de villes de Nicolas Gilsoul, aux éditions Fayard