Olivier Borneuf : « Le Beaujolais Nouveau est le vin de partage par excellence »
Alors que sortent aujourd’hui les bouteilles de Beaujolais Nouveau sur toutes les tables de France et du monde, nous avons voulu en savoir plus sur ce vin primeur. Pour cela, nous avons voulu demander à un spécialiste du Beaujolais, à savoir le critique de vin Olivier Borneuf, critique de vin, également fondateur des guides La Tulipe Rouge.
Tout d’abord, qu’est-ce qu’on appelle Beaujolais Nouveau ?
Olivier Borneuf : C’est un projet de type de vin né en 1951, et qui a eu, à ses débuts, pour vocation de trouver de nouveaux marchés sous une nouvelle forme de consommation qui est le vin primeur. Ce dernier est un vin qui doit être fait dans un temps très court, avec un profil qui privilégie le plaisir immédiat. C’est-à-dire être sur le fruit, avec peu de tanins. C’est un vin qui se veut être dans le partage, la simplicité et la convivialité. C’est une opération qui a été très réussie. Et quand on réussit quelque chose, on peut avoir tendance à être débordé et à en vouloir toujours plus. Forcément, le Beaujolais Nouveau s’est retrouvé à produire de grandes quantités de vin, parfois sans être de très bonne qualité. Ce qui n’enlève en rien à la démarche initiale et à la qualité du vin lorsqu’elle est là. Il faut bien se dire que parmi les meilleurs Beaujolais Nouveau, ce sont vraiment des vins extraordinaires. Qu’on soit amateur averti ou simple Béotien, il reste un vin de plaisir, un vin tendre, qui regorge de fruit. On trouve désormais des vins primeurs dans d’autres régions, dans le Sud-Ouest par exemple, mais le gamay associé au Beaujolais donne le vin primeur parfait. Pour moi, c’est vraiment le vin de partage par excellence. Et il tombe à point dans les circonstances actuelles.
On peut débattre des heures sur les terroirs, les crus, la qualité des vins… à la fin ce qui compte, c’est une bonne table, de bons amis et un bon verre.
Le Beaujolais Nouveau est-il exclusivement élaboré à partir du cépage gamay ou existe-t-il des assemblages ?
Le rouge en Beaujolais, c’est 100 % gamay. Ce cépage est vraiment très adapté à ce profil de vin. Très souvent, on dit que le gamay correspond à la macération carbonique ou semi-carbonique si on veut être précis. En réalité, la semi-carbonique est née dans le Roussillon, au profit d’un autre cépage qui est le carignan. Cela permet de sortir des vins de fruits sans aller chercher des tanins. Donc ce n’est pas une technique endémique du Beaujolais mais qui a été adaptée sur place.
Il est à noter également qu’au-delà du côté vin de fruit, il y a un aspect diversité qui est intéressant. Depuis quelques années, les Beaujolais Nouveau cherchent à se distinguer entre eux, tout en gardant ce côté souple et fruité. Ils arrivent à amener une petite signature dans les vins et cela signifie que chaque nouvelle année est une découverte pour celui qui déguste. Même si la recette peut paraître industrielle, et elle a été critiquée pour cela, les vignerons cherchent à créer un Beaujolais Nouveau « à leur sauce » et ça, c’est plutôt génial.
Il ne faut cependant pas réduire le Beaujolais et son appellation au seul Beaujolais Nouveau ?
Le Beaujolais Nouveau ne représente qu’un type de vin de l’appellation Beaujolais. Si parfois, on résume le Beaujolais au Beaujolais Nouveau, je pense que c’est parce que c’est, comme pour beaucoup de choses, la quantité qui prime… Quand on voit débarquer sur le marché le troisième jeudi du mois de novembre, des dizaines de millions de bouteilles qui se retrouvent avec le même intitulé de « Beaujolais Nouveau », tu finis par croire que la région ne produit que cela. Seulement, tout le reste de l’année, il y a tout le reste du Beaujolais. C’est à la fois, le Beaujolais dans sa version classique, sur le fruit mais pas avec un style aussi éphémère que le vin primeur, c’est le Beaujolais-Villages et les 10 crus du Beaujolais à l’instar de Morgon, Fleurie ou Moulin-à-Vent. Ces vins-là, cela n’a plus rien à voir. Même si c’est du gamay, ce sont des vins qui affichent une très grande diversité de styles avec des qualités parfois remarquables… Il ne faut pas oublier également que les vins du Beaujolais figuraient parmi les plus chers de France pendant l’entre-deux-guerres. Il y avait d’ailleurs un classement qui établissait une hiérarchie de certaines parcelles ou lieux-dits. Certains d’entre eux étaient classés crus de première classe à l’instar des grands crus bourguignons. Le Beaujolais a un passé glorieux. Seulement, grâce et à cause de ce Beaujolais Nouveau, on a pensé que son histoire ne débutait que dans les années 50, alors que le Beaujolais avaient déjà démontré auparavant qu’il avait un énorme potentiel et un vrai savoir-faire. Aujourd’hui, on le retrouve et on peut dire que les grands vins du Beaujolais sont de retour !
Les vins du Beaujolais figuraient parmi les plus chers de France pendant l’entre-deux guerres.
L’appellation Beaujolais fait-elle partie des plus importantes en terme de superficie et de production de France ?
Non, elle est plutôt de taille modeste. Elle représente 14 500 hectares cultivés dans les 12 AOC du Beaujolais. A titre de comparaison, la Champagne correspond à peu près à 34 000 hectares et le Bordelais à environ 115 000 hectares. C’est assez intéressant car avec une aussi petite surface, le Beaujolais fait tout de même parler de lui, avec ses 2 000 caves, 9 caves coopératives et 200 négociants… Ce qui est assez peu. Mais c’est un vin qui est bien présent à l’export avec, de mémoire, deux tiers de ses ventes qui se font par ce biais.
Cet engouement international pour le Beaujolais Nouveau est dû à quoi ou à qui ?
Je pense qu’il faut parler de Georges Duboeuf, qui a fait beaucoup pour l’export du Beaujolais aux quatre coins de la planète. La démarche entrepreneuriale des négociants de l’époque d’imposer une célébration à de nombreux pays consommateurs de vin, n’est pas anodine. Mais je reviens aussi à cette notion de partage et de convivialité, qui reste au cœur du vin. On peut débattre des heures sur les terroirs, les crus, la qualité des vins… à la fin ce qui compte, c’est une bonne table, de bons amis et un bon verre. De ce point de vue, le Beaujolais Nouveau a un pouvoir symbolique énorme. On le voit bien le jour du Beaujolais Nouveau quand les jeunes et les vieux, possédant souvent des visions du monde très différentes, se retrouvent pour boire un verre. Il y a peu de produits dans le monde qui parviennent ce tour de force.
Parmi les guides menant vers l’appellation Beaujolais, il y a celui que vous avez édité avec La Tulipe Rouge. Qui se cache derrière ?
La Tulipe Rouge est un projet de cinq critiques de vins, à la fois honnêtes et bienveillantes, en pensant à la fois aux consommateurs et aux viticulteurs. Nous avons fait huit guides, un par région viticole française, dédiés aux vins à moins de 20 euros. Même si on aime tous boire de temps à autre une bouteille qui coûte davantage, la majeure partie du temps le prix moyen chez un caviste se situe entre 10 et 15 euros la bouteille. Nous avons voulu nous réintéresser au consommateur de vins et lui proposer un retour d’expérience sur ces vins en tant que « guides ». Nous n’indiquons pas aux gens ce qu’ils doivent boire ou pas mais simplement que les vins que nous avons sélectionnés nous semblent intéressants par rapport à tout ce que nous avons dégusté par ailleurs. Dans notre modèle, nous avons aussi pensé aux vignerons dans le sens où nous mettons en avant les bouteilles qui les font vivre. Car c’est sur les bouteilles avec du volume qu’ils gagnent leur vie. Nous avons suivi un modèle qui s’affranchit, pour nous critiques, de la publicité, de salons ou autres médailles, pour garder une indépendance. Nous faisons cependant un travail de compte-rendu, que le vin soit retenu ou pas dans le guide, que nous fournissons aux vignerons contre une participation de 60 euros hors taxe. Ce modèle, qui se veut éthique, a beaucoup séduit pour cette première année et nous permet d’avoir en bout de chaîne un guide bilingue. Cela nous permet d’envoyer ce dernier gratuitement au format PDF à 45 000 professionnels dans le monde entier. Il existe aussi une version papier qui est vendue en presse et librairie au prix symbolique de 20 euros.
Les guides La Tulipe Rouge sont à retrouver sur cette page
La petite sélection (non exhaustive) Beaujolais Nouveau d’Olivier :
La petite sélection (également non exhaustive) Beaujolais d’Olivier :
- Domaine Les Capréoles
- Domaine Louis-Claude Desvignes
- Le Château Thivin
- Domaine Paul Janin
- Château du Moulin-à-Vent
- Domaine de l’Iris
- Domaine Clos des Garants
- Domaine Jean-Marc Burgaud
Chiffres repères du Beaujolais Nouveau, selon les données fournies par Inter Beaujolais :
- En 2020, le Beaujolais Nouveau représente à lui seul 135 000 hectolitres soit 18 millions de bouteilles et 21,5 % de la production totale de l’appellation Beaujolais.
- Les 78,5 % restants sont constitués par les Beaujolais et Beaujolais Villages de garde ainsi que les 10 crus du Beaujolais.
- 96 % des Beaujolais Nouveaux sont rouges et 4 % sont rosés
- Plus de 60 000 hectolitres (8 millions de bouteilles) ont été exportés dans plus de 100 pays en 2020. Le Japon étant le plus gros importateur avec 29 000 hectolitres à lui seul, devant les USA avec 11 200 hectolitres et le Canada avec 5 900 hectolitres.