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jeudi 25 avril 2024
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Pierre Soulages : un chercheur stéphanois tente de résoudre le mystère des peintures qui suintent

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Certaines œuvres de l’artiste Pierre Soulages, décédé en octobre 2022, subissent un étrange phénomène. Si à certains endroits, la peinture se craquelle avec le temps, d’autres emplacements se sont mis à suinter. Des scientifiques tentent de comprendre les causes de ces altérations, dont le stéphanois Mathieu Hébert, enseignant chercheur à l’Institut d’optique de l’université Jean Monnet.

Le scanner de brillance à l’œuvre. © Le Monde/CNRS.

Que se passe-t-il exactement avec les œuvres de Pierre Soulages ?

Ce qu’il se passe, ce sont des réactions physico-chimiques très complexes. J’interviens en collaboration avec la conservatrice Pauline Hélou de la Grandière, spécialiste de Soulages, pour tester une nouvelle forme d’imagerie. Il s’agit d’un outil d’aide à l’analyse des tableaux qui vise à rendre service aux conservateurs. Il y a des zones mates, qui peuvent devenir brillantes, et inversement. Nous avons tout intérêt à enregistrer en chaque point quel est le niveau de brillance. Nous sommes en train de développer le premier dispositif qui nous permet d’avoir une cartographie de brillance. Curieusement, le phénomène qui se produit chez Pierre Soulages actuellement ne touche que des toiles produites sur une période ciblée. Ce n’est pas la matière en tant que telle, mais telle qu’elle évolue avec l’environnement qui est en cause.

Comment l’Institut d’optique stéphanois s’est-il retrouvé à travailler sur ce sujet ?

J’enseigne à l’Institut d’optique de Saint-Etienne et mes spécialités de recherche portent sur l’apparence des matériaux. Il s’agit de comprendre comment notre cerveau perçoit la couleur, la brillance, la translucidité, et d’essayer de qualifier cela. Les domaines dans lesquels ces recherches peuvent s’avérer très utiles sont très nombreux, notamment dans l’industrie ou encore la santé. On pourra savoir si en un an, la brillance d’un produit évolue. Je travaille régulièrement sur ce sujet avec Lionel Simonot, enseignant chercheur à l’Université de Poitiers, qui encadre la thèse de Pauline Hélou de la Grandière avec Mathieu Thoury, ingénieur de recherche Ipanema (Paris-Saclay, CNRS, MC, UVSQ, MNHN). Il y a trois ans, avec des élèves, nous avons conçu ce scanner de brillant, car il n’en existait pas. Et sur des œuvres comme celles de Pierre Soulages, ce n’est pas la couleur qui permet de lire son évolution. Cet outil permet de scanner la brillance et de l’enregistrer en chaque point. Nous avons réalisé un premier essai au MAMC au mois de janvier 2022, pour preuve de concept, puis cette année aux Abattoirs à Toulouse.

« Il semble que plusieurs artistes soient concernés par ce phénomène »

Mathieu Hébert, enseignant chercheur à l’Institut d’optique de l’université Jean Monnet.

Comment est venue l’idée de ce scanner ?

Plusieurs secteurs de l’industrie sont venus nous consulter au sujet de la brillance. Ce type de système peut servir pour étudier d’autres surfaces que la peinture, comme les textiles, les cuirs, etc. C’est ce qui nous a amenés à réfléchir à des scanners grande échelle. Les sciences des couleurs existent depuis 200 ans, étudier le brillant est quelque chose de beaucoup plus récent. Avant, il n’y avait aucune demande sur ces sujets, donc pas de recherche. Nous partions presque d’une feuille blanche. Ces vingt dernières années, les procédés se sont digitalisés. C’est quelque chose de stratégique pour les entreprises de passer au numérique pour contrôler la qualité. Une chose qui est importante pour le restaurateur quand il inspecte une œuvre, c’est de pouvoir se faire une idée sur l’évolution du tableau. Jusqu’ici c’est quelque chose que l’on fait à l’œil nu, et avec le scanner, l’information que nous avons est plus fiable.

Quelles sont les pistes envisagées ?

Ce sont les chimistes et les restaurateurs qui pourront peut-être le dire. Il semble que plusieurs artistes soient concernés par ce phénomène. Tous, qu’ils soient parisiens ou même étrangers, étaient à Paris durant cette même période. Concernant Soulages, cela ne concerne donc que deux ou trois de ses tableaux. Manifestement, cela porte sur l’environnement de ces toiles, à Paris, sur cette période. Notre rôle à nous est d’archiver un tableau, de montrer qu’à cet instant, il était comme ça, et de voir quelles seront les évolutions.

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