« Refaire de Vichy la reine des villes d’eaux »
Alors que dans la Loire, le site Le Corbusier de Firminy est inscrit depuis 2016 sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco, la ville de Vichy, située dans le département voisin de l’Allier, vient d’entrer dans ce cercle prisé des sites classés. Elle l’a été en compagnie de 10 autres villes d’eaux européennes avec qui elle concourait à ce titre. Une grande satisfaction pour son maire, Frédéric Aguilera, qui rappelle également que c’est un moyen de réhabiliter l’image de Vichy aux yeux des Français.
C’est une année historique pour votre ville après la cession en mars dernier à Vichy du domaine thermal qui était détenu par l’Etat depuis 1523 et maintenant cette inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco ?
Frédéric Aguilera : Je suis évidemment extrêmement heureux. Cela correspond à toute notre stratégie qui est de refaire de Vichy la reine des villes d’eaux, une destination incontournable sur le plan touristique et thermal à l’échelle européenne. Que ce soit la cession du domaine thermal, l’inscription Unesco ou d’autres actions que nous menons sont le socle de cette stratégie.
Il y a également un musée que vous voulez créer à propos des 2 000 ans d’histoire de votre ville ?
Effectivement, nous avons dans notre volonté de valoriser notre patrimoine, l’idée de créer un musée sur nos 2 000 ans d’histoire. Une histoire riche et passionnante.
Combien vous a-t-il fallu de temps pour obtenir cette inscription à l’Unesco ?
Une petite dizaine d’années. L’idée a commencé à germer en 2012/2013 et nous avons déposé le dossier en 2019. Ce qui est globalement assez rapide pour un dossier afin de figurer sur la liste du patrimoine mondial. Je sais que le phare de Cordouan, qui a été classé en même temps que nous, c’est un travail qui a duré 20 ans.
Vous pensez que ce délai assez court est aussi dû au fait que vous ayez candidaté aux côtés de 10 autres villes thermales européennes* ?
C’est d’abord parce que nous sommes exceptionnels ! (rires) Mais au-delà, le côté transnational de notre candidature a été plébiscité par l’Unesco qui demande vraiment à ce qu’il y ait un côté travail en commun de plusieurs sites de divers pays mais aussi une série de biens. C’est-à-dire qu’aujourd’hui l’Unesco considère par exemple qu’il aurait été plus intéressant d’inscrire les églises romanes en série au lieu de les inscrire chacune de leur côté. Concernant notre candidature, cela a été un vrai plus. Mais il faut bien noter qu’il est difficile de monter ce type de candidature transnationale et en série. Par exemple, lors de la 44e session pendant laquelle nous avons été inscrits, notre dossier était le seul qui regroupait différents sites à travers le monde.
Redire au monde que Vichy c’est une histoire longue de 2 000 ans, autour du thermalisme. Vichy n’est pas la période d’il y a 80 ans dans laquelle certains veulent nous enfermer.
Qu’est ce que cette inscription va changer pour Vichy ? L’Unesco indique que l’inscription peut amener 30 % de touristes en plus, est-ce dans vos espérances ?
Oui, nous avons une espérance économique et de dynamisme mais aussi de dézoomer et de redire au monde que Vichy c’est une histoire longue de 2 000 ans, autour du thermalisme. Vichy n’est pas la période d’il y a 80 ans dans laquelle certains veulent nous enfermer. Cette labellisation va nous permettre de montrer que Vichy est autre chose que ce mot-valise qui est utilisé et qui nous dessert depuis 80 ans.
Est-ce que votre espoir est également de voir un jour un Président de la République se rendre à Vichy et faire publiquement la distinction entre Vichyssois et Vichystes ?
Le problème ne se situe pas là. Il est beaucoup plus complexe pour les Français davantage que pour les Vichyssois. Quand on reprend 80 ans d’histoire en résumé sous l’angle d’un Vichyssois, dès le départ du gouvernement de l’Etat français de Vichy, en novembre 1944, le Conseil municipal dit « arrêtez de parler de régime de Vichy, nous c’est autre chose que cette capitale scélérate d’un gouvernement scélérat ». Par la suite, pour des raisons de réconciliation nationale, il y a tout un processus qui s’est installé en France afin de dissocier le régime de Vichy de l’Etat français avec une loi proposée par de Gaulle stipulant que les actes de ce gouvernement n’était pas reconnus, etc. Nous avons vécu pendant pas loin de 40 ans sous ce dogme de « la France était à Londres et Vichy c’était tout sauf la France ».
A partir des années 80, entre autres sous l’impulsion des époux Klarsfeld et de Simone Veil, il a été dit qu’on ne peut plus considérer que la France n’est pas responsable de ce qui s’est passé à cette époque. A Vichy, il y avait tout un Etat français et une administration qui ont tous deux collaboré. Dans les années qui suivirent, on a cherché à ce que les présidents se positionnent sur ce sujet. Il a fallu attendre le discours du Vel d’Hiv de Jacques Chirac en 1995 pour entendre que la France a collaboré. Les présidents ont continué par la suite dans cette direction. Sur le plan administratif, pour que le Conseil d’état admette que les actes du gouvernement français de cette époque-là ont des conséquences jusqu’à aujourd’hui, il a fallu attendre 2009…
Ce que je veux dire ici, c’est que le problème en utilisant cette expression « régime de Vichy », au-delà de salir notre image, c’est qu’elle entretient une petite musique qui dit que c’était Vichy et non la France.
Ce que je veux dire ici, c’est que le problème en utilisant cette expression « régime de Vichy », au-delà de salir notre image, c’est qu’elle entretient une petite musique qui dit que c’était Vichy et non la France. Cela va contre tout ce processus de reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français. C’est contre cela que je me bats. Et il est indispensable pour moi, qu’à un moment ou un autre, un président de la République française accepte de venir à Vichy, dans le cadre d’un discours mémoriel. Un discours dans le même esprit que celui du Vel d’Hiv de Jacques Chirac, c’est-à-dire pour continuer d’avancer sur ce processus de reconnaissance.
Dans ce processus de réhabilitation de l’image de Vichy, je pense qu’un président viendra. Pour le moment, Emmanuel Macron n’est pas prêt. Mais si ce n’est pas lui, ce sera peut-être sa ou son successeur.
Est-ce que cette inscription Unesco peut être un levier supplémentaire pour convaincre le président de venir ?
Probablement. Je l’espère en tout cas ! Depuis notre inscription, je vois que dans 90% des reportages consacrés à notre inscription, on reparle de l’ensemble de notre histoire et non plus simplement de 40/44. Depuis une quinzaine d’années, lorsque les journalistes se rendaient à Vichy, c’était souvent pour parler de la seconde Guerre mondiale. Depuis samedi dernier, ce n’est plus le cas. On est en train de dézoomer. On va se rappeler de l’histoire et de la raison d’être de Vichy et non pas de cette période sombre. Dans ce processus de réhabilitation de l’image de Vichy, je pense qu’un président viendra. Pour le moment, Emmanuel Macron n’est pas prêt. Mais si ce n’est pas lui, ce sera peut-être sa ou son successeur.
Pour terminer, auriez-vous un conseil de visite pour les Ligériens qui ne seraient jamais venus à Vichy ?
Je vais vous dire un spectacle à l’Opéra pour débuter et le lendemain aller faire des soins au spa.
*Vichy a candidaté aux côtés de : Bad Ems, Baden-Baden et Bad Kissingen (Allemagne), Bath (Royaume-Uni), Baden bei Wien (Autriche), Spa (Belgique), Karlovy Vary, Mariánské Lázně et Františkovy Lázně (République Tchèque) et Montecatini Terme (Italie).
Quid de l’impact Unesco pour le site Le Corbusier de Firminy
Du côté de la Loire, le site Le Corbusier de Firminy, comprenant la maison de la culture, l’église Saint-Pierre, le stade et la piscine, a eu l’honneur d’être inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco en juillet 2016. Un privilège qui s’est accompagné de plusieurs impacts. Tout d’abord, une augmentation du nombre de visiteurs. « Pour une année pleine, comme par exemple en 2019, nous avons accueilli sur le site 20 000 visiteurs environ, expose Robert Karulak, vice-président de Saint-Étienne Métropole en charge du patrimoine et du tourisme. Certes, c’était une année de Biennale du design qui génère souvent une augmentation des visites mais avant l’inscription à l’Unesco le site Le Corbusier attirait entre 16 000 et 17 000 visiteurs. » Des visiteurs asiatiques notamment, Japonais ou Coréens, précise l’élu.
Des visiteurs étrangers et surtout la puissance d’un réseau
Pour Robert Karulak, l’inscription à l’Unesco, au-delà de la croissance du nombre de touristes, a eu un effet d’augmentation de la curiosité pour Firminy et reste un véritable atout pour le territoire métropolitain. « Nous avons eu beaucoup de communication autour de ce classement Unesco, avec un effet important sur la notoriété du site, détaille-t-il. Le fait d’intégrer le réseau Unesco permet d’attirer des personnes sur des circuits régionaux ou nationaux allant entre les sites inscrits. De plus, nous avons la chance à Firminy d’avoir une œuvre du 20e siècle, innovante, qui a été retenue. Cela engendre une originalité et une singularité forte qui nous valorisent encore davantage. »
Si les exigences de l’Unesco sont importantes, notamment envers l’entretien du patrimoine classé, l’élu rappelle que l’ensemble du territoire de Saint-Etienne Métropole profite du fait que Firminy ait été retenue par l’Unesco. « C’est enfin une porte d’entrée sur notre territoire pour les visiteurs qui vont également se rendre au Musée d’art moderne et contemporain ou à la Cité du design de Saint-Etienne. Sachant, en plus que Saint-Etienne fait aussi partie d’un réseau Unesco, celui des villes créatives design. »