Saint-Étienne
mercredi 9 octobre 2024
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« Trouver un juste milieu entre être le plus accessible possible et élever le débat »

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La 12e édition de la Biennale internationale du design de Saint-Etienne va ouvrir ses portes le 6 avril prochain. Avec pour thème « Bifurcations », l’événement stéphanois ayant accueilli 235 000 visiteurs en 2019, dont 10 000 professionnels, va se tenir pour la première fois pendant quatre mois. Rencontre avec Thierry Mandon, directeur de la Cité du design, et Marc Chassaubéné, président de la Cité du design et vice-président à Saint-Etienne Métropole en charge du design.

La Cité du design de Saint-Etienne © Nicolas Bros / If Saint-Etienne

Combien faut-il de temps pour monter les expositions de la Biennale à la Cité du design ?

Marc Chassaubéné : « Si on ne parle que du site de la Biennale, il y a plus d’un mois de montage des expositions. En moyenne, selon les années, ce sont 150 personnes qui travaillent pour ce montage. Elles n’interviennent pas toutes en même temps, bien entendu. Tout ceci, sans compter le personnel de la Cité qui est là en permanence. »

Il y a eu des incompréhensions, une certaine distance qui s’est installée entre les différentes Biennales et le public. Cette biennale est annoncée comme celle de la réconciliation, du ré-ancrage sur son territoire. Comment cela va se traduire ?

Thierry Mandon : « Nous avons fait trois types de choses devant permettre ce ré-ancrage tout en conservant sa qualité. Tout d’abord, nous avons sept expos principales accessibles très librement sans être un grand spécialiste du design. Je pense notamment à Dépliages sur les objets et vêtements modernes et technologiques ou encore à At home qui évoque l’intérieur de la maison et les réflexions sur ce sujet… Il y a d’autres expositions avec un contenu design plus classique, comme Le Monde, sinon rien sur l’éducation ou A l’intérieur de la production qui est davantage orientée vers les spécialistes. Ensuite, nous avons ouvert l’événement à tous les publics en terme d’âges. Pendant la Biennale, il y aura des accueils plus familiaux comme à la Cabane du design ou au skate-park design. Enfin, il y a tout un programme d’animations gratuites pendant la Biennale avec des concerts, des spectacles. En tout, ce sont 150 évènements proposés directement sur le site de la Cité. Cela doit permettre d’associer très largement les habitants, associations et autres acteurs du territoire. »

M. C. : « Il n’y a rien qui me choque dans ce que l’on peut dire de l’image du design et en particulier de la Cité du design ou de la Biennale. Il y a eu une fracture qui s’est constituée depuis la création de la Cité du design, entre le public et le design, pour de mauvaises raisons. Parfois par snobisme, parfois pour des raisons politiques. C’est évidemment tout ce contre quoi nous luttons avec le projet de la Cité du design et également avec celui de Cité 2025. Pour le projet de la Cité du design en général, nous avons demandé à Thierry Mandon de travailler sur des expositions très grand public, parlant à tout le monde. Cela afin de montrer que le design est accessible. Il y a de ce fait eu un cycle d’expositions autour du jeu vidéo, des flops dans le design avec beaucoup d’auto-dérision ou encore autour de la conquête spatiale.
Parallèlement, le projet de la cabane du design permet de montrer que le design est l’amélioration du quotidien dans toutes ses dimensions et que chacun peut s’emparer de cette capacité à réinterroger son environnement, les organisations sociales, les objets, les sons, etc. C’est un lieu d’abord destiné aux enfants et aux familles, mais bien évidemment ouvert à tous. Et puis, je citerais aussi la première étape du projet Cité 2025 avec l’ouverture de la Galerie nationale du design où tout le monde pourra découvrir l’histoire du design et son évolution dans un seul et même lieu. Le visiteur pourra voir là-bas que le design n’est absolument pas hors-sol mais avec des créateurs souvent très pragmatiques. Le design n’est pas une nébuleuse indéfinie.
Tous ces projets sont là pour rendre le design le plus accessible possible. Cela va de pair avec la décision d’allonger la durée de la Biennale pour laisser davantage de possibilité de venir, pourquoi pas en faisant un arrêt sur la route des vacances. Après, il y a la question de la recherche et de la prospective, qui est souvent le point créant cet a priori sur le design. Il nous faut également nous adresser aux chercheurs, proposer aux designers des prospectives de pointe. Pour cela, nous avons un discours parfois plus abstrait et moins accessible pour le grand public. Cette année, il y aura aussi bien des expositions très concrètes, tout comme des réflexions plus immatérielles, encore une fois prospectives. Il faut trouver un juste milieu entre être le plus accessible possible et élever le débat. »

Quelle est votre définition du design ?

T. M. : « Pour moi, le design correspond à la fabrication d’objets ou de services étant à la fois utiles, durables et esthétiques. Et je tiens à cet ordre et à l’ensemble de ces adjectifs. »

M. C. : « Je dirais que c’est améliorer le quotidien dans toutes ses dimensions, qu’elles soient matérielles, sonores, organisationnelles, en observant les gens. C’est l’expérimentation par l’usage et l’amélioration permanente de notre quotidien. »

Le fait d’augmenter à quatre mois la durée de la Biennale n’a pas fait changer son budget et, comme vous l’avez dit, doit permettre d’attirer d’autres publics, de passage à Saint-Etienne. Mais quelles sont les autres raisons qui ont mené à ce choix ?

M. C. : « Nous voulions permettre l’extension territoriale. C’était très important pour nous que la Biennale rayonne sur le territoire métropolitain. Il existait des résonances dans différentes communes de Saint-Etienne Métropole, mais on se rendait compte que le calendrier était contraint et que les gens n’avaient pas le temps d’aller visiter les expos de la Cité, dans les musées, les galeries… Là, on donne vraiment le temps de visiter. »

Il y a eu une fracture qui s’est constituée depuis la création de la Cité du design, entre le public et le design, pour de mauvaises raisons.

Marc Chassaubéné

Le thème choisi de « Bifurcations » résonne avec l’actualité suite à la crise sanitaire liée à la Covid ou la guerre en Ukraine…

M. C. : « On peut dire que tous les temps sont des temps de bifurcations, c’est une théorie. Mais il est vrai que quand cette thématique a été choisie, c’était avant la crise liée à la Covid. L’équipe de designers et de la Cité qui s’est penchée sur ce choix, avait pressenti des changements radicaux. Il y a cependant toujours eu cette question des modifications et changements dans les Biennales, mais aborder la question comme étant un conglomérat de phénomènes de bifurcations est assez nouveau. Et cela se confirme dans l’actualité et l’évolution de notre société. On a tous dans notre entourage des personnes qui ont entrepris des changements forts dans leur vie. »

T. M. : « Le thème de cette Biennale est en quelque sorte : Bifurcations, mode d’emploi. Ce n’est pas « pourquoi il faut changer » mais plutôt « comment on bâtit ces changements dans sa vie personnelle ou dans la vie collective ». »

cité du design

La guerre en Ukraine changera-t-elle la programmation de la Biennale ?

M. C. : « Oui, je n’imagine pas que cela n’impacte pas la Biennale et surtout les débats. Par exemple, la crise sanitaire avait eu un effet direct sur les échanges que nous avons eus avec le réseau de villes design Unesco. Le design doit avoir un regard et une acuité aiguisés sur les événements et la société. »

T. M. : « Il y aura sûrement des ponts qui seront créés. Nous sommes dans un moment très délicat et cela donnera une tonalité sûrement plus grave à certains débats. »

Le design correspond à la fabrication d’objets ou de services étant à la fois utiles, durables et esthétiques

Thierry Mandon

Le fait que la Biennale ait été décalée d’un an a-t-il changé des points dans la programmation ?

M. C. : « Oui, cela a aussi eu un impact. Les expositions et propositions ont évolué. La crise Covid sera un fil conducteur de la Biennale. »

L’Afrique est le continent invité cette année. Pourquoi ce choix ?

T. M. : « C’est un continent incroyable de jeunesse et de créativité. A côté de l’immense créativité dont ils font preuve, les Africains ont deux choses à apporter. Tout d’abord, la question de la frugalité. L’Afrique étant un continent pas extraordinairement riche, ses habitants sont concentrés sur l’essentiel, ils ne sont pas sur de la consommation superflue. Deuxièmement, ils sont très forts pour nous apprendre comment bâtir des choses très intéressantes en circuits courts, avec des ressources locales, de la récupération… C’est sûrement un des grands leviers de la bifurcation environnementale et de l’économie durable. »

M.C. : « Du point de vue des prospections, l’Afrique est sûrement celle qui a le plus à promettre en matière de capacité d’adaptation, de développement durable, d’interactions sociales, de rapport de force économiques… Je pense à un dispositif de désinfection des mains sur un chariot roulant par exemple. Ce sont des idées avec des matériaux simples, souvent réemployés. Ce sont des sources d’inspiration pour les designers. On dit souvent que les territoires de résilience, comme Saint-Etienne par exemple, sont ceux les plus innovants, pour l’Afrique c’est le cas. C’est parce que l’Afrique a franchi beaucoup d’épreuves qu’elle possède une capacité d’évolution remarquable. »

12e Biennale du design de Saint-Etienne, du 6 avril au 31 juillet 2022, à la Cité du design de Saint-Etienne et sur toute la métropole

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