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Grenadières : un savoir-faire de filles en aiguille

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Pendant plusieurs décennies, les femmes du Haut-Forez ont brodé au fil d’or les uniformes et les coiffes des militaires. C’est en voyant ce savoir-faire disparaître, que Frédérique Seret a décidé d’agir pour préserver ce patrimoine, et a fondé la maison Yvonne & Alexis à Cervières.

Originaire de Cervières, Frédérique Seret a travaillé dans la finance à Paris, puis dans le bâtiment à Toulouse. Une vie à mille lieux de la broderie au fil d’or du Haut-Forez, bien qu’elle en ait gardé de bons souvenirs, lorsque petite, elle regardait sa grand-mère broder. «Beaucoup de femmes faisaient cela l’hiver à l’époque, lorsqu’il n’y avait plus rien à faire aux champs. Elles commençaient à broder dès l’âge de sept ans. Certaines aimaient ça et d’autres le faisaient pour mettre du beurre dans les épinards. » Ces femmes étaient appelées des grenadières en raison du symbole militaire de la grenade, associé à plusieurs corps d’armée de terre. Les brodeuses ont réalisé en grandes séries ce motif à la fin du XIXe siècle et ont donc été appelées ainsi.

Ici, une coiffe de préfète qui vient d’être achevée. ©JT

Retour aux sources 

Lors d’un séjour dans son village d’enfance en 2013, alors qu’elle vit toujours à Toulouse avec son mari, Frédérique Seret a l’opportunité de faire un atelier découverte de broderie au fil d’or et a un déclic. « J’en étais restée à l’année 1993 où il y avait encore beaucoup de femmes qui brodaient. Vingt ans plus tard, je me rendais bien compte qu’il n’y en avait plus. Même l’association des grenadières du village n’avait plus de président. Je me suis donc proposée et retrouvée à sa tête, et je la gérais depuis Toulouse. »

Lorsqu’elle reprend les rênes de la structure, celle-ci ne compte que 20 membres contre 150 aujourd’hui. Et en effet, le savoir-faire français s’éteignait irrémédiablement au profit de commandes réalisées au Pakistan. Mais les techniques restent différentes et le résultat également.

Un patrimoine à défendre

Pour Frédérique Seret, il existe un tournant dans la perception des métiers de l’artisanat, qui explique que cette activité ait été sur le point de disparaître. « Avant 1968, les femmes étaient fières de faire ce travail de grenadière. Cela leur permettait d’avoir un salaire à elle, une couverture sociale. Elles pouvaient dépenser cet argent comme elles l’entendaient car il leur était remis en mains propres. Après 1968, les jeunes filles n’ont plus voulu d’un travail manuel. On les a encouragé à faire des études, à avoir des diplômes pour être le plus indépendantes possible. La transmission s’est ensuite éteinte avec le départ en retraite des dernières brodeuses, en vingt ans. »

Un savoir-faire unique, à Cervières. ©JT

Former pour ne pas disparaître

C’est pourquoi en 2014, lorsque la sous-préfète passe commande auprès de l’association pour refaire sa coiffe, elle se rend à l’évidence. La technique s’est perdue et la commande ne pourra être honorée. « Je lui ai donné rendez-vous, et j’étais prête à lui rendre son tricorne et son chèque. Mais je lui ai expliqué que si elle nous laissait le temps, nous pourrions détricoter et réapprendre. Elle a accepté et nous avons mis un an et demi à refaire son tricorne, nous avons trouvé une brodeuse. » Cette dernière a ensuite pu former Marine Ferrand. Une brodeuse aujourd’hui recrutée à plein temps par l’association et qui elle-même forme deux autres futures grenadières. L’association est devenue un organisme de formation agréé.

Frédérique Seret ne veut pas voir disparaître ce savoir-faire local. ©JT

Broderie et coutellerie

C’est en 2018 que Frédérique Seret quitte définitivement Toulouse pour revenir s’installer à Cervières. « Quand j’ai vu que cela me prenait du temps et que ça me passionnait, on s’est lancé dans cette nouvelle vie. Il a fallu réfléchir pour trouver comment se rémunérer. » Elle entame ainsi une réflexion accompagnée de son mari, et ils fondent la maison Yvonne & Alexis, les prénoms des grands-parents de Frédérique. C’est en se rendant compte que, lorsque les femmes brodaient, les hommes assemblaient les couteaux, qu’elle a l’idée d’associer les deux savoir-faire. Elle lance quelques exemplaires en collaboration avec la confrérie Le Tiers. Puis, pendant le confinement, elle a l’idée de créer le couteau de la maison Yvonne & Alexis, le 42, intégrant dans son manche la broderie au fil d’or. Une fois fermé, celui-ci représente d’ailleurs les portes du village. Aujourd’hui, Frédérique Seret a pour objectif de diversifier l’activité et fourmille d’idées pour rendre à la broderie d’or, et aux grenadières, leurs titres de noblesse.

Le couteau 42, dont le manche intègre de la broderie au fil d’or. ©JT

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