Licenciements à Casino : le résultat des courses
Le Plan de sauvegarde accéléré enfin calé par les deux parties, ne doit pas faire oublier le, ou plutôt les PSE (Plan de sauvegarde de l’emploi), en chemin. Sollicité, le syndicat CFE CGC indique que sur 27 000 emplois restants non transférés en France, plus de 3 800 ont été ou vont être supprimés. Qu’il s’agisse de fermetures sèches de magasins, d’entrepôts ou du tiers des postes du siège stéphanois comme déjà annoncé au printemps dernier. Parallèlement, le « Nouveau Casino » a présenté il y a une semaine son plan stratégique 2024/2028.
C’était joué depuis le début de l’été. If Saint-Etienne a consacré de nombreux articles à ce fameux Plan de sauvegarde accéléré (PSA). Aux côtés de l’intersyndicale, les représentants du Comité social et économique central (CSEC) de Distribution Casino France avaient fait appel du feu vert donné en février par le Tribunal de commerce de Paris au Plan de sauvegarde accéléré (PSA). A leurs yeux, l’insuffisance ou plus exactement, carrément l’absence, de volet social le plaçait hors des clous législatifs. « D’autant que le repreneur ne pouvait pas se dédouaner sur le fait de connaître la situation du groupe puis qu’ancien co-propriétaire minoritaire », nous rappelle ce matin dans un entretien Didier Marion, délégué syndical CFE-CGC du groupe Casino. Question d’interprétation des textes nous avait indiqué de son côté en avril un avocat spécialisé sans pour autant logiquement trancher.
Il n’empêche, et le fait est rare, que le ministère public, à défaut de faire appel de son côté, s’était positionné sur la même ligne que les représentants du personnel. La direction de Casino a été sommée de revoir sa copie débouchant sur un accord entre les parties fin juin. C’est ce protocole qui a été définitivement acté à l’issue d’une audience à la cour d’appel de Paris il y a pile une semaine en attendant le délibéré de celle-ci à la suite de ce qui est, techniquement, « un désistement ». Ce désistement est épais de 810 pages, soit le document de l’accord, rédigé depuis l’été, actant et épluchant le moindre élément d’un volet social plus acceptable aux yeux des syndicats. Acceptable car désormais existant. « Bien sûr que nous ne sommes pas pour autant réellement satisfaits, commente ce matin encore pour If Didier Marion. Mais nous ne pouvions pas non plus partir, sur la position du « ou tout ou rien » (d’autant que l’appel des salariés n’était pas suspensif, Ndlr). Évidemment, nous aurions souhaité un meilleur plan de reclassement, des supra-légales supérieures, etc. Mais au moins, maintenant, ces éléments sont fixés avec des engagements nets des deux côtés. »
Plus de 3 800 emplois supprimés sur 27 000 restants
Pendant ce temps et parallèlement depuis septembre, le PSE (Plan de sauvegarde de l’emploi), plutôt les sept « PSE » correspondant au montage de sociétés de l’ex-empire de Naouri, adepte notoire de la poulie bretonne, eux, se déploient. Alors, au niveau perte nette d’emplois, quel est le bilan de la « casse », du moins, à ce stade ? Rappelons déjà, comme le souligne Didier Marion, que sur les environ 50 000 salariés du groupe en France, 23 000 l’ont quitté avec la cession d’entrepôts et surtout de plus de 400 supers et hypers à Intermarché, Auchan et, dans une moindre mesure, Carrefour. Sur les 27 000 restants, en dehors des départs volontaires, ils sont 3 800 à voir leurs emplois supprimés, pointe le syndicaliste. Côté logistique (objet de l’activité propre à la filiale Easydis), quatre entrepôts sont purement et simplement fermés : « Un près de Rennes et ceux de Limoges, de Toulon, de Besançon. » Comme nous vous l’indiquions ici, celui de Saint-Bonnet-les-Oules est transféré à ID Logistics et travaille désormais pour Intermarché. Même principe du côté d’Aix-en-Provence, pour Auchan.
Toujours dans la maison, nouvelle version axée sur la « proximité » : Corbas, Auxerre, Poitiers, Montauban et Andrézieux-Bouthéon. « Sachant qu’un entrepôt indépendant de 300 personnes à Montélimar qui travaillait exclusivement pour Casino voit son activité reprise en interne par Corbas. Il comptait 300 salariés… », « précise » Didier Marion. Ce n’est évidemment pas un détail : il y a les suppressions de postes maison (s) et l’impact indirect de la chute de Casino pour l’emploi. Dans la Loire comme ailleurs donc. L’implantation stéphanoise de l’agence de communication Gutenberg en a été le malheureux exemple le plus immédiat, en tout cas le plus médiatisé, avec plus de 50 personnes mises rapidement sur le carreau. En attendant, le résultat de la prise de température de cet impact néfaste sur le tissu économique local lancé cet été par la CCI, Didier Marion évoque aussi une entreprise de formation ligérienne, très liée au groupe.
Une casse limitée au siège stéphanois par intervention politique ?
Au niveau de la cession des magasins, 23 étaient sans solution à la fin du printemps. « Deux ont pu être finalement repris pour un euro symbolique », indique Didier Marion. Dont ce supermarché de Vénissieux dans le quartier des Minguettes qui a défrayé la chronique en devenant un « Triangle », exclusivement halal sur son offre de viandes et faisant disparaître l’alcool de ses étals… Mais à 21 magasins fermés donc, cinq autres se sont récemment ajoutés hors des PSE déjà lancés, correspondant à environ 80 suppressions de postes. Pas de fermeture de magasins dans la Loire à déplorer. A l’exception, peut-être de ce Casino 100 % drive d’Andrézieux-Bouthéon, devant être transféré aux Mousquetaires et fermé depuis fin avril. Il a en effet ses quelques salariés tous démissionner en raison, pointe le représentant, des nouvelles conditions sociales et de travail imposées par le repreneur. Il y a, enfin, le siège stéphanois. On se souvient du sentiment de « soulagement » quelque peu surréaliste de ne voir partir « qu’un tiers » de ses 1 500 postes, illustrant l’ampleur redoutée du séisme. 554 suppressions nettes de postes sur les « 1 564 actuels », avait plus exactement annoncé la nouvelle direction au printemps.
Un pis-aller acide qui aurait dû l’être bien davantage selon les représentants syndicaux sans l’intervention du monde politique pour faire plonger moins durement Saint-Etienne. Certes, des fonctions supports jusque-là externalisées par rapport au périmètre de la proximité vont être internalisées (« plus de 200 postes créés ou mutualisés à Saint-Etienne », annonce la direction). Mais aussi, nous apprenait Jean Pastor, représentant lui de la CGT fin avril, parce que « la casse pour le siège francilien est plus forte qu’envisagée initialement avec autour de 700 postes supprimés du côté de Paris (sur environ 2 000, Ndlr) où les gens se croyaient davantage à l’abri ». Ce que confirme ce mercredi 20 novembre Didier Marion de la CFE-CGC : « L’activité support des sociétés Monoprix holding, ou encore celle de Franprix ont été transférées à Saint-Etienne depuis l’Ile-de-France alors qu’elles n’avaient pourtant rien à voir avec la chute des supers / hypers (c’est même l’activité proximité, jugée plus rentable, qui a justifié le rachat, Ndlr). Pour nous et pour avoir rencontré deux fois Bruno Le Maire à Paris ou encore les élus de la Région Aura, c’est clairement dû à une intervention politique… »
Un prêt d’1,6 Md€ à rembourser fin 2025
Dans ce contexte, que pense Didier Marion du plan stratégique présenté aussi il y a une semaine (lire ci-dessous) par la nouvelle direction ? « Casino n’est plus un groupe de la grande distribution faisant, entre autres, de la proximité. On peut donc craindre que son poids désormais réduit en volume soit insuffisant pour négocier sur les prix. » Mais ajoute-t-il, « la direction assure que ses prix, ses parts de marchés, ne sont pas un problème dans sa stratégie. Sachant que l’équivalent réussi d’un groupe axé aussi sur la seule proximité, c’est le canadien Couche-tard mais il pèse lui, actuellement 70 Md€ de volume d’affaires pas 15 comme espérés par Casino d’ici 2028. Ce qui nous inquiète encore, c’est l’échéance au trimestre 3 de l’année 2025, d’un prêt d’1,6 Md€ contracté auprès d’investisseurs de court terme. Il faudra bien le rembourser ce prêt. Mais avec quel cash ? »
Selon les informations des syndicalistes, les nouveaux propriétaires auraient indiqué qu’il ne faudra sûrement pas compter sur leurs fortunes personnelles pour boucher un trou aussi gigantesque. « Ce qui reste de Casino est encore loin d’être sauvé », en conclut Didier Marion.
Plan stratégique : « Une première pour Casino »
Dans un communiqué détaillé, la nouvelle direction du groupe Casino a présenté il y a une semaine un plan stratégique baptisé « Renouveau 2028 »réitérant son ambition déjà affichée fin avril de devenir « le meilleur des marques de proximité ». Le groupe vise ainsi « un retour à l’équilibre en 2026 (cash-flow libre avant frais financiers et dividendes) ». Alors que le CA était encore en recul sur le 1er semestre 2024, sa direction confirme son objectif d’investir environ 1,2 Md€ consacré à la modernisation des magasins dans les quatre prochaines années pour atteindre un volume d’affaires* d’environ 15 Md€ en 2028, « soit une progression d’environ 1,9 Md€ par rapport à 2023 ». Et donc l’exigence de tenir un taux de croissance annuel 2024/28 moyen de 3,7 %. Un plan stratégique à l’échelle du groupe qui « est une première pour Casino », assure la communication de la nouvelle direction.
Il se décline dans chacune des marques jugées complémentaires : « Monoprix, Franprix, Casino, Cdiscount, Naturalia, Spar et Vival. Ce sont des marques fortes comprenant désormais près de 7 700 points de vente, 25 000 collaborateurs, avec un volume d’affaires de 13 Mds€ (2023). » La direction annonce s’appuyer sur le « modèle vertueux » de la franchise pour continuer son développement et poursuivre son expansion géographique en rappelant que « 42 millions de personnes en France sont proches d’un magasin d’une des marques de Casino. Qu’elle soit géographique, fonctionnelle (le bon produit au bon moment), relationnelle (le contact humain) ou émotionnelle (l’adhésion à des valeurs communes), la proximité est dans l’ADN des marques du Groupe qui entend capitaliser sur ce savoir-faire pour se développer ».
Une épicerie nomade made in Loire
Philippe Palazzi, DG déclarait dans ce communiqué : « Notre ambition est de réinventer le commerce de proximité pour répondre, avec nos franchisés et grâce à nos marques, aux nouvelles attentes des consommateurs : le bon produit et le bon service au bon moment, proche de chez eux, avec le sourire et l’attention, et des prix adaptés à chacun. C’est pourquoi le groupe va mettre l’accent sur trois marchés clés : les courses alimentaires du quotidien, la restauration à emporter et les nouveaux services de la vie quotidienne. Grâce à notre maillage territorial unique et à l’engagement de nos équipes, nous construisons une nouvelle proximité, adaptée aux évolutions sociétales. » Le positionnement du Nouveau Casino s’inscrit sur un marché en croissance : des ventes en progression de + 2,3 % dans les magasins de proximité en ville en 2024 et de + 1,7 % dans les magasins de proximité en zone rurale.
A propos de ruralité justement, ce matin, un nouveau communiqué spécifique annonçait le « lancement d’une épicerie nomade conçue pour lutter contre l’isolement commercial et social dans les territoires ruraux et les zones périurbaines. Le projet pilote sera déployé en décembre 2024 à partir du magasin Casino de Chazelles-sur-Lyon dans la Loire et sillonnera une douzaine de communes situées dans la Loire et le Rhône pour offrir aux habitants une sélection de produits du quotidien. » Cette épicerie nomade sera une Camionnette Casino entièrement aménagée pour la vente de produits alimentaires et d’hygiène (modèle Renault Master, longueur 6,5 m – entièrement équipée par EuroMag, entreprise ligérienne basée au nord de Chazelles, à Panissières).
1 Pour l’activité e-commerce, la « GMV » (« Gross Merchandise Volume » ou volume d’affaires) correspond au chiffre d’affaires réalisé directement sur les sites internet du groupe Cdiscount et par les vendeurs indépendants sur les marketplaces. Pour les autres activités de distribution, il correspond au chiffre d’affaires réalisé par chaque marque, pour l’ensemble de son parc de magasins intégrés et franchisés, toutes taxes comprises.