Produite par Thales à Saint-Héand, VisioLoc donne une perspective révolutionnaire au champ de bataille
Le savoir-faire en optique du site ligérien du groupe Thales (ex-Thales Angénieux) trouve des applications croissantes dans le secteur de l’armement. Intégrée dans les jumelles militaires déjà produites à Saint-Héand, la géolocalisation sans satellite apportée par la fonctionnalité VisioLoc est annoncée comme une technologie de rupture vis-à-vis du champ de bataille. De quoi faire significativement monter en puissance son usine de la Loire.

Ce n’est pas du cinéma. Plus d’une armée de l’Otan, et au premier rang desquelles celle de l’Oncle Sam, les Navy Seals en particulier, regardent de très près, avec un intérêt maximal même, cette nouvelle fonctionnalité développée par Thales. Elle sera produite dans la Loire, sur son site de Saint-Héand. VisioLoc a été présentée en juin, à Paris, au salon international de la Défense Eurosatory. Et plus encore que d’autres innovations de Thales Angénieux, elle collectionne au sein des états-majors des « Waouh ! » en série, assure le groupe. Peut-être même au-delà de ceux de l’alliance militaire occidentale bien que la vente d’armes soit régentée par la Direction générale de l’Armement (DGA). La réputation de la technologie optique développée par Thales Angénieux, connue avant tout pour ses applications cinématographiques oscarisées et pour avoir été utilisée par la Nasa (entre autres sur la Lune en 1969) n’est plus à faire.
Fondée en 1935 par Pierre Angénieux, la société éponyme avait implanté, quelques années après, une usine dans son village natal de Saint-Héand. Rachetée par Essilor en 1986, Angénieux devait passer sept ans plus tard dans les mains de Thomson CSF, devenu Thales. En 2021, le groupe français international affichait 85 000 collaborateurs dans 68 pays pour 19 Md€ de chiffre d’affaires. Au sein de cette galaxie, la société Thales Angénieux en soi avait – juridiquement – disparu quatre ans plus tôt, l’usine de Saint-Héand devenant un établissement de la branche Thales Land & Air Systems et Angénieux une marque. De nos jours, « c’est le même savoir-faire autour du calcul optique, du polissage, de la mécanique de précision qui a connu tant de succès dans les domaines civils du cinéma et de la télévision qui est utilisé pour les activités de défense du site, sur lesquelles Angénieux s’était d’ailleurs diversifiée dès les années 1980 », précise Pierre-Yves Guinet, responsable de la ligne de produits optronique du combattant.

L’optronique made in Loire très en vue
« L’optronique » ? L’alliage de l’optique et de l’électronique pour mettre au point des équipements de pointe, la plupart du temps militaires. Les activités de défense du site de Saint-Héand sont fortement montées en puissance dans les années 90 avec d’abord la conception et la commercialisation plus que réussies, des petites jumelles de vision nocturnes (JVD) fixées sur les casques dont la dizaine de modèles successifs s’est écoulée à 120 000 exemplaires. A commencer par celui « mère » , dès 1995, baptisé « Lucie », équipant, entre autres, l’Armée française : 70 000 exemplaires en ont été vendus. A la fin de la décennie, Thales Angénieux enchaîne avec des jumelles plus lourdes, des caméras thermiques portables plus exactement, basées sur la technologie infrarouge qui ne sont pas destinées à l’équipement individuel mais à la prise d’information par les commandements d’unités sur le terrain.
Le modèle « Sophie », bien plus léger avec ses 2,5 kg que les neuf cumulés par quatre équipements pour obtenir la prestation équivalente, en est depuis à la 4e génération. 16 000 exemplaires ont été vendus à ce jour dans 55 pays. En 2018 et puis 2020, de l’ex-site Thales Angénieux sortent respectivement les modèles Sophie Ultima et Sophie Optima. Le premier cité permet la désignation d’objectifs à longue portée pour les forces spéciales et les unités d’infanterie. Avec sa technologie refroidie à infrarouge, « Sophie Ultima est capable d’identifier une cible jusqu’à une distance de six km ». Le modèle Optima, doté d’une technologie non refroidie (il faut plusieurs minutes dans le cas contraire pour obtenir le refroidissement nécessaire à – 70° C) à infrarouge offre « les mêmes performances en portée que la génération actuelle de caméras refroidies à infrarouge et de désignateurs d’objectifs », pouvant ainsi identifier un char jusqu’à trois km.
L’apport révolutionnaire de VisioLoc

Au sein de Thales Angénieux, « la Défense représente désormais, en fonction des années, 70 à 80 % de l’activité. Nous n’avons plus de chiffre d’affaires spécifique depuis notre intégration au sein de Thales Land & Air Systems fin 2017, explique Christophe Remontet, 30 ans dans l’entreprise et nouveau directeur du site depuis quelques mois. Mais c’est une implantation qui connaît une bonne dynamique, en croissance continue avec 350 salariés sous contrat Thales et, en moyenne, une cinquantaine d’intérimaires. » Les perspectives données par la commercialisation de VisioLoc dont la production va bientôt commencer et donner lieu à la création d’une salle blanche spécifique devraient encore accélérer cette dynamique. Mais pourquoi le groupe Thales est-il si confiant dans cette nouvelle « fonctionnalité » qui pourra être embarquée dans les jumelles Sophie ?
On nous demande des démonstrations de terrain pour le prouver tellement c’est dur à croire.
Christophe Remontet, directeur du site de Saint-Héand de Thales
Parce que VisioLoc apporte aux forces terrestres la capacité d’extraire des coordonnées de géolocalisation précisément quelles que soient les conditions y compris, et c’est là le plus important sans signal satellite, « en déni de service GNSS (Géolocalisation et navigation par un système de satellites) », dit exactement Thales. « Quand on le présente, ça fait systématiquement « Waouh ! » de partout mais, derrière, on nous demande des démonstrations de terrain pour le prouver tellement c’est dur à croire, tellement c’est révolutionnaire », assure Christophe Remontet. VisioLoc extrait précisément les coordonnées d’une cible repérée malgré, l’absence donc de signaux GNSS, et permet immédiatement à une section combattant sur le terrain d’adresser une demande d’appui, par exemple d’artillerie.
30 recrutements en 2023 pour « un début »

« Grâce à la précision de la géolocalisation, celle-ci est traitée directement par l’unité d’artillerie qui engage immédiatement sa puissance de feu pour appuyer l’unité au contact », décrit Thales. « Le contexte actuel montre encore plus la pertinence de VisioLoc. Les Américains ont beaucoup misé sur le satellite mais les brouilleurs, même à toute petite échelle, sont désormais monnaie-courante sur le champ de bataille », note Pierre-Yves Guinet. Sur le marché de l’optronique du combattant, VisioLoc est donc annoncée comme une « innovation de rupture », « un saut capacitaire tactique », rendant « inutile la phase de réglage des tirs qui peut prendre à ce jour parfois 20 minutes, divisant ainsi par trois voire quatre le temps entre la demande d’appui par le chef tactique et l’engagement de l’unité d’artillerie ».
Les Américains ont beaucoup misé sur le satellite mais les brouilleurs, même à toute petite échelle, sont désormais monnaie-courante.
Pierre-Yves Guinet, responsable de la ligne de produits optronique du combattant.
Avant d’en arriver là, il a fallu que les équipes de Pascal Sécretin, ex-officier para issu de Saint-Cyr, directeur de ligne de produits à la direction de la stratégie des systèmes terrestres et aériens tombent puis se penchent, presque par hasard sur les 200 pages d’un brevet déjà aux mains du groupe. Leur compréhension et la capacité du site de Saint-Héand à exploiter ces nombreuses lignes de calcul a ensuite fait mouche. Elle devrait faire monter en puissance l’activité du site de Saint-Héand. 10 postes sont déjà à pourvoir, 30 le seront dans l’année qui vient en R&D, en production. « Mais ce n’est qu’un début », s’enthousiasme Christophe Remontet. Surtout que fin 2021, Thales annonçait le lancement d’une autre technologie révolutionnaire pour l’armement avec Xtraim, lunette de visée à technologie thermique servant aussi bien le jour que la nuit. Elle sera elle aussi produite à Saint-Héand à partir de 2023. Et elle aussi vaut bien un « Waouh ! ».