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Saint-Etienne, ville populaire et moins inégalitaire que ses voisines (2/3)

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Saint-Etienne est-elle une ville pauvre, comme on le lit et dit souvent ? Si les chercheurs en sciences sociales préfèrent le terme « populaire », moins stigmatisant, force est de constater que la ville peine à sortir la tête de l’eau, quoi qu’elle se révèle moins inégalitaire que ses voisines.

4 décembre 2014, à Saint-Etienne. Sous le soleil frais, voire gelé de l’hiver, la ville s’éveille lentement, comme assommée par ce qui vient de lui arriver : la veille, l’un des plus grands quotidiens de France lui a consacré un article, pour illustrer le déclin des centres des villes moyennes. Qualifiée de « capitale des taudis », Saint-Etienne se met en colère. Non, la ville n’est pas « minée par la pauvreté ». Elle se renouvelle, reprend des couleurs. Certes modeste, elle s’accroche, et ses habitants refusent catégoriquement et uniformément d’être ainsi stigmatisés.

Pourtant derrière la forme, les photos bien (ou mal !) choisies, et les tournures de phrases laissant la place aux raccourcis, certaines données chiffrées ne sauraient être remises en cause. Et, 6 ans plus tard, il semble que la situation économique peine à s’améliorer. Entre 2012 et 2018, le taux de pauvreté de la ville a augmenté de 4 points. A l’échelle de la métropole, il atteint aujourd’hui 19%, faisant de celle-ci l’aire urbaine la plus pauvre de toute la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Ville pauvre… ou « populaire »

« Non, Saint-Etienne, n’est pas une ville de pauvres, affirme Vincent Béal, maitre de conférences en sociologie, docteur en sciences politiques, et auteur de plusieurs ouvrages sur la sociologie de la ville. « Ville de pauvres », c’est très violent. Maintenant… Est-ce que Saint-Etienne est une « ville pauvre » ? Oui, ça, je crois qu’on peut le dire, même si je préfère le terme « populaire », moins stigmatisant ».

« On observe une disjonction des trajectoires entre Saint-Etienne et ses voisines à partir de 2005 »

Vincent Béal, maître de conférences en sociologie, auteur de pluseurs ouvrages et articles scientifiques sur Saint-Etienne

Associé aux revenus médians et à la part des ménages imposés, le taux de pauvreté actuel révèle les difficultés d’une ville qui désespère de pouvoir, un jour, sortir définitivement la tête de l’eau. Mais le phénomène n’est pas nouveau. A l’échelle de la France, si elle n’est pas la seule à avoir connu des difficultés à l’issue de la crise économique des années 70-80, elle suit une trajectoire bien différente de ses semblables depuis le début des années 2000 : « Depuis 2005, on se rend compte que certaines villes comme Lyon, explosent, alors que d’autres comme Saint-Etienne connaissent une situation plus délicate, poursuit le sociologue. Cette dernière peine, là où d’autres ont finalement réussi à passer le cap, et à retrouver du dynamisme. Cela étant, sur la dernière décennie, la situation se détériore de partout. Politiques d’austérité, destruction des emplois publics… Les effets de la crise de 2007 et de sa gestion se font sentir partout en France… Mais davantage encore à Saint-Etienne, initialement plus dépendante des emplois du secteur public. »

Saint-Etienne plus pauvre mais moins inégalitaire

Entravée par une pauvreté liée à l’histoire industrielle de la ville, Saint-Etienne se révèle pourtant moins inégalitaire que nombre de ses voisines. Dans leur ouvrage Sociologie de Saint-Etienne paru en 2020, Vincent Béal précédemment nommé, ainsi que le démographe Nicolas Cauchi-Duval, le professeur émérite en aménagement et urbanisme Georges Gay, Christelle Morel-Journel, maitresse de conférences en géographie et aménagement, et Valérie Sala Pala, maîtresse de conférences en sciences politiques, mettent en évidence un taux de chômage moins important que dans d’autres villes moyennes :

« Le taux de chômage (…) se situe certes au-dessus de la moyenne des 20 villes et aires urbaines les plus peuplées, mais en deçà des niveaux observés dans des villes comme Roubaix, Perpignan, Le Havre ou Marseille, qui ont connu, comme Saint-Etienne, des destructions importantes d’emploi dans la période 2010-2015 ». S’appuyant sur le rapport entre le neuvième décile et le premier de la répartition de revenus, les chercheurs soulignent la moindre importance des écarts sociaux à Saint-Etienne, par rapport à Clermont, Grenoble, ou Lyon, villes dans lesquelles la croissance urbaine des dernières années a creusé les inégalités.

Comment redynamiser la ville?

« Reste à présent à savoir si la stratégie de redéveloppement choisie par la municipalité peut être une solution pour, justement, ne pas creuser ces inégalités, conclut Vincent Béal. Par une politique de mixité par le haut telle qu’elle est aujourd’hui mise en place, il est en effet probable que la ville se redynamise. Mais en cherchant à tout prix à attirer les classes supérieures dans des espaces aujourd’hui paupérisés, il y a un risque de gentrification, et donc, de production des inégalités ».

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