Transports au gaz dans la Loire : l’œuf, la poule et le prix
En matière de mobilité au bioGNV, « la Loire fait référence en Auvergne Rhône-Alpes », assuraient fin septembre, dans un communiqué de presse commun GRDF, la Région et Saint-Etienne Métropole. Les deux collectivités souhaitaient mettre en avant leurs mesures de soutien au développement des transports routiers roulant au gaz, en partie produit localement par des méthaniseurs (ce qui définit le « bioGNV ») et GRDF l’intérêt énergétique et environnemental. L’explosion du prix du gaz remet-elle en cause cette stratégie ? Pas forcément…
C’est l’histoire de l’œuf et de la poule, mettaient en évidence, fin septembre, GRDF, la Région et Saint-Etienne Métropole. Pour avoir des véhicules qui roulent au gaz, il faut une ressource disponible dans la Loire. Et pour motiver cette disponibilité, il faut assurer aux investisseurs la circulation de véhicules au gaz dans la Loire. Or, des « œufs et des poules », il y en a déjà depuis plusieurs années dans le département alors que de nouvelles pontes sont au programme. En pleine explosion du prix du gaz, GRDF souhaitait communiquer sur ce qu’elle estime malgré tout une dynamique positive et de long terme sur laquelle il faut éviter de couper court : « Le réchauffement climatique rend cruciale la décarbonation du secteur des transports, qui représente à lui seul près de 40 % des émissions de CO2, dont plus de 80 % au titre du transport routier. Chaque année en France, 100 000 décès prématurés (dont au moins plus de 600 Ligériens, Ndlr) seraient liés à la qualité de l’air. »
Les compétences transports de la Région, un transfert au niveau routier par les Départements il y a quelques années via la loi NOTRe, et de Saint-Etienne Métropole, corrélées à leurs engagements dans des plans climat, schéma de développement durable et autres démarche Tepos les ont amenées à développer l’utilisation de véhicules, entre autres au gaz, considérés comme « propres ». On parle de « GNV » pour « gaz naturel pour véhicules » : il s’agit en fait du nom donné au gaz naturel dès lorsqu’il est utilisé pour la mobilité. Composé à 96 % de méthane, c’est le même que celui distribué en France sur le réseau GRDF pour un usage domestique ou industriel. Si, du coup, l’importation d’une source fossile, qui plus est, aux mains de régimes politiques peu recommandables, relativise sa notion de développement de durable qu’on lui attache, la production locale de « bioGNV », elle, contrebalance quelque peu.
Garantir des flux aux investisseurs
Il s’agit là du gaz issu là des unités de méthanisation locales – aux bilans environnementaux cependant souvent contestés – se développant dans la Loire. Il est vendu à prix avantageux à GRDF pour être injecté dans son réseau où il se mélange au gaz importé pour une utilisation finale indifférente. Mais le « gaz vert », comme l’appelle GRDF, est, lui qualifié de « renouvelable » car obtenu par la méthanisation de déchets organiques divers et parfois combinés : ordures ménagères, boues des stations d’épuration, produits agricoles et tontes des espaces verts, résidus de l’industrie agroalimentaire ou de la restauration collective, etc. Aux méthaniseurs Méthamoly (Saint-Denis-sur-Coise), Furania-La Fouillouse (la station d’épuration de Saint-Etienne Métropole), Valoragri (Saint-Romain-la-Motte), Pleine d’Energie (Précieux) alimentant déjà le réseau en gaz vert s’ajoutera progressivement l’unité sur Loire Forez confiée à l’entreprise CVE. Avant cette dernière unité, la production cumulée en gaz vert correspondait à la consommation potentielle annuelle de 135 bus.
Cependant, le gaz que ces méthaniseurs produit est loin de ne servir qu’aux transports. Et surtout, pour que les transporteurs puissent faire rouler des véhicules roulent au gaz, qu’il soit « bio » ou pas, il faut qu’ils disposent de stations d’avitaillement en accès public et motiver les opérateurs derrière cet investissement en leur garantissant le passage régulier de véhicules adaptés. La première initiative à ce sujet dans la Loire est venue de la FNTR 42 (Fédération nationale des transports routiers) qui a initié en 2015 un programme de création d’une station bioGNV/GNV avec l’appui de Saint-Etienne Métropole au niveau foncier. L’engagement de 11 transporteurs de marchandises routiers ligériens à faire rouler 15 de leurs véhicules au gaz et la perspective, aussi, de la percée du gaz dans les flottes publiques de l’agglomération ainsi que de la Région transportant des voyageurs a motivé l’entreprise Endesa à investir dans cette station. Voisine d’Ikea, elle est ouverte en novembre 2017.
Dans la Loire, 28 des 77 cars de la Région au gaz
« Pour le coup, quand les transporteurs routiers signent à l’époque, c’est un vrai engagement environnemental de leur part qui ne leur rapporte rien d’autre, argue César Namysl, secrétaire général des FNTR et FNTV (Fédération nationale des transports de voyageurs) 42. Certes, le gaz est alors moins cher que le gasoil : 0,85 € le kg qui, pour la consommation au gaz, correspond quasiment au litre de gasoil, alors lui à 1,3 €. Cependant, le coût d’achat des véhicules adaptés était de 30 % supérieur à ceux au gasoil. Et si on était censé retomber sur nos pattes au bout de 4 ou 5 ans d’utilisation, il y a aussi le problème de l’autonomie – 350 km, ce qui limite les déplacements à la région – et enfin des paramètres inconnus ou mal connus : entretien, revente, etc. » Côté transport public routier de voyageurs, depuis 2017, les exigences du délégant qu’est la Région, par ses appels d’offre amènent aussi les professionnels à s’équiper avec cependant l’aide de la collectivité via son programme GNVolont’air soutenu par GRDF et l’Ademe.
Quand les transporteurs routiers signent à l’époque, c’est un vrai engagement environnemental de leur part qui ne leur rapporte rien d’autre.
César Namysl, secrétaire général de la FNTR/FNTV 42.
Aujourd’hui, dans la Loire, 28 des 77 véhicules roulant sur les 24 lignes Cars région roulent ainsi au GNV, voire bioGNV, « pour 1,5 million de km parcourus en 2021 et ainsi 1 300 t de CO2 économisés par rapport diesel ». Côté Saint-Etienne Métropole, qui ambitionne 100 % de véhicules propres, entre autres au gaz, d’ici 2030, 20 bennes à ordures doivent rouler au GNV d’ici 2027 et 37 bus (29 standards, 8 articulés) sont annoncés d’ici 2026 sur des lignes allant de Firminy à Rive-de-Gier. L’agglomération rappelle aussi ses autres initiatives : son fonds d’aide Air véhicule pour aider les professionnels ayant les véhicules les plus polluant à s’adapter à sa ZFE ainsi que l’injection dans le réseau depuis la station Furiana d’1 million de m3 de « biogaz » par an. Un bioGNV du coup invisible quand on fait le plein (sauf pour le prix légèrement plus cher) puisque mélangé au GNV dans le réseau. Les transporteurs s’étant engagés à l’utiliser récupèrent donc au moment de l’achat des certificats pour prouver qu’ils sont servis à la « bonne » pompe, en réalité fictive.
Aussi Dans le Forez mais pas dans le Roannais
Au niveau stations d’avitaillement justement, depuis celle de Saint-Etienne, trois autres ont été mises en service : à Veauche où Air liquide en a créé une GNL, c’est-à-dire de gaz liquide qui redevient gazeux au moment de faire le plein (une station approvisionnée par camions et donc non bio) ; une exclusivement bioGNV et raccordée au réseau à Saint-Denis-sur-Coise à 100 m du méthaniseur Méthamoly et créée par le même groupement d’agriculteurs derrière ce dernier ; une autre, enfin, à Verrières-en-Forez, de la SAS Robert Forez énergie (là aussi un agriculteur) et à proximité de son unité de méthanisation qui elle n’est pas reliée au réseau mais alimente directement en électricité et chaleur des bâtiments à proximité. Le surplus permet d’approvisionner la station en bioGNV. Deux autres stations sont en cours de construction et devraient être prêtes au premier trimestre 2023. Il s’agit de celle du Relais des Coquelicots, aire routière créée à Andrézieux-Bouthéon à l’initiative de l’entreprise Desjoyaux.
Elle sera GNV et bioGNV et portée par le groupe Total comme le reste de la station. En projet aussi, celle que vont créer, à Montbrison, à la suite de l’appel à manifestation de l’agglomération Loire Forez. Robert Forez énergie et Seven Occitanie sont là partenaires sur une station GNV et bioGNV. Il devrait donc il y en avoir six en fonction d’ici mi 2023. De quoi faire dire à GRDF que « la Loire fait référence en Auvergne Rhône-Alpes ». Le Roannais est pourtant totalement dépourvu. « Bien sûr qu’on aimerait que le Roannais ait une station. La problématique, c’est que, d’une part, Roannais agglomération est plus petit que la Région et Métropole et a dû faire davantage un choix sur sa flotte de véhicules propres, question d’économie d’échelle. Or, ça été l’électrique. D’autre part, il n’y a pas de sociétés de transports à demeure, pas avant Thizy-les-Bourg, à l’est ou Lapalisse, à l’ouest dans les départements voisins. Or, cette présence est une garantie réclamée par les investisseurs en station », explique à If Philippe Gillon, ingénieur chargé d’affaires mobilité GRDF sur la région.
Le bioGNV reste absurdement lié au prix du gaz importé
Reste que pour GRDF, la Région et Saint-Etienne Métropole, le maillage de stations témoigne d’un dynamisme particulier et encourageant, au moins pour les deux tiers sud du département. Ce que confirment à IF la FNTR et la FNTV. Surtout que Saint-Etienne Métropole – avec l’appui de la Région et de l’Ademe – veut en implanter d’ici 2026 deux nouvelles : dans le Gier et l’Ondaine via un appel à manifestation d’intérêt. Mais l’intérêt de ces stations justement, résiste-t-il à l’explosion du prix du gaz ? Depuis que la FNTR a signé pour des véhicules au gaz, le prix de la ressource a fait bien plus que dépasser la hausse parallèle du gasoil : jeudi, à la station stéphanoise Endesa, il en coûtait 2,8 € le kg. Loin, très loin des 0,85 € d’il y a 7 ans. « D’une base 100 en mars 2021, on est passé à 213 en 2021 puis 426 en septembre dernier !, constate César Namysl. Alors, oui, si les transporteurs de voyageurs sont contraints par leurs contrats avec les collectivités, les 15 transporteurs de marchandises ligériens impliqués se posent aujourd’hui, de très sérieuses questions sur le renouvellement de leur engagement qui arrive à terme à la mi 2023. »
Au point de probablement y renoncer ? « Pas forcément, nuance César Namysl. D’abord, si on veut dans notre secteur rouler à autre chose que le gasoil, il n’y a pas vraiment d’alternative : on attend toujours l’électrique pour nos poids-lourds et l’hydrogène est très balbutiant. » Ensuite, « la volatilité du gaz est extrême et les réserves des pays européens pour cet hiver effectuées en raison du contexte géopolitique, le prix du gaz amorce déjà un cycle de baisse qui peut très bien – ce serait certes idéal mais pas impossible – nous ramener à 1 € le kg dans 6 mois ou un an », ajoute César Namysl. Reste ce paradoxe lié aux accords européens : le fait que le prix du bioGNV, produit localement, soit corrélé au prix du gaz importé depuis de si lointains pays. Ce qui relativise la volonté affichée par l’Etat du développement des énergies propres aux yeux des FNTR et FNTV. Belle usine à gaz…