Côté Experts : les troubles anormaux de voisinage
Me François Paquet, futur Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Saint-Etienne est le second invité de Côté Experts, rubrique en partenariat avec l’émission éponyme diffusée sur les ondes de France Bleu Saint-Etienne Loire. Il nous parle des cas de troubles anormaux de voisinage et des recours existants en matière juridique.
Que qualifie-t-on en termes juridiques de « troubles de voisinage » ?
Il est tout d’abord important de préciser qu’il faut parler de « troubles anormaux de voisinage ». Car quand on se trouve dans une zone habitée, on est censé pouvoir accepter un certain nombre de troubles dits « normaux ». Par exemple, avoir un voisin qui marche de temps en temps au-dessus de chez vous, qu’il puisse regarder la télé à des heures normales, etc. On doit donc tolérer certaines choses. Par contre, à partir du moment où l’on dépasse un certain seuil apprécié par le juge et qui dépend de l’endroit où l’on habite et des circonstances factuelles, on arrive sur des troubles anormaux de voisinage. Ceux-ci peuvent être de différents ordres comme du bruit, des poussières, de la perte de luminosité par exemple avec la construction d’un immeuble à la limite de votre jardin, de la perte d’intimité… Il n’y a pas de limitation, tous les troubles sont possibles.
Avant d’aller en justice, doit-on obligatoirement tenter de trouver un arrangement à l’amiable avec son voisin ?
Obligatoire, non, mais c’est quand même préférable. Encore une fois, cela dépend des domaines. Dans certains d’entre eux, on est obligé de tenter une approche amiable. Mais si on ne se trouve pas dans ces cas qui sont limitativement énumérés par le code, il n’y a pas d’obligation juridique. Mais cela est souvent préconisé par l’avocat, notamment par l’envoi d’une mise en demeure ou une demande de dommages et intérêts.
La plupart du temps, quand le trouble n’est pas encore complètement là, on arrive à le limiter.
Comment un avocat peut aider lors d’un trouble anormal de voisinage ?
Soit on consulte un avocat relativement tôt soit quand le trouble est complètement consommé. Quand le trouble n’est pas encore consommé, on peut tenter de prendre des mesures préventives, toujours par la voie amiable dans un premier temps puis par des mesures en référé que l’on peut éventuellement prendre. Mais quand le trouble existe, il faut essayer de l’éviter, de le limiter ou bien de demander une réparation. Mais on peut venir voir un avocat à toutes les étapes car on peut quasiment toujours agir. Enfin, précisons bien que la plupart du temps, quand le trouble n’est pas encore complètement là, on arrive à le limiter.
Comment faire constater un trouble anormal de voisinage ?
Il existe plusieurs manières de le faire. Tout d’abord, appeler un huissier. Lorsque c’est un peu plus complexe, on peut faire appel à des experts, des experts immobiliers par exemple.
C’est alors la « victime » qui doit avancer les frais pour ces constats ?
Oui, car c’est un grand principe de la procédure civile, c’est celui qui est demandeur qui doit prouver de la véracité de sa demande. C’est donc à lui d’aller chercher la preuve de ce qu’il avance.
Il existe la conciliation, la médiation et la procédure participative pour résoudre les conflits de voisinage. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ces trois modes ?
La procédure participative est très rarement employée et c’est souvent quand le contentieux est déjà avancé, avec une procédure qui est organisée en partie par les avocats, avec des accords procéduraux. C’est assez nouveau et assez peu fréquent, il faut bien l’avouer. En revanche, les conciliations sont très fréquentes. Elle engage un conciliateur, un tiers, qui a reçu ses pouvoirs du président du tribunal, qui essaie de parvenir à trouver une solution amiable entre les parties. La médiation ressemble à la conciliation mais les méthodes diffèrent un peu. Par exemple, les médiateurs sont des gens qui ont été formés très longuement avec une technique un peu plus approfondie. Mais le but reste toujours le même, en mettant les parties autour de la table et de trouver un terrain d’entente. Enfin, la médiation peut également être proposée par le juge dans une affaire qui est déjà en cours. C’est-à-dire qu’il y a eu une assignation, le dossier est déjà engagé devant le tribunal, le président du tribunal peut proposer alors une médiation qui, si elle est acceptée par les parties, suspend le procès pour essayer de parvenir à une solution amiable. Les médiateurs peuvent être de tous ordres, mais on trouve par exemple d’anciens avocats et d’autres en exercice.
Les médiateurs et conciliateurs interviennent bénévolement ?
Je ne pourrais pas vous répondre concernant les conciliateurs, par contre pour les médiateurs, ces derniers sont rémunérés par les parties concernées.
Quels sont les coûts de la médiation et de la conciliation ?
La conciliation ne coûte rien pour les particuliers, alors que ce sont quelques centaines d’euros pour une médiation, en fonction de la complexité du dossier et du nombre de réunions organisées.
Combien de temps dure une procédure de conflit de voisinage en moyenne ?
Je peux vous donner une moyenne située entre 14 et 18 mois en première instance devant le tribunal judiciaire de Saint-Etienne. Ce n’est pas une moyenne « officielle » mais une estimation personnelle que je vous indique ici. Sachant que le tribunal judiciaire de Saint-Etienne va vite dans ces domaines-là, il est plutôt diligent. Il est bien organisé sur cette matière. Néanmoins, il faut tout de même un certain temps de traitement car le contentieux de voisinage entraîne une procédure écrite. Et qui dit procédure écrite dit nécessité de temps pour les échanges entre les parties. C’est le juge de la mise en état qui fixe les délais de réponse écrite des parties pour chaque échange.
Il faut tout de même un certain temps de traitement car le contentieux de voisinage entraîne une procédure écrite
En tant qu’avocat, vous intervenez dans ce genre de contentieux aussi bien pour les particuliers que pour les entreprises ou même des collectivités ?
Oui, bien sûr. Les avocats interviennent aussi bien pour les trois. Il existe un contentieux qui engage par exemple à chaque fois les administrations, ce sont les questions de permis de construire. Ce sont les mairies qui sont engagées dans ce type de contentieux qui relève du tribunal administratif. On trouve alors des avocats spécialisés en droit public qui peuvent intervenir du côté des mairies ou des particuliers.
Y-a-t-il davantage de conflits en ville ou à la campagne ?
Difficile à dire mais il existe de nombreux dossiers dans les deux environnements. Il y en a de très célèbres autour des chants de coq ou des cloches d’église à la campagne Mais concernant les troubles anormaux de voisinage il est intéressant de parler de la pré-installation de celui qui cause le trouble. Par exemple, si demain vous construisez une maison à côté d’une porcherie, vous ne pourrez pas vous plaindre que la porcherie sent mauvais. On vous dira que vous le saviez avant. En revanche, si vous habitez une petite maison tranquille et qu’une porcherie vient s’installer à proximité, vous pourrez potentiellement attaquer, mais il existe des règles précises dans ce cas donné. Aussi, si vous habitez en ville, il vous sera difficile de vous retourner contre la construction d’un immeuble à côté car par essence, dans une ville, on trouve des immeubles. Toujours est-il que cette notion de pré-installation est très importante mais toute situation reste au cas par cas.