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« Trouble mental et responsabilité pénale » : ce que la loi discerne

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« Trouble mental et responsabilité pénale » : c’était le thème des secondes Rencontres pénales coorganisées jeudi par le Barreau de Saint-Etienne avec la Faculté de Droit de l’université Jean-Monnet. L’évolution législative à la suite de l’affaire Sarah Halimi a donné lieu à des échanges pour autant de points vue de la part d’une universitaire, d’un expert, d’un avocat et d’un magistrat. Une conférence destinée aussi bien aux membres du Barreau qu’aux étudiants stéphanois.

Olivier Bost, bâtonnier de l’ordre, Djoheur Zerouki, maîtresse de conférences en droit pénal, Régis de Jorna, ex-président de la Cour d’assises de Paris et André Buffard, avocat stéphanois. ©If Média/Xavier Alix

Un avant et un après l’affaire dite « Sarah Halimi ». Cette femme juive de 65 ans assassinée en avril 2017 chez elle par Kobili Traoré. Un meurtre au caractère antisémite dont l’auteur des faits avait été jugé pénalement irresponsable par la Cour d’appel de Paris. Décision confirmée par la Cour de cassation en avril 2021, après une vaste polémique nationale amenant le président Emmanuel Macron à déclarer dans le Figaro, le 18 avril de la même année : « Décider de prendre des stupéfiants (Kobili Traoré était un gros consommateur de cannabis et en avait pris au moment des faits) et devenir alors “comme fou” ne devrait pas à mes yeux supprimer votre responsabilité pénale. » Analyse sans doute quelque peu raccourcie des faits et des débats ayant abouti au jugement. Reste que l’émotion suscitée a donné lieu à une évolution de la législation quelques mois plus tard autour du trouble mental et de la responsabilité pénale, les notions « d’altération » et « d’abolition » du discernement allant avec.

Un thème revenu récemment sur le devant de l’actualité avec la non moins affreuse affaire Lola. Mais qui avait été fixé avant celle-ci par le Barreau de Saint-Etienne pour ses deuxièmes « Rencontres pénales » coorganisées jeudi dernier avec la Faculté de Droit de l’université Jean-Monnet. « Nous avons décidé de créer cet événement que l’on espère au moins annuel*, en tous cas régulier, sur des sujets permettant de réunir universitaires, magistrats, étudiants et avocats », explique François Paquet-Cauet, président depuis 2 ans de la commission pénale au sein de l’Ordre de Saint-Etienne. Une commission qui a vocation à former et/ou mettre à jour les connaissances des ses avocats. « Mais avec ce rendez-vous, on s’ouvre davantage et on donne des points de vue qui ne viennent pas des avocats. D’ailleurs, notre partenariat s’est renforcé cette année avec la Faculté de Droit et son Master II Droit pénal. »

Échanges de points de vue

Des étudiants de la Faculté de droit de Jean-Monnet ont pu assister aux échanges. ©If Média/Xavier Alix

Si une centaine d’avocats de la Loire (le Barreau de Saint-Etienne en compte plus de 310) et d’ailleurs était attendue aux échanges dans le plus vaste amphi (JO1) du campus Tréfilerie, une soixantaine d’étudiants ont aussi répondu présent. L’occasion pour eux d’écouter ou réécouter Djoheur Zerouki, maîtresse de conférences HDR (Habilitation à diriger des recherches) en droit pénal, directrice du Master justice, procès et procédures – parcours pénal expliquer l’évolution législative autour de la responsabilité et le trouble mental. « C’est un avocat, Baptiste Bonnet, qui est doyen de la faculté. Alors, cela crée des rapprochements, constate le bâtonnier de Saint-Etienne Olivier Bost. Des avocats venaient certes déjà donner des cours mais on n’a jamais été aussi loin. » Ces secondes Rencontres ne manquaient pas d’intervenants prestigieux : Régis de Jorna, ex-Président de la Cour d’assises de Paris (ayant jugé les attentats de Charlie Hebdo) côté magistrat, le Stéphanois André Buffard, côté avocats.

Enfin, côtés experts, le docteur Vincent Mahé, médecin-psychiatre, expert près la Cour d’appel de Paris, médecin-chef à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris. Autant de points de vue, d’idées et d’analyses présentés et confrontés pour apprendre et débattre sans impulsivité autour d’un sujet plus que délicat. L’émotion provoquée par le faits divers et l’irresponsabilité pénale de l’auteur du meurtre de Sarah Halimi après de très nombreux débats et échanges entre experts a finalement donné lieu à une évolution de la législation avec la loi du 24 janvier 2022. « Elle remodèle de manière sérieuse le concept d’abolition et son degré moindre d’altération, du discernement pour l’auteur de l’acte dans les cas où l’auteur des actes s’est volontairement intoxiqué avec des stupéfiants, sinon par une consommation excessive d’alcool », note François Paquet. Ces « intoxications » volontaires sont désormais plus difficiles à utiliser comme arguments de défense.

« Il est nécessaire que droit et société s’accordent »

A titre « purement personnel », François Paquet-Cauet regrette un certaine logique « faits divers = loi » et que l’on restreigne les analyses au cas par cas des juges et des experts. « Pour moi, la loi doit leur faire confiance et ne pas les orienter. La décision dans le cas Halimi n’a pas été prise à la légère mais à la suite de longs débats, d’expertises, de contre expertises, etc. Il y a un débat complexe à ne pas sous-estimer. » Pour Régis de Jorna, il est cependant « nécessaire que Droit et société s’accordent. Il fallait apporter une réponse. Ce cas fait réfléchir à l’évolution de notre société et les réponses que la Justice doit apporter. Les magistrats ne font pas le Droit, ils le disent. Et sans doute que les notions d’abolition et d’altération telles qu’elles étaient encadrées par loi n’étaient pas en adéquation avec la société actuelle. »    

Il faut remonter à 1994 pour la précédente mise à jour dans ce domaine au sein du Code pénale (la création donc de la notion de discernement), celle du Code… napoléonien qui avait créé et encadré la notion de démence. A quel point pouvait-on continuer à mettre sur le compte de la prise de substances volontaires un acte criminel indépendamment d’une véritable maladie mentale ? Reste que si l’affaire Halimi était jugée de nos jours, observe Régis de Jorna « le coupable aurait déclaré responsable et n’aurait pas bénéficier d’absolution ».    

*L’an passé, ces rencontres étaient consacrées à la pratique des Assises :

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