660 000 habitants concernés par le centre TriValLoire : enjeux, tri et transition
La première pierre symbolique du chantier d’extension du centre de tri de Firminy s’est déroulée le 11 octobre. Baptisé TriValLoire, le futur ensemble confié à Suez concerne 660 000 habitants du sud Loire et même de Haute-Loire. Si la valorisation de leurs déchets recyclables va y gagner, il s’agit avant tout d’avoir la capacité de traiter l’ensemble des emballages ménagers conformément à l’extension des consignes de tri au 1er janvier 2023. Pourtant, la nouvelle version du centre ne sera, au mieux, opérationnelle dans… un an. Explications.
Non. Cette fois, « l’Etat a dit non », nous glisse François Driol, vice-président de Saint-Etienne Métropole en charge de la gestion et du traitement des déchets. Il n’y aura pas de dérogation à propos de l’extension des consignes de tri des emballages exigée par la loi au 1er janvier 2023. Même pas pour les intercommunalités – cela relève de leur compétence – dont le projet pour assumer cette nouvelle charge est acté ou, mieux encore, lancé… Fini cependant ce débat ménager : d’ici deux mois et demi, 660 000 Ligériens et, parmi eux, quelques milliers d’Altiligériens pourront, comme tous les Français, mettre dans la « poubelle jaune » n’importe quel emballage, quelle que soit sa matière, quelle que soit sa finesse ou son degré de souillure. Pourtant, l’extension et les nouveaux équipements de l’actuel centre de tri de Firminy géré par Suez devant le permettre ne seront pas opérationnels avant… « l’automne 2023 ».
Interrogé par If Saint-Etienne à ce sujet, le groupe nous a assuré que « même si le nouveau centre de tri des déchets, TriValLoire, sera encore en travaux à cette date (au 1er janvier 2023, Ndlr), le site actuel de Firminy sera capable de trier les nouveaux plastiques. Les pots de yaourt ou les barquettes plastiques par exemple, seront bien triés et orientés vers les filières de valorisation. Cette situation transitoire a été validée par Citeo (éco organisme agréé par l’Etat, Ndlr), en attendant la mise en place du nouveau process. » Suez affectera 4 agents supplémentaires durant cette période transitoire où « le débit de traitement passera de 9 à 2 t par heure ». Il est annoncé aucune interruption dans la gestion des flux des déchets. « Via le cahier des charges du marché conclu, l’entreprise délégataire a donné la garantie qu’elle sera en mesure d’assumer dès le 1er janvier. Même si pendant ces quelques mois, ils fonctionneront dans ce qu’on appelle un « mode dégradé » », note François Driol.
Un investissement public de 32 M€
Comprendre un fonctionnement d’urgence, pas forcément le plus confortable et optimal. Mais le job sera fait, assure le maire d’Andrézieux-Bouthéon qui est aussi un président. Celui du Sydemer pour « Syndicat mixte d’étude pour le traitement des déchets ménagers et assimilés résiduels du Stéphanois et du Monbrisonnais ». Si elle est logiquement l’intercommunalité « moteur » du projet, TriValLoire ne sera pas le centre de tri des déchets recyclables de Saint-Etienne Métropole mais d’un groupement composé par les cinq intercommunalités membres de ce Sydemer. Celles-ci – Saint-Etienne Métropole donc, Loire Forez Agglomération, les communautés de communes de Forez Est, des Monts du Lyonnais et du Pilat Rhodanien – étaient déjà clientes, individuellement, de la version actuelle du centre de tri. Elles le sont aussi, mais via le Sydemer, sur l’enfouissement assuré depuis des décennies par le site de Borde Matin à Roche-la-Molière, lui aussi aux mains de Suez. Le Sydemer veut d’ailleurs y réduire son apport annuel en déchets de 100 0000 t d’ici 10 ans.
Du fait mais pas que – par exemple, autre sujet, autre filière, le recyclage des biodéchets obligatoire en 2024 – de l’envoi à TriValLoire d’emballages jusque-là enfouis. Un projet sur lequel les 13 communes de la Loire et Haute-Loire du Sictom Velay Pilat (syndicat depuis intégré au Sympttom), lui aussi déjà client de Suez sur le tri, se sont greffées. De quoi totaliser 660 000 habitants concernés. Suez qui était déjà en charge et propriétaire de l’équipement existant, a officiellement obtenu le renouvellement de son marché il y a un an. Un contrat de concession de 12 ans signé par les cinq intercommunalités et le Sictom Velay Pilat avec le groupe dont les deux premières années sont ainsi consacrées à la conception et la construction de l’extension du centre de tri. L’investissement, financé par les collectivités locales avec l’aide de l’Ademe et Citeo, à hauteur de 10 % à eux deux, s’élève à 32 M€.
La collectivité récupère la propriété des lieux
Au sein de Saint-Etienne Métropole, des conseillers d’opposition s’étaient « interrogés » sur l’obtention du marché par Suez alors que, parallèlement, le groupe voit la rentabilité du site de Borde-Matin, à terme, du moins dans sa configuration actuelle, remise en cause du fait des objectifs de réduction de l’enfouissement avant de perdre son marché historique sur l’eau potable (médiatisée en mars 2022) sur Saint-Etienne et ses environs tout en gagnant parallèlement 60 % l’assainissement de Métropole. A qui soupçonnerait une « compensation » programmée, François Driol répond volontiers : « A part moi, personne à l’exécutif de Métropole, pas même Gaël Perdriau n’est venu mettre son nez dans les négociations. On a choisi la meilleure offre, c’est tout. La note technique était équivalente mais Suez était bien moins cher – autour de 10 % – que son seul concurrent. En soumettant Suez à la concurrence, nous avons pu, dans le cadre du marché conclu avec le groupe récupérer la propriété des lieux ».
A part moi, personne à l’exécutif de Métropole, pas même Gaël Perdriau n’est venu mettre son nez dans les négociations. Suez était moins cher. On a choisi la meilleure offre, c’est tout.
François Driol, vice-président de Saint-Etienne Métropole à la gestion et au traitement des déchets
Une maîtrise publique de l’équipement capitale vis-à-vis de l’enjeu, aussi pertinent que celle des barrages quand il s’agit de l’eau… Pour le vice-président de Saint-Etienne Métropole en tout cas, la mise en concurrence de Suez sur le tri l’a davantage poussé à se surpasser que dans le cadre du marché perdu sur l’eau. L’élu fait par ailleurs remarquer que le seul candidat concurrent, le groupe Paprec a vu son président placé en garde à vue en mai puis mis en examen dans le cadre d’un soupçon de corruption vis-à-vis d’un marché d’un centre de tri dans l’Oise… Une fois en place, la surface bâtie de TriValLoire va quasiment doubler. Il emploiera 55 personnes. Pas plus qu’avant, les équipes n’étant, humainement renforcées que par le partenariat avec le groupe d’insertion Id’ees. Le contrat intégrera des équipiers dépêchés par cette structure : 35 980 heures d’insertion professionnelle par an. Techniquement en revanche, un cap sera franchi.
L’IA et les robots de Siléane à l’œuvre
Le site sera équipé de 13 séparateurs optiques et doté de trois robots, conçus et fabriqués par l’entreprise stéphanoise Siléane. Ils y seront chargés d’exécuter les tâches de tri les plus complexes et pénibles. L’un de ces atouts « innovants » autour de l’intelligence artificielle est actuellement testé dans l’existant. Représentant Suez le 11 octobre à la première pierre de Firminy, François Pyrek, son directeur recyclage et valorisation services aux collectivités Aura et Paca, ajoute que « TriValLoire sera une infrastructure respectueuse de l’environnement grâce à la récupération de la chaleur émise par le process pour chauffer les cabines de tri, l’utilisation des eaux pluviales pour laver les véhicules ou encore l’intégration d’équipements économes en énergie. Enfin, nous souhaitons lui donner une dimension pédagogique en l’ouvrant aux visites des scolaires ».
Dans le cadre de son nouveau contrat, Suez s’est engagé à capter au minimum un taux moyen de 88,5 % des matériaux valorisables entrants sur le site (les 11,5 % restants seront donc destinés à être « enfouis » et « valorisés » autrement, c’est-à-dire en Installation de stockage de déchets non dangereux »). Certes, mais de quelle base on part avec « l’avant » TriValLoire ? En 2021, près de 50 000 t de déchets sont entrées sur le site, un peu plus de 37 000 en sont sorties pour être valorisées (soit 74 %), précise Suez à If qui, cependant, tient à préciser que l’objectif minimal de 88,5 % « ne peut être comparé à un « avant TriValLoire » car les engagements de performance et les flux ne sont pas les mêmes. Néanmoins, l’objectif reste le même : maximiser la valorisation pour minimiser le taux de refus, c’est-à-dire les déchets refusés en raison des erreurs de tri et du process ».
La nature avant le poids
« A titre d’information », ajoute le groupe, le taux de refus était de 24,74 % en 2021 pour les déchets provenant des six intercommunalités. « Il est projeté pour TriValLoire de passer ce volume à 20 % sur la base de flux de déchets entrants identiques. » La communication autour du projet parle d’une capacité de 45 000 t annuelles. Sur ce tonnage, 34 000 (et jusqu’à 37 000 en 2030) sont « réservées » aux 6 intercommunalités, les 11 000 restantes le seront pour d’autres clients. En fait, Suez pourra éventuellement aller au-delà de ces 45 000 t, comme le groupe le fait déjà en cas de besoin : prendre le relais d’un autre centre technique, en panne ou en maintenance, comme l’an passé, en ouvrant des plages horaires de travail temporaires le samedi matin. Sinon en heures supplémentaires.
Mais si 50 000 t, certes dans un contexte de surrégime, sont arrivées dans le centre en 2021, comment expliquer qu’avec davantage d’emballages pris en charge à partir du 1er janvier, sa nouvelle version à la surface presque doublée pour l’assumer ne doive pas augmenter sa capacité de tonnage ? Saint-Etienne Métropole nous précise que son seul tonnage à elle va par exemple passer de 16 700 t en 2021 à une estimation entre 18 à 21 000 d’ici quelques années. La collectivité donne des explications : « On peut difficilement mesurer les flux autrement qu’en tonnages mais cela ne reflète pas la réalité des volumes de déchets triés et leur nature arrivant au centre. Par exemple, la chute spectaculaire des volumes papier mis au tri a fait reculer le total. Recul parallèlement, en partie compensé, là aussi en raison d’une évolution sociale que le Covid a accentué, par le carton lié au e-commerce. »
« Nous sommes très, très en retard sur le sujet »
Aussi, « le tonnage en soi est à relativiser car certains déchets n’arrivent plus, sinon moins. Et aussi parce qu’il y a une notion de volume d’un déchet à prendre en compte dans le process (du plus léger peut prendre plus de place, Ndlr). Le véritable enjeu, c’est d’être en capacité à prendre en charge et recycler des déchets nouveaux, d’une autre nature. » Déçue de ne pas avoir été conviée à la pose symbolique de la première pierre de TriValLoire malgré la tenue, la semaine juste avant, de la commission déchets de Métropole dans laquelle elle siège, Julie Tokhi, conseillère stéphanoise communautaire d’EELV estime sa collectivité et donc aussi, les cinq autres associées au projet « très, très en retard sur le sujet ».
Elle explique à If Saint-Etienne que « la nécessité d’une modernisation était connue et attendue depuis longtemps. Résultat : elle ne sera pas prête au 1er janvier alors que Citeo communique déjà sur l’extension des consignes. En attendant, quelles conséquences sur la valorisation à Firminy ? Va-t-on envoyer par camions et pendant des mois les nouveaux emballages aptes théoriquement au recyclage pour un enfouissement, une incinération ? On vous assure que non ? Moi en tant qu’élue siégeant à la commission, je n’ai pas vu de présentation de solutions répondant positivement à ces interrogations ». Et au retard sur le fond s’ajoute celui de la forme avec une campagne de com’ locale qui n’est « prévue que pour janvier prochain, une fois l’extension des consignes de tri applicable ! »
Pas à la hauteur des enjeux pour les écologistes
La vérité selon l’opinion de l’élue écologiste, c’est que « malgré l’urgence climatique et environnementale en général, améliorer le tri n’est toujours pas une priorité chez nous. Ok, 32 M€ sont investis mais à six intercommunalités et à l’échelle de 660 000 habitants. Quand vous comparez avec les initiatives de petites communautés de communes en France de quelques dizaines de milliers d’habitants qui y mettent plus de 10 M€, on prend conscience de la faiblesse de notre projet. Le raisonnement est « court-termiste » : se mettre en conformité, point. Parallèlement, Métropole, seule, va mettre 60 M€ sur le projet Cité du design 2025 (mais 35 M€ de sa poche, Ndlr) ou encore, dans le même temps 22 M€ (dont 13 M€ subventionnées par l’Etat, la Région et el Département) dans une patinoire olympique à l’utilité contestable. »
Le raisonnement est « court-termiste » : se mettre en conformité, point.
Julie Tokhi, conseillère stéphanoise communautaire d’EELV
Autre illustration de ce manquement aux yeux de Julie Tokhi, la présentation à la commission déchets de juin d’un pré-rapport montrant un coût de la gestion des déchets sur Saint-Etienne Métropole de 81,4 € HT par an par habitant contre 98 € HT en moyenne en France. « L’exécutif s’en est enorgueilli. C’est en réalité une non-volonté d’investissement. » Si ses bases augmentent indépendamment de la volonté de Métropole, la Teom (taxe d’enlèvement des ordures ménagères) ne sera, quoi qu’il en soit, pas impactée par le nouveau centre de tri. Sur le retard pointé du doigt par Julie Tokhi, Saint-Etienne Métropole rappelle qu’un projet à 6, « par solidarité entre territoires » complexifie le montage. Mais aussi que le Covid a retardé la mise en place du nouvel exécutif et donc la consultation publique, le projet, travaillé lors du mandat précédent étant prêt au printemps 2020. Et qu’enfin, le débat national en 2019 sur la création d’une consigne pour les bouteilles plastiques n’avait pas aidé…