Saint-Étienne
vendredi 13 décembre 2024
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Adopte un Parisien : Saint-Étienne suit-elle la tendance « opération séduction » des territoires ?

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La ville met en avant ses arguments pour faire venir des étudiants. ©SEM

La crise sanitaire a accéléré le désir de quitter les grandes métropoles au profit de villes à taille plus humaine. Ainsi, on a vu fleurir les campagnes de communication de territoires vantant leurs atouts, avec l’espoir de voir Parisiens ou encore Lyonnais les rejoindre. La rédaction de If Saint-Étienne a voulu savoir comment la Ville se positionnait sur le sujet.

«Historiquement, l’Île-de-France est un territoire déficitaire sur les échanges avec d’autres villes, chez les 30-45 ans, explique Vincent Gollain, directeur du département économie de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France, expert en marketing territorial. Ce phénomène a été accéléré par la crise sanitaire et a aussi touché Lyon et Bordeaux. À Paris, cela a mené les habitants à la banlieue et à la 3e couronne, avec des mouvements vers le littoral atlantique, la Côte d’Azur dans une moindre mesure, et d’autres grandes villes, notamment Marseille. » Ainsi, la crise sanitaire et avec elle, le développement du télétravail, semble avoir rebattu les cartes et donné des envies d’ailleurs aux habitants des grandes métropoles.

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La ville met en avant ses arguments pour faire venir des étudiants. Ici dans les couloirs du métro parisien. ©SEM

Depuis, tout le monde leur fait les yeux doux et de nombreux territoires surfent sur la tendance, tentant d’attirer de potentiels candidats à l’installation. Campagnes d’affichage, réseaux sociaux, aide au déménagement, week-ends découverte… on ne compte plus les initiatives en ce sens. « Beaucoup de territoires se sont dit que la crise avait donné envie aux grands urbains de l’être un peu moins, et qu’il y avait donc quelque chose à creuser. Mais c’est un marché très concurrentiel », assure Vincent Gollain. Cette stratégie est-elle payante et est-elle la bonne ?

Une image compliquée ou absente

Chaque ville a ses spécificités pour valoriser son territoire. Si Saint-Étienne a des atouts, ils restent encore méconnus et se refaire une image peut prendre du temps. «Lorsque nous sommes arrivés en 2014, nous avons, avant toute chose, fait un diagnostic du territoire. On s’est aperçu qu’il n’y avait pas ou peu de communication sur Saint-Étienne, ou que celle-ci était négative, avec notamment les emprunts toxiques, raconte Jean-Pierre Berger, adjoint à l’urbanisme au logement. Le premier boulot du maire a donc été de beaucoup parler de sa ville, auprès des médias locaux, régionaux, nationaux. En communication, si le message n’est pas porté, il ne passe pas. Il l’a ensuite décliné auprès des Stéphanois car ce sont les meilleurs ambassadeurs de leur ville. Rendre les Stéphanois à nouveau fiers de leur ville était une bonne part du boulot à faire. »

« Rendre les Stéphanois à nouveau fiers de leur ville était une bonne part du boulot à faire. »

Jean-Pierre Berger, adjoint à l’urbanisme et au logement.

Certaines étiquettes collent donc à la ville, comme la mine, la désindustrialisation, la crise qui s’en est suivit. « La ville a repris la parole en 2014, estime Olivier Barbé, directeur général de la communication et du marketing territorial de la Ville de Saint-Étienne. Jusqu’ici, elle était campée dans une image de ville noire, en crise, de chômage. Ou à l’inverse, les plus jeunes en avait une absence totale d’image. On a donc décidé de créer une rupture complète, d’arrêter de parler de notre passé industriel, même si on l’intègre. On a cessé de parler de ville en reconversion. La ville va bien, merci, elle est déjà reconvertie. » La municipalité a donc défini une stratégie pour la ville, et communiqué auprès de cibles définies.

Stop au « Saint-Étienne bashing »

Dans un premier temps, il fallait stopper l’hémorragie puisque la ville perdait chaque année des habitants. Et, depuis 2016, elle en gagne à nouveau. « L’attractivité de la ville c’était l’essentiel, via le quotidien, la propreté, la sécurité, raconte Jean-Pierre Berger. Ça a été le leitmotiv des deux premières années. La deuxième approche était l’urbanisme. Il fallait démolir car il y avait beaucoup de vacances et une paupérisation du centre-ville. Et cela se poursuit, car nous démolirons 27 000 mètres carrés cette année, ce qui est la moyenne chaque année. Cela permet de créer des îlots de fraîcheur, de supprimer les friches. Et cela redonne de l’attractivité bien sûr. Nous avons également réhabilité près de 6 000 logements, et reconstruit autrement, de petits logements, qualitatifs, du logement individuel, etc. » Une stratégie visant à fixer les classes moyennes qui désertaient la ville, et à attirer les seniors ainsi que les populations venues de l’extérieur.

Avant de communiquer, il faut que cela ait du sens

Olivier Barbé, directeur général de la communication et du marketing territorial de la Ville de Saint-Étienne

Parmi les populations ciblées par les territoires, il y a également les étudiants, qui représentent un réel enjeu. « Avant de communiquer, il faut que cela ait du sens, lance Olivier Barbé. Nous avons opté pour que Gaël Perdriau soit le commercial de sa ville et vende son territoire. Nous avons relancé une dynamique sur la filière de l’enseignement supérieur. À l’époque il n’y avait pas d’EM Lyon, de Sciences Po, une seule formation design là où il y en a quinze actuellement. Nous avons développé la vie étudiante en ville et le logement étudiant. C’est vrai que l’immobilier est moins cher que dans beaucoup de villes, mais le réel atout pour les étudiants c’est le cadre de vie, et nous le mettons en avant dans nos campagnes. » Une stratégie qui est la bonne selon Vincent Gollain, bien qu’il concède qu’on ne change pas sa réputation du jour au lendemain, et que cela prend facilement une génération.

A Lille aussi, Saint-Etienne communique sur la vie estudiantine. © SEM

Séduire, oui, mais miser sur le bon cheval

Selon lui, comme pour une campagne de publicité traditionnelle, il faut donc savoir à qui s’adresser lorsque l’on communique sur son territoire. « Quand on s’adresse à des cibles, on ne tombe pas dans l’effet de mode. Les étudiants sont un bon exemple, car c’est la qualité de vie estudiantine qui compte aussi. C’est un panier de critères comme les formations, la sympathie de la vie étudiante, la question du coût, de pouvoir trouver un job étudiant sur place, ou de pouvoir y travailler une fois diplômé. Certaines métropoles ont bien compris cela en imitant l’international, comme Strasbourg qui fonctionne avec des packs auprès des étudiants, comprenant Internet, transports et logement. En attirant les étudiants, les collectivités ont bien sûr en tête de les garder plus tard. Ce sont des stratégies qui sont construites, en cherchant des talents, que l’on va connecter aux entreprises par la suite. » Le Parisien et le Lyonnais ne seraient-ils pas de bon poulains alors ? Et bien si, mais pas que.

La Ville a fait le choix de ne pas cibler exclusivement ces populations, mais plutôt de miser sur une offre. Une offre à destination des étudiants, certes, mais aussi des entrepreneurs. « Avec Manutech par exemple, le New Manufacturing 2.0 se crée ici, pointe Olivier Barbé. Nous avons une filière exceptionnelle dans le textile de la santé, qui fait partie de ce marketing territorial. Il y a bien sûr le design et ses filiales, ainsi que l’installation récente du Conseil supérieur du design dans la ville. Nous avons mis en place des aides à la création d’entreprises, dont un schéma d’hébergement pour attirer sur le territoire, de la pépinière à la ZAE. Saint-Étienne a été originale et n’a pas fait de campagnes d’affichage avec comme argument, le seul ‘Venez vivre chez nous, c’est bien vert’. Nous sommes allés voir les Français avec une vraie offre. ‘Viens chez moi car nous sommes le leader mondial sur telle ou telle filière’, ‘Viens étudier chez nous, c’est possible’, etc. ». Car les retombées, pour les territoires qui misent sur l’après Covid, et le changement de vie, peuvent être maigres.

Veiller à la dépense

Comme l’explique Vincent Gollain, si l’on a tous en tête la vision de la très grande entreprise qui communique partout, les territoires eux, sont des TPE. D’où l’importance d’opter pour une stratégie ciblée. « Si derrière ces campagnes, vous n’avez pas un dispositif de conversion, cela ne prend pas. Quand on veut être efficace par rapport à des cibles, on concentre ses efforts et on connaît mieux son public. On s’adresse mieux à lui avec une offre de services qui est claire. Beaucoup de campagnes ont été menées par les territoires dans le métro au moment même où les Parisiens prenaient le moins les transports. Mis au regard de la dépense, si cela fait venir une dizaine de familles c’est le maximum, mais le plus souvent cela fait venir les gens pour un week-end. Il ne faut pas faire de la communication comme les autres, mais se demander comment être le plus efficace dans la dépense mise sur la table.* » Ainsi, quand on cherche à déménager, à changer de région, de ville, on veut pouvoir prétendre à une offre complète. On ne se contente pas d’un environnement qui pourrait nous enchanter le temps d’un séjour.

Il ne faut pas faire de la communication comme les autres, mais se demander comment être le plus efficace dans la dépense mise sur la table.

Vincent Gollain, directeur du département économie de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France, expert en marketing territorial

Une société mobile

« Aujourd’hui, la ville a une image, elle est construite, elle n’est plus en mutation, souligne Olivier Barbé. Nous sommes la capitale du design, du son haute-fidélité, de l’ingénierie de la santé… et nous, nous ne faisons pas venir les Parisiens en leur vendant un mini-Paris, ce qui est le positionnement de Lyon. Il ne s’agit pas de simplement dire que les loyers sont moins chers, cela n’est pas suffisant pour emménager. Il faut une capacité à offrir des CDI, à aider les nouveaux habitants à développer leur réseau, à trouver un emploi au conjoint. Pendant longtemps la communication auprès des étudiants mettait uniquement en avant le prix des loyers. Mais dans ce cas, on peut aussi partir faire des études à Bratislava, ce sera encore moins cher ! Saint-Étienne est la 4e ville étudiante pour ses filières ! Donc oui, nous menons des campagnes de communication et de marketing territorial, mais basées sur une réalité. » Selon Vincent Gollain, la prochaine étape pour les territoires est d’intégrer le fait que les gens ne vont pas venir s’installer à vie, nous sommes dans une société de la mobilité. Quant à ceux qui ont d’ores et déjà franchi le cap ou s’apprêtent à le faire, en sont-ils satisfaits ?

Un gros potentiel

Lucie Pagès et Guillaume Collet sont en passe de quitter Paris, et deviendront Stéphanois au mois d’avril. C’est ici qu’ils ont choisi de se poser pour créer leur festival du court-métrage. « Quand nous avons annoncé notre projet d’emménager à Saint-Étienne à nos amis parisiens qui ne connaissent pas la ville, nous avons eu deux types de réaction, raconte Lucie. Il y a ceux qui étaient surpris, car la ville n’a pas toujours une bonne image. Puis, d’autres, plus éclairés, voyaient au contraire que beaucoup de choses s’y passent. Pour moi, c’est plus cette version qui correspond à la réalité. Ici, on ne nous voit pas comme des ‘Parisiens’. Je suis originaire de Nice, et par exemple, là-bas on est perçus en tant que tels. » Pour ceux qui craindraient une offre culturelle réduite en province, Guillaume Collet poursuit. « On a découvert la ville sous un angle hyper positif, via la galerie Ceysson & Bénétière, avec la Comédie juste derrière, on voit que c’est dynamique. La culture associative y est beaucoup plus forte qu’ailleurs. »

« Ce qui a été fait aux Halles me donne espoir. Il faudrait limite qu’il y ait cinq ou six projets comme ça dans la ville. »

Camille, installée à Saint-Etienne depuis 18 mois.

Un travail sur le changement d’image qui reste à poursuivre. En effet, sur le site Ville idéale, qui regroupe les points négatifs et positifs relevés par les habitants, Saint-Étienne est sévèrement notée 5,33 sur 10. La culture, l’enseignement, les transports et la santé y sont mis en avant, tandis que les commentaires pointent du doigt des soucis liés à la sécurité. Toutefois, beaucoup reconnaissent que la vision de la ville dans l’imaginaire collectif, ne lui rend pas justice. Comme Camille, que nous avons rencontrée, installée à Saint-Étienne depuis maintenant 18 mois. « Il y a une offre culturelle assez importante, c’est un point positif et la ville est vraiment différente de l’image qui lui colle à la peau. En revanche, je me demande toujours pourquoi les commerces ferment leurs portes entre 12 heures et 14 heures alors que c’est pendant leur pause déjeuner que les gens vont consommer. Et puis, il y a ce sentiment que le centre-ville est un peu sinistré, même si le mot est fort, mais beaucoup de commerces sont vacants, on sent que le centre-ville ne s’est pas complètement remis de la désindustrialisation. Mais ce qui a été fait aux Halles me donne espoir. Il faudrait limite qu’il y ait cinq ou six projets comme celui-là dans la ville. Elle a un gros potentiel. » Le message est lancé.


*Alors que le budget 2022 s’apprête à être présenté au prochain conseil métropolitain, le marketing territorial représente 1 million d’euros. Il comprend les activités étudiantes, entrepreneuriales, économiques, résidentielles et l’attractivité générale du territoire. Olivier barbé reconnait qu’il s’agit d’un budget restant modeste par rapport aux autres collectivités, mais la ville a choisi de miser sur l’originalité.

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