Saint-Étienne
mardi 3 décembre 2024
00:28
Soutenez IF

Casino : où en est la demande d’enquête parlementaire ?

0
1403 vues
Assemblée Nationale
©AssembléeNationale

Elle avait été demandée à cor et à cri par Xavier Kemlin, héritier parmi d’autres des Guichard, envisagée un temps par l’ex député Renaissance de Saint-Etienne Quentin Bataillon avant qu’il ne renonce rapidement puis, enfin, officiellement réclamée en janvier 2024 à la présidente de l’Assemblée nationale par les LR via le député forézien Jean-Pierre Taite. Et depuis ? Les voix d’élus réclamant une enquête parlementaire, se penchant sur les « dysfonctionnements » ayant amené la chute de Casino, n’ont pas été spécifiquement tues par la dissolution. Selon les échanges que nous avons eus ce jour avec différents élus, c’est un peu plus compliqué que cela. Et la machine pourrait malgré tout se mettre en branle d’une autre manière. Explications.

« Mesdames et messieurs les élus, je vous rappelle vous avoir fait parvenir une demande d’enquête parlementaire… » Drapeau tricolore dans une main, prise de parole théâtrale : c’est face à la tête du cortège prêt à s’élancer ce dimanche 17 décembre 2023 devant le siège stéphanois de Casino que Xavier Kemlin avait lancé son interpellation. Héritier parmi d’autres de la famille Guichard, réputé excentrique et quelque peu excessif en partie pour sa plainte contre Valérie Trierweiler pour « détournement de fonds publics » ou encore très récemment avec sa candidature aux législatives 2024 ayant utilisé l’image de Geoffroy-Guichard – le stade – sans l’autorisation de Saint-Etienne Métropole et de l’ASSE, Xavier Kemlin est lui-même personnellement déjà engagé depuis des années dans une croisade juridique contre Jean-Charles Naouri, ex PDG de Casino. Il considère en effet que ses agissements ont amené la perte de Casino – bien au-delà d’un échec qui serait purement lié à des choix économiques – alors qu’ils n’auraient pas dû être possibles légalement.

Assemblée Nationale
©Assemblée Nationale

Selon la publication du Monde du 18 décembre 2023, peu avant cette interpellation en public, six héritiers Guichard ont porté plainte contre X et Jean-Charles Naouri qu’ils soupçonnent d’abus de biens sociaux, rejoignant ainsi ce combat (Xavier Kemlin ayant déposé ses plaintes en 2018 et 2019 puis encore en février 2023). Les nombreux arguments et interrogations déployés précisément par Xavier Kemlin, apparemment bien aidé par son réseau quant à leur rédaction, n’ont, eux, jamais été analysés comme excentriques et quelques peu excessifs par les politiques ou, surtout, les spécialistes de la grande distribution auxquels nous les avons confrontés. Et si parallèlement, l’Agence France Presse révélait en juillet 2024 que Jean-Charles Naouri risquait un procès pour corruption et manipulation de cours, Xavier Kemlin a récemment fait part aux médias de l’abandon par Casino-Perrachon et Rallye de leur plainte pour diffamation contre lui. Une décision actée le 24 octobre par la chambre correctionnelle selon le document transmis par l’intéressé à notre rédaction.

Une demande déposée en janvier 2024

Et « côté parlementaire » du coup ? L’ex député Renaissance stéphanois Quentin Bataillon nous avait, dans un premier temps, expliqué en décembre 2023 être plutôt favorable – et même en avoir « parlé directement au Président Emmanuel Macron » –  à l’idée de lancer une enquête parlementaire : « A terme, sous la forme d’une commission d’enquête parlementaire ou sous une autre, il sera nécessaire de s’interroger pour comprendre comment on en est arrivé là et comment on ne doit plus en arriver là. Il y a un intérêt fort ». Il nous indiquait alors que « les « questions légitimes » ne manquaient pas : « Comment Jean-Charles Naouri a pu racheter autant, en s’endettant autant, sans que l’autorité de la concurrence, celle des marchés financiers, l’Etat, les banques elles-mêmes ne disent pas « stop » ? ». En conséquence, des « manipulations des règles », sinon des « failles » du système à la lumière de ce qui arrive au groupe Casino qui semble, hélas, se profiler en « cas d’école », tel que le qualifiait le député, pourraient potentiellement être mises en évidence par le biais d’une « commission parlementaire transpartisane ».

Xavier Kemlin face aux parlementaires le 17 décembre 2023 à Saint-Etienne. ©If Saint-Etienne/Xavier Alix

La demande de sa création n’est jamais tombée de sa part, se contentant de tenter la mise en place d’un « Collectif Casino » avec la CCI, celui-ci ayant « fait pschitt » selon le titre et les raisons évoquées par nos confrères du Progrès dans cet article. En revanche, la demande d’ouverture d’une enquête parlementaire a, elle, bien été lancée par un autre parlementaire ligérien : le député forezien LR Jean-Pierre Taite aux relations par ailleurs conflictuelles avec Quentin Bataillon depuis une rupture entre les deux hommes il y a quelques années dans le contexte de la municipalité de Feurs. Demande enregistrée le 9 janvier 2024 au nom du groupe des LR qui s’adressait à la présidente de l’Assemblée nationale à laquelle s’associaient 13 autres députés dont les Ligériens républicains Antoine Vermorel-Marques et Sylvie Bonnet. Il s’agissait plus exactement d’une « proposition de résolution » dont l’unique article réclamait de créer cette commission d’enquête spécifique composée de 30 membres.

Il est de notre responsabilité de faire le point avec précision sur les raisons de ce désastre, sur les responsabilités des parties-prenantes et sur le déroulé de cette faillite annoncée.

Elle aurait été, selon les intentions affichées par la proposition, ainsi chargée d’étudier : « Les dysfonctionnements de l’Autorité des marchés financiers et du parquet national financier sur le dossier Casino ; de faire le point sur les éventuelles protections et le soutien abusifs des établissements bancaires alors qu’ils étaient saisis sur les malversations et la future banqueroute du groupe Casino ; d’émettre des propositions et des recommandations afin d’éviter de futurs démantèlements de groupes historiques nationaux et leurs lourdes conséquences sur l’emploi. « Il est de notre responsabilité de faire le point avec précision sur les raisons de ce désastre, sur les responsabilités des parties-prenantes et sur le déroulé de cette faillite annoncée. De même, il est de notre rôle de faire des propositions et des recommandations pour éviter qu’un fleuron français soit à nouveau démantelé, causant ainsi un nouveau drame économique », introduisait la proposition.

Le Parquet national financier déjà « sur le coup »

Pour rappel, au sein d’une commission d’enquête parlementaire, « les élus ne rendent pas la justice, mais assurent une fonction de contrôle consistant essentiellement à demander des comptes et à produire un rapport. La terminologie ne doit pas tromper : l’enquête parlementaire n’a rien à voir avec l’enquête judiciaire », soulignait Philippe Blachère en octobre 2023 sur le site d’informations public gouvernemental vie-publique.fr . Le professeur à l’université Jean-Moulin Lyon III, directeur du Centre de droit constitutionnel de Lyon y détaille et vulgarise l’évolution de cette fonction de « contrôle » s’ajoutant au pouvoir législatif du Parlement et donnant lieu à un rapport avec ses recommandations. Leur objectif est donc davantage d’identifier et de comprendre comment le fonctionnement des règles et garde-fous publics ont pu être défaillants et/ou contournés, sinon manipulés. C’est sur cet angle que travaille une enquête parlementaire. Qu’il s’agisse de la gestion du service public (comme pour l’affaire d’Outreau en 2005), d’une entreprise publique ou encore beaucoup plus largement de « questions de société », vie-publique.fr citant en exemple dans cette catégorie les « mécanismes de spéculation financière ».

If a pu s’entretenir ce matin avec le député Jean-Pierre Taite afin de lui demander ce qu’était devenue sa proposition de résolution. Si la dissolution et donc le changement de législature auraient de toute façon mis à bas la procédure, du moins auraient obligé à repartir de zéro, cela n’a pas été le cas pour sa proposition. Et pour cause, elle a été quasi morte née : « Une demande d’enquête parlementaire est soumise à l’avis du Garde des Sceaux par la présidente de l’Assemblée. Or, celui-ci a donné sa réponse fin février : la création d’une commission et donc d’une enquête sur Casino est peu envisageable dans la mesure où le Parquet financier (celui-là même qui est interrogé sur ses propres « dysfonctionnements » dans l’introduction de la demande de commission, Ndlr) mène déjà des enquêtes sur M. Naouri et Casino et que nos propres investigations croiseraient le périmètre des siennes. Ce qui n’est pas possible conforme au règlement. Nous n’avons pas relancé, une fois réélus en juin (il l’a été avec Antoine Vermorel-Marques et Sylvie Bonnet, Ndlr) car nous savons que la réponse sera la même. »

Les écologistes stéphanois la réclament à leurs parlementaires

Les LR de la Loire avaient donc dégainé les premiers, tout en proposant dit Jean-Pierre Taite, au Stéphanois Quentin Bataillon de s’associer – « en vain, à ma grande surprise… » – mais pas à la LFI Andrée Taurinya qu’il considère d’un bord « trop extrême » pour s’associer à elle. Nous avons essayé, en vain aussi, ce jour de contacter à ce sujet les deux – ex élu et réélue – en question pour mieux comprendre leur position, la députée insoumise ayant été très peu vue sur le dossier Casino. Il peut d’ailleurs paraître – à moins que la clé de compréhension ne soit justement dans le « paraître » ou non… – étonnant qu’aucun parlementaire de gauche ne se soit saisi de l’initiative d’une commission parlementaire mettant, on ne peut mieux, en exergue les errements du capitalisme et de la finance. En décembre 2023, la sénatrice communiste ligérienne Cécile Cukierman se montrait toutefois justement sceptique sur la pertinence réelle d’une enquête au-delà d’un buzz médiatique : « Une enquête sur quoi ? Tout est hélas bien connu et déjà vu ici. Il n’y a pas besoin d’une réunion de personnalités politiques pour constater que le capitalisme, ce n’est pas bien et aboutit à ça. »   

©If Saint-Etienne/Julie Tadduni

11 mois plus tard, dans un communiqué publié ce mercredi matin, les élus écologistes stéphanois – le groupe Le Temps de l’Ecologie – fait part d’un courrier envoyé aux députés et sénateurs EELV (avec en copie, tous les parlementaires de la Loire confondus ainsi que les syndicats de salariés et patronaux) leur demandant de bien vouloir initier « une commission d’enquête parlementaire sur la faillite du groupe Casino ». Olivier Longeon, co-président du groupe expliquait ce matin sa démarche auprès d’If après le constat du désespoir, du ras-le-bol des employés de Casino, déjà ex ou non, voire d’une partie de la population de la Loire, de ne voir absolument rien bouger à ce sujet. « Nous n’arrivons même pas à développer une réflexion socio-économique à ce sujet alors que la casse dans la grande distribution risque de se poursuivre : pourquoi ? Le laboratoire stéphanois Lasair a bien essayé mais en vain, faute de parvenir à mobiliser. » Qu’en pensent les députés de gauche de la Loire ? Si nous n’avons pas réussi à nous entretenir avec Andrée Taurinya donc, le socialiste Pierrick Courbon, lui aussi sur les bancs de l’opposition municipale stéphanoise jusqu’à son élection au Palais Bourbon en juin, nous a répondu.

Pierrick Courbon veut lancer une commission d’enquête plus large

Il ne lancera effectivement pas d’enquête parlementaire spécifique sur Casino comme celle réclamée par les écologistes ou les LR en janvier. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il ne travaille pas sur le dossier. Bien au contraire, explique-t-il. « Déjà, posons le contexte et rappelons que l’idée d’une enquête parlementaire fait, aussi, souvent l’objet d’une opération de communication de la part de parlementaires, il faut bien le constater. Ce qui n’enlève rien à la légitimité des sujets en soi. Cependant, restons nuancés : dans un cas comme Casino, il est aussi très bon de le manifester, d’effectuer cette démarche pour que le sujet ne sorte pas des radars même si on peut se douter d’avance que cela n’ira pas tel quel au bout », analyse-t-il. Ensuite, « il faut comprendre qu’il y a une tendance à l’inflation au niveau des demandes de la part des groupes politiques. Chaque groupe a droit à un « tirage » par an, en gros une enquête par an. Il y a donc, en permanence, pour chacun d’entre eux 3, 4, 5, voire une dizaine de « demandes » en attente. » Et souvent le sujet du moment, celui le mieux placé sous les projecteurs médiatiques, chasse ce qui était considéré comme une « priorité » quelques mois avant…

Aussi, Pierrick Courbon assure justement travailler actuellement sur une toute autre stratégie à ce sujet. Il s’agit pour lui de bel et bien réclamer une enquête parlementaire mais plus largement affecté à l’ensemble de la Grande distribution au regard des difficultés qui s’amoncellent dans ce secteur. « Il y a un effet domino. Et on ne peut que craindre une terrible suite avec Auchan chez nous, comme ailleurs. Ce modèle économique à bout de souffle, ces gestions posent question dans leur ensemble. » En tout cas en « dézoomant » et en portant un sujet prégnant, par excellence, national, et sur des multinationales, « cela donnerait plus de chances d’en faire une priorité absolue lorsqu’il s’agit de choisir parmi la liste d’enquêtes et dans laquelle le cas Casino serait évidemment fer de lance. » Le travail mené actuellement par Pierrick Courbon à propos de Casino ne s’arrête pas là, assure-t-il. Parallèlement, c’est une initiative plus locale qu’il a commencée à entreprendre avec le préfet de la Loire autour de la création d’une « cellule de revitalisation ».

L’urgence d’une « cellule de revitalisation »

« Dans le cas de la perte dramatique du site Jean Caby à Saint-Priest-en-Jarez et ses centaines de postes perdus (site fermé en 2009, Ndlr), une cellule de ce type avait été mise en place. Il peut paraître étonnant que cela n’a pas été encore le cas avec Casino avec la perte annoncée de plus de 500 postes au siège stéphanois, les répercussions terribles pour les sous-traitants et même jusqu’aux restaurateurs de Chateaucreux et alentours. Mais il fallait attendre que le Plan de sauvegarde accéléré (PSA) soit validé par la Justice (ce qui a été fait ce matin avec un accord trouvé selon l’AFP, Ndlr) à la suite de l’appel du CESC. En effet, c’est en utilisant la matière grise de chacun et les sommes supra-légales (objet, entre autres, d’un PSA) ainsi que ce qu’étaient prêts à mettre les collectivités, l’Etat, bref, toute l’argent disponible pour cela, que des solutions avaient pu être apportées aux employés de Jean Caby. Ce sera peut être sous une autre forme cette fois mais il faut agir et vite : ce ne sont pas les débuts d’un Casino replié sur la proximité qui rassurent sur la suite. Pas plus que l’inconnu dans lequel la direction plonge ses employés.»

Selon le député, des employés, sans infos jusque-là ont reçu un coup de fil la semaine dernière les informant qu’ils étaient dans la « charrette », c’est-à-dire du tiers des suppressions de postes au siège (sur un peu plus de 1 500). « Et on peut avoir peur que le siège social soit par la suite dépouillé de son personnel petit à petit, sans bruit… Alors, dès maintenant, il faut rapidement mettre tout le monde autour de la table et se parler. » Pas gagné d’avance : lors de cette conversation nous apprenons au député que la CCI a lancé cet été une enquête d’impact économique sur les entreprises de la Loire liée à la chute de Casino dont on attend encore les résultats. Bruit ou silence, on coule.

Partagez
Signaler une erreur

    Signaler une erreur

    J'accepte de transmettre les informations personnelles saisies ci-dessus afin que mon signalement soit traité par IF MEDIA.

    Laisser un commentaire
    Assemblée Nationale
    ©AssembléeNationale
    Recevoir la newsletter
    IF Saint-Étienne