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Chantal Birman : « En France, on considère la femme enceinte comme une bombe en attente d’explosion »

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A l’occasion de sa première soirée ciné-débat au cinéma Le Méliès Saint-François, la toute jeune association stéphanoise Osez le féminisme 42 ! a choisi de projeter le documentaire A la Vie réalisé par Aude Pépin (chroniqueuse de l’émission “La Maison des Maternelles”). Ce dernier permet au spectateur de suivre le quotidien de l’ancienne sage-femme Chantal Birman alors encore en activité. Celle qui est au cœur de ce film sera présente avant et après la projection pour échanger avec le public autour de sujets tels que la maternité, l’accouchement et l’accompagnement pendant la période du post-partum.

Chantal Birman, alors en activité, dans le documentaire « A la Vie » réalisé par Aude Pépin © Tandem

Comment a débuté l’histoire de ce documentaire et la rencontre avec sa réalisatrice Aude Pépin ?

Je faisais partie du groupe de professionnels qui intervenait régulièrement sur le plateau des Maternelles. J’ai continué à être invitée dans La Maison des Maternelles. Aude est arrivée pour travailler sur cette seconde émission. La cheffe de production nous a mis en contact pour une émission à propos du blues du post-partum. C’était la première fois que je rencontrais Aude. J’ai immédiatement trouvé que tout ce qu’elle disait était éminemment intelligent et réfléchi. On voit vite avec les journalistes que l’on côtoie, ceux qui sont pointus dans leurs questions, qui veulent aller plus loin. J’ai tout de suite senti un intérêt de sa part pour le sujet. Elle m’a dit à la fin de l’enregistrement, « je veux faire quelque chose avec toi, je ne sais pas quoi, mais je le souhaite ». Ce n’était pas la première fois qu’un journaliste me disait cela mais jamais rien n’avait été concrétisé. J’en étais arrivée au point de me dire que c’était un tic journalistique. Nous avons ensuite fait plusieurs autres émissions ensemble qui ont bien fonctionné. Puis, je lui ai annoncé ma retraite de sage-femme libérale prévue pour le 31 décembre 2019. Elle ne voulait pas y croire. En l’espace de quelques mois, elle a trouvé un producteur, écrit son scénario et m’a demandé de m’accompagner lors de mes visites. Plus elle faisait de visites, plus elle était passionnée par son sujet et plus j’étais inquiète… Le producteur vendait son appartement pour pouvoir produire le film, Aude est jeune et elle décidait alors de se consacrer complètement à ce film. Cela faisait beaucoup. Surtout pour parler d’un sujet complètement tabou, le blues du post-partum, de surcroît avec une sage-femme partant à la retraite. Je me disais que tout cela n’était pas très vendeur. Concernant le tournage, je n’ai rien changé à mes habitudes. Le film montre le travail de sage-femme à la suite d’une naissance. Aude ne m’a jamais demandé de faire l’actrice.

Le blues du post-partum est encore un sujet tabou ?

Il est plus que tabou. Dans les salles, lors des projections, il y a moins d’un homme pour 10 femmes… Sociologiquement, je ne crois pas qu’il existe un sujet aussi intéressant. Ce n’est pas propre à la France d’ailleurs. Nous avons fait par exemple des projections en Suisse et c’était la même situation. C’est complètement genré. La maternité reste vraiment taboue. C’est un monde où les hommes ont peur de venir.

Avez-vous une idée de la raison pour laquelle il existe cette méfiance de la part des hommes face à ce sujet et pourquoi ce dernier reste tabou dans notre société ?

Déjà, il faut savoir que le mot « tabou » veut dire « vagin » en maori. C’est déjà, en soi, un signe intéressant. Pour revenir à votre question, je crois que la féminité est déjà en général assez taboue, mais là, il s’agit de la maternité, le tabou des tabous. La non-maternité est, d’une certaine façon, beaucoup moins difficile à aborder. On peut par exemple parler plus facilement de l’avortement que de l’accouchement. Ce qu’on vous montre de l’accouchement c’est, en gros : « allez-y madame, poussez ! poussez ! Ah qu’il est beau votre bébé ! ». On en est encore là. Un truc complètement lisse avec une fausse émotion… C’est terrible ! En fait, c’est l’arrivée d’une nouvelle vie avec tout ce que cela implique pour les femmes et les hommes. De plus, les effets ne sont absolument pas symétriques. Ce sont deux mondes complètement différents et deux langages différents entre femme et homme. Les Hommes s’expriment peu sur l’aspect physique rencontré par le corps de leur femme pendant la grossesse, l’accouchement et l’après-naissance. Même entre eux. Ils vont éventuellement parler de sexualité mais cela n’ira pas au-delà. Même dans une amitié profonde entre hommes, c’est difficile d’aborder ce sujet. Alors que les femmes n’ont aucun souci à en parler, même quand elles ne parlent pas la même langue. Je me souviens de mes voyages en Amazonie où nous avons échangé à propos d’accouchement pendant plusieurs heures avec les femmes, sans aucun souci. Quel que soit l’endroit du globe, la sororité est d’abord un langage commun, basé sur tout ce qui traverse le « sexuel » féminin.

L’hôpital est là pour assurer par rapport à de la maladie c’est-à-dire à un dysfonctionnement corporel. Tout est centré sur la pathologie et le traitement de cette pathologie. […] L’arrivée d’un enfant n’a rien à voir avec tout ça.

Pour revenir sur les hommes, je pense que cette pudeur qu’ils ont par rapport à cela est une forme de peur. C’est compliqué pour l’homme, car quand sa femme vient d’accoucher, il comprend qu’il vient d’arriver un truc pas possible à sa compagne, dans son corps. Elle est alors un peu perdue et elle a besoin d’une consolation maternante. Ce que ne peut pas apporter un homme. Il peut paterner mais pas materner. Il y a donc, après l’accouchement une forme d’impuissance. S’ils n’ont pas été éduqués dans la possibilité d’être dans l’admiration de l’autre, ils ne peuvent pas parvenir à faire ces voyages au sein du féminin, afin d’aller voir l’autre dans sa forme de puissance. Tout ceci car ils sont effrayés. Je le comprends très bien. Cela pose question sur le fond et sur l’éducation de nos filles et fils, car la maman est également totalement effrayée par la puissance qui lui arrive à l’accouchement. A la différence près que la femme n’a pas le choix. Elle est obligée d’y passer !

Vous avez longtemps été sage-femme, comment avez-vous vu évoluer les conditions de ce métier ?

On ne peut pas parler du métier de sage-femme sans parler de l’ensemble des métiers de la santé. Cela s’est détérioré pour les sages-femmes comme pour les autres. La dégradation du système de santé a commencé il y a plus de 20 ans et cela n’a été qu’en empirant. D’ailleurs la gestion du Covid a été une gestion des urgences dans la santé. Une fois que l’on a dit cela, il faut voir qu’en général, les professionnels de santé sont en grande majorité des femmes, à part peut-être le haut de la pyramide que sont les médecins. Il faut préciser également que les sages-femmes ont réellement une responsabilité médico-légale aussi importante que les médecins. Elles n’ont personne au-dessus d’elles concernant tout ce qui est du domaine de la physiologie. Par contre, quand elles établissent un diagnostic de pathologie, elles l’adressent au médecin et donc, dans ce cas-là, c’est une co-responsabilité. Si la sage-femme traîne avant d’envoyer ce diagnostic, c’est alors à elle que reviendra la responsabilité. Du coup, on peut retrouver les sages-femmes devant les tribunaux aux côtés des médecins.

Le futur est d’écrire et de penser la physiologie. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir…

Par ailleurs, il y a une spécificité qui correspond au fait que l’hôpital est là pour assurer par rapport à de la maladie, c’est-à-dire à un dysfonctionnement corporel. Tout est centré sur la pathologie et son traitement. Toute la pensée hospitalière est une « pensée de la pathologie ». Les hiérarchies hospitalières sont construites selon cela et tout est imaginé par rapport à un corps qui dysfonctionne quelque part. L’arrivée d’un enfant n’a rien à voir avec tout cela. L’accouchement, l’allaitement, l’après-naissance ne sont pas des pathologies. Elles peuvent l’être mais vont l’être à hauteur de 20 % environ. Cela signifie que 80 % des femmes n’auront pas d’intervention particulière. L’accouchement est donc simplement un événement de vie. Du fait de la culture hospitalo-universitaire, on va forcément l’intégrer à la pathologie. Particulièrement en France, où il existe l’idée qu’une femme enceinte est une bombe en attente. A aucun moment, on ne fait confiance et s’il y a bien un endroit où il est fondamental de faire confiance, c’est bien lorsque l’on parle de physiologie… Il faut encourager l’autre à vivre ce qu’il a à vivre.

En France, il demeure donc une pensée décalée par rapport à la physiologie ?

La pensée n’est pas en adéquation avec la physiologie. Mais c’est normal, vous ne pouvez pas demander à des médecins, générateurs de la pensée hospitalière, de penser autrement que ce qui les a fait sacrifier un tiers de leur vie. Pendant 12 années d’études très dures, ils ne se sont pas éclater… La culture médicale est la culture de l’apprentissage par cœur. J’avais trouvé très juste, dans le film Première année, la réplique suivante : « Demande à un étudiant d’apprendre le bottin. Il répondra : pourquoi ? L’étudiant en médecine rétorquera : pour quand ? ». Comment voulez-vous que ces personnes qui sont culturellement élevées ainsi, qui ont cette fonction indispensable de traiter la maladie, se rendent responsables de la physiologie. Ils ne savent même pas ce que c’est et cela ne les intéresse pas. Le futur est d’écrire et de penser la physiologie. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

Soirée ciné-débat avec projection du documentaire « A la vie« , réalisé par Aude Pépin. En présence de l’ancienne sage-femme Chantal Birman.
Jeudi 24 février à 20h30 au Méliès Saint-François de Saint-Etienne.
Une soirée proposée par l’association Osez le féminisme 42 !

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