Emmanuel Mandon veut donner un cadre légal à la « mise en retrait »
Le député Modem du Gier a déposé un projet de loi suscité par la situation de Saint-Etienne Métropole. L’éclatement de l’affaire de chantage à la vidéo intime au sein de la municipalité stéphanoise a amené son président, Gaël Perdriau, à une mise en retrait auto-administrée et précisée de « totale » fin 2022 en amont d’une assemblée faisant le vœu très majoritaire de sa démission. De quoi débloquer alors la situation mais partiellement, au regard des urgences du moment. Deux ans après, l’enlisement quant à l’exercice et la représentation du pouvoir persiste sur bien des points. Et pour cause : il n’y a aucun cadre défini à une « mise en retrait ».
« Fin 2022, j’ai appris l’invention d’un nouveau dispositif au sein de Saint-Etienne Métropole : la mise en retrait d’un élu », introduit, un rien ironique, Emmanuel Mandon. Elu député Modem de la 3e circonscription de la Loire (vallée du Gier et Est stéphanois) quelques mois plus tôt, « à travers la presse, à travers mes échanges avec les élus communautaires de Saint-Etienne Métropole », le parlementaire a naturellement suivi, certes de loin, l’éclatement de l’affaire qui mine en grande partie l’agglomération stéphanoise et la conduite des affaires publiques depuis maintenant 28 mois. 28 longs mois. Pour rappel : à la suite de l’éclatement de l’affaire de chantage à la vidéo intime au sein de la municipalité stéphanoise révélée par Mediapart, les échanges tendus entre le président de Saint-Etienne Métropole qui venait de connaître sa première garde à vue et son exécutif métropolitain – où les membres de sa majorité municipale sont de loin minoritaires – avaient donné lieu à la première annonce d’un « retrait ».
Annonce assez confuse effectuée mi-septembre, ne définissant pas clairement de quoi il s’agissait, la notion étant de toute façon dépourvue de toute valeur juridique et ayant immédiatement donné lieu, si ce n’est à de forts malentendus, en tout cas à des interprétations divergentes. Dans les faits, il ne s’agissait que d’un retrait d’ordre représentatif et très théorique : Gaël Perdriau était resté aux manettes et même présent dans les groupes de travail métropolitain. Il ne se serait alors engagé qu’à s’éclipser des cérémonies, conférences de presse et conseils communautaires, l’assemblée publique de Saint-Etienne Métropole. Début décembre 2022, les rebondissements, publications successives d’articles et enregistrements autour de l’affaire avec pour couronnement l’éclaboussement collatéral de Laurent Wauquiez aux conséquences très loin d’être négligeables sur le positionnement de bon nombre d’élus, avaient amené des conseillers à demander à une assemblée métropolitaine préchauffée à blanc, de voter un vœu. Vœu exigeant la démission d’un président finalement toujours en exercice en coulisses à leurs yeux.
L’exercice empirique du retrait
Les élus avaient adopté ce vœu à une large majorité. Sur 119 votants (la quasi la totalité des maires et conseillers étaient présents), 73 élus avaient voté pour sa démission (66 % des suffrages exprimés) ; 37 contre et 9 s’étaient abstenus. Mais cela reste un vœu, ne donnant lieu à aucune contrainte légale envers Gaël Perdriau. Ce même jeudi 8 décembre 2022, l’intéressé n’était pas dans la salle pour entendre le résultat du scrutin. Son long discours de défense en début de séance s’était conclu sur une annonce inattendue : celle de son retrait, cette fois-ci précisé de « total », ajoutant aussi, déléguer ses pouvoirs à son 1er vice-président, alors maire de Saint-Chamond, Hervé Reynaud. A la surprise de ce dernier, par la suite rapidement attelé à conclure les négociations réputées bloquées avec… la Région et Laurent Wauquiez sur les indispensables financements d’investissements liés au CPER 2021/2027… Depuis ? Il serait faux de dire que l’ensemble des politiques publiques de Saint-Etienne Métropole n’avance pas. Il serait est encore plus faux d’affirmer que le statu quo de facto se déroule sans accrocs en attendant la conclusion juridique de l’affaire.
Au-delà de séances métropolitaines successives tendues comme jamais, plus ou moins en rapport avec la situation politico-juridique, le flou persiste à tous points de vue sur l’exercice empirique de ce « retrait total » : nombre de signatures actant des décisions de la collectivité restent en effet impossibles légalement, même en poussant au maximum la possibilité de délégations de pouvoirs*. Il faut encore passer par Gaël Perdriau pour bien des décisions, nous expliquaient différents membres de l’exécutif en 2023 et 2024 sans préciser – exhaustivement – lesquelles exactement. Et côté « représentation », face aux administrés, aux événements publics, aux milieux économiques ou encore la presse, quid de la présence du maire Saint-Etienne dans un contexte d’action métropolitaine mais quand cette même municipalité est partenaire (co-financeur par exemple) d’une initiative métropolitaine sur son territoire.
Qui obéit à qui ?
Cas plutôt fréquent quand il s’agit de la ville centre… Et problématique dans un contexte où la pré-campagne des Municipales de mars 2026 a déjà commencé : le maire de Saint-Etienne, mis en examen, reste présumé innocent et donc éligible tant que la Justice n’a pas dit le contraire. Il y a enfin, ces services et personnels mutualisés ou partagés depuis la fin du premier mandat, comme l’avaient alors approuvé majoritairement les élus métropolitains : communication, relations presse et Directeur des services mutualisés ; directeur de cabinet du maire partagé et donc, aussi, du président métropolitain. Alors qui obéit à qui ? Début février 2024, Sylvie Fayolle, qui a pris le relais d’Hervé Reynaud (devenu sénateur) en septembre 2023 pour tenir la présidence par intérim dénonçait aux côtés de dizaines d’élus métropolitains (75 % des membres du bureau, 85 % des maires de la Métropole) cette dualité ambiante, ce manque de clarté et donc ces potentiels « conflits de loyauté » avec des services fatalement pris en étau. Elle annonçait vouloir, aux côtés de l’exécutif métropolitain, disposer de leur maîtrise totale tant que la mise en retrait était en vigueur.
« Ce que nous demandons, c’est un réel retrait total, comme il l’a annoncé en décembre 2022, déclarait alors Sylvie Fayolle. Bien que le terme de retrait total ne corresponde à aucune définition juridique, les mots ont un sens. Or, le retrait total, ce n’est pas ce que nous constatons depuis avec, par exemple des communications publiques via des vœux, ou internes auprès des agents. Et des décisions qu’il continue à empêcher par les siennes, comme sur le cabinet et les relations presse. » Gaël Perdriau avait alors rétorqué : « Personne ne saurait remettre en cause la loyauté de ces personnels envers nos collectivités. D’ailleurs du 9 décembre 2022 au 7 décembre 2023, aucune difficulté ne s’est fait jour » ; « Je n’ai pas signé une décision qui n’aurait pas été prise par un vice-président, je n’ai pas davantage refusé de signer une décision prise par l’exécutif métropolitain. Ma signature n’est que l’expression juridique de ma fonction de président et fait suite aux décisions prises par les vice-présidents qui disposent de délégations très élargies. » ; « Vous m’avez demandé de pouvoir recruter un collaborateur de cabinet. J’ai immédiatement accepté cette demande légitime en proposant de mandater un cabinet de recrutement. »
L’idée d’un retrait temporaire d’un an maximum
Le hic à ce dernier sujet porterait, selon lui, seulement sur le choix de David Rigault, licencié par SEM en 2016 et jugé trop proche de… Laurent Wauquiez ! Depuis, pas d’avancée fondamentale au sujet de ces heurts-là. Au contraire : en provenance du Grand Reims, Jean-Philippe Le Dain a été recruté au poste de directeur général adjoint (DGA) en charge de « l’Attractivité et Développement du Territoire » début novembre. Adjoint donc au directeur général des services (DGS) lui-même « partagé » avec la Ville de Saint-Etienne… Sylvie Fayolle l’a annoncé en début de séance communautaire le 5 décembre avec, tout en lui souhaitant la bienvenue, cette précision qui en dit long : ni elle, ni l’exécutif n’ont participé à son recrutement… Rien d’illégal encore. Qu’il continue ardemment ou non, comme il s’en défend, à agir en coulisses, Gaël Perdriau n’est contraint à rien et peut revenir prendre au grand jour le contrôle de Métropole à tout moment, y compris face à l’assemblée. Option toutefois extrêmement peu probable. En proposant à la loi de « permettre et encadrer la mise en retrait des responsables et exécutifs communaux et intercommunaux », le député Emmanuel Mandon, lui, ne souhaite pas, assure-t-il, s’immiscer dans ces débats et sur lesquels il ne s’étendra pas.
Etat d’esprit affiché : il y a manifestement un vide juridique donnant lieu à des conflits, certains blocages, un manque de sérénité. Vide qu’il convient de le combler dans un esprit de prévention pour clarifier ce genre de situation. Déposée en novembre 2024, la proposition de loi n°595 de la XVIIe législature est actuellement perdue comme tant d’autres dans les limbes de l’instabilité gouvernementale. « Mais je garde espoir qu’elle soit présentée au vote d’ici l’été 2025 : si les choses se stabilisent, il n’y a pas de raison pour que ce ne soit pas le cas. Ses dispositions peuvent aussi être adoptées via un autre véhicule législatif qui s’y prêterait. » Pour une question juridique ou tout autre, Emmanuel Mandon ne voit pas d’écueils à ce qu’un élu d’exécutif communal ou intercommunal ait le droit de se positionner en retrait « temporaire », un an maximum. « L’idée est d’accorder légalement cette possibilité pour « convenances personnelles » après autorisation demandée au conseil municipal et accordée (ou communautaire, le CGCT ne faisant pas de distinguo précis) pour 6 mois puis à nouveau pour 6 mois renouvelables, pas davantage et oui, avec suspension désormais très clairement de tous les pouvoirs. »
Sans conserver le moindre pouvoir
Le projet de loi indique en effet : « Ce dispositif, qui s’inspire en partie de celui applicable aux suppléances, s’en distinguerait par la possibilité pour le remplaçant d’exercer sans restriction la plénitude des fonctions du maire (et donc de président d’agglomération, Ndlr) ». Pour ce qui est des droits et indemnités allant avec la fonction (Gaël Perdriau a vu les siennes diminuer de 50 % par vote de l’assemblée ; il n’est, à notre connaissance, pas possible d’aller plus loin actuellement selon la législation), le projet de loi précise : « Le maire en retrait serait, naturellement, considéré comme un conseiller municipal sans délégation au cours de la période de retrait. Il perdrait donc son droit à indemnité de fonctions, à l’exception des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de 100 000 habitants et plus où les membres des assemblées délibérantes conservent un droit à indemnité réduit, ses indemnités de frais de représentation (article L. 2123 19 du CGCT) et verrait son crédit d’heures (article L. 2123 2 du CGCT) diminuer ».
En outre, « il conserverait les droits attachés à la fonction de conseiller municipal (droit à la formation, remboursement de certains frais, protection sociale, etc.). À titre dérogatoire, il continuerait de bénéficier du droit à la protection fonctionnelle due par la collectivité à son exécutif au titre des articles L. 2123 34 et L. 2123 35 du CGCT. Afin de limiter les abus, le dispositif interdirait au maire de solliciter un retrait « dans les six premiers mois qui suivent son élection et obligerait un maire dont le retrait aurait expiré à attendre un an avant de présenter une nouvelle demande. À l’issue de la période autorisée de retrait du maire, le Conseil Municipal prend acte de son retour, ou si tel n’est pas le cas, constate son absence effective et par délibération, adopte une motion de défiance. » En cas d’adoption de la motion de défiance, le maire serait déclaré démissionnaire d’office.
Blocage total vs retrait total
Bien évidemment, ajoutent les travaux menés par Emmanuel Mandon, « le dispositif envisagé n’ôterait pas au Gouvernement la possibilité de suspendre par arrêté ministériel le maire en défaut ou de procéder, si nécessaire, à sa révocation par décret en conseil des ministres (article L. 2122 16 du CGCT) ». Une possibilité réclamée à plusieurs reprises par des élus d’opposition stéphanois ou encore très récemment par Gilles Rossary-Lenglet, protagoniste central de l’affaire derrière les informations fournies et publiées par Mediapart. Interrogée à ce sujet, Elisabeth Borne avait préféré tourner le dos à cette possibilité. En raison de la propre liste d’affaires, donnant lieu pour certaines à des mises en examen, ayant touché des membres de son propre gouvernement ? « Non, la défend Emmanuel Mandon. Mais parce qu’aucun blocage total en raison du contexte que connaît la Ville n’a été constaté au sein du conseil municipal de Saint-Etienne : il a toujours la majorité et, par-dessus tout, les budgets y ont été votés et donc les politiques publiques poursuivies. »
Budgets votés aussi du côté de Métropole en l’absence donc du président. Certes, 12 mois de retrait autorisés maximum, ce serait 13 de moins que celui, à ce jour et jusque-là, déjà exercé par Gaël Perdriau, la Justice ayant de toutes autres notions et contraintes de calendrier. Justement : si elle était adoptée telle quelle, la nouvelle loi, applicable à un président d’EPCI dans le cadre du CGCT, nous précise Emmanuel Mandon, même si elle parle du « maire », obligerait donc à un retour. Donc à être exposé une motion de défense. Voire à une révocation gouvernementale, si Matignon constatait le non-vote du budget par une majorité d’élus métropolitains et donc, un blocage franchement total.
* La délégation donnée à un adjoint au titre de l’article L. 2122 18 du CGCT, qui donne plus de marges de manœuvre à son titulaire à condition de ne pas être générale et porter sur des domaines précisément définis (Cour administrative d’appel de Marseille, 12 janvier 2012).