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« En Biélorussie, nous n’avons jamais vu une telle mobilisation »

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Plusieurs morts, des tortures, des passages à tabac, des emprisonnements dans des conditions dures, répressions violentes contre des manifestations pacifiques… Autant de tristes images qui ont suivi la réélection d’Alexandre Loukachenko le 9 août dernier à la présidence de la Biélorussie avec plus de 80% des voix, lui qui dirige le pays depuis 1994. Nous avons voulu en parler avec Sergey Kovalev, ingénieur franco-biélorusse, installé à Lyon avec sa famille mais qui conserve un lien très fort avec son pays d’origine et Saint-Étienne.

Une manifestation à Minsk, capitale de la Biélorussie, en août 2020

Quel est ton parcours ? Depuis quand vis-tu en France ?

Je suis arrivé à Saint-Étienne en 2009. J’ai fait mon doctorat à l’École des Mines en génie industriel pendant 3 ans. J’ai enchaîné avec un petit contrat à Bordeaux puis je suis revenu à l’École des Mines pour un travail scientifique. Depuis 2013, je vis à Lyon mais je reste supporter des Verts. Je considère Saint-Étienne un peu comme ma ville natale en France, mon premier amour français.

Comment vis-tu ce qu’il se passe en ce moment en Biélorussie ?

Même avant les élections du 9 août, j’avais le sentiment que pour une fois, le dictateur Loukachenko n’avait pas la majorité des soutiens comme ça avait pu être le cas lors des échéances électorales précédentes en 2010 et 2015. Il avait obtenu déjà des scores autour de 80% des voix à ces élections, mais je pensais qu’il aurait la majorité des votes même sans élections truquées. C’est pour ça qu’il n’y a pas eu de grosses protestations en Biélorussie. Cette année, les choses ont changé. La gestion du Covid, la méprise du peuple étaient insupportables. J’ai senti un changement. Il y a des foules immenses à l’échelle de la Biélorussie dans les rues. En France, on est habitué aux manifestations de cette ampleur mais en Biélorussie nous n’avons jamais vu une telle mobilisation.

« L’esprit du peuple biélorusse a changé. Le soutien au président a fortement baissé. »

Tu penses que ce mouvement peut faire évoluer les choses en Biélorussie ?

Nous vivons un ascenseur émotionnel. Le lendemain des élections, par exemple, je voyais dans des vidéos partagées les gens sortirent dans la rue pour exprimer leur tristesse et la police les chasser violemment, donc je me disais : « c’est mort, ça ne changera pas encore cette fois ». Ensuite, ça a changé, nous avons cru que le dictateur Loukachenko ne tiendrait pas une semaine et partirait. Puis lundi 16 août, plusieurs grèves se sont déclarées alors que le pays n’en avait pas connues depuis l’arrivée au pouvoir de Loukachenko en 1994. Les grévistes n’avaient aucune revendication économique mais voulaient juste que Loukachenko dégage et que les auteurs des exactions soient jugés. Aujourd’hui, j’ai un sentiment mitigé sur la suite du mouvement. Mais mes amis restés en Biélorussie et avec qui j’échange sont plus optimistes. L’histoire nous montre que parfois il faut plus de temps pour faire changer les choses, il faut que les protestations ne cessent pas. Ce qui est aussi frappant, c’est que l’esprit du peuple a changé. Le soutien au président a fortement baissé. Il n’y a quasiment plus aucun commentaire positif à propos de Loukachenko sur Internet. Les journaux du pouvoir continuent à faire l’éloge du dictateur mais on a vu diminuer fortement les commentaires positifs et les « likes ».

Sergey Kovalev, sûrement l’un des Biélorusses les plus Stéphanois © Capture Facebook

« Il y a eu plusieurs démissions à la télé biélorusse de personnes qui étaient en désaccord. Ces dernières ont alors été remplacées par des Russes, qui ne parlent même pas biélorusse. »

Comment fais-tu pour t’informer ?

On ne trouve une information juste que sur Internet mais il faut bien trier. Petite anecdote, il y a eu plusieurs démissions à la télé biélorusse de personnes qui étaient en désaccord. Ces dernières ont alors été remplacées par des Russes, qui ne parlent même pas biélorusse.

Les protestations en Biélorussie restent pacifiques face à l’armée qui est envoyée par le pouvoir ?

Oui, c’est un point à souligner. Dans les médias, notamment russes, on peut voir des parallèles entre la situation en Biélorussie et l’Ukraine. Ce n’est pas pareil. En Biélorussie, les manifestations sont pacifiques et ne sont pas anti-russes. On voit rarement des drapeaux de l’UE car cela pourrait être pris comme une provocation. Même si la plupart des manifestants sont sûrement pro-européens, il est trop tard pour que notre pays rejoigne l’UE car personne ne nous attend là-bas et nous gardons des liens économiques forts avec la Russie. D’ailleurs, ce n’est pas dans le programme de Svetlana Tikhanovskaïa de couper les liens avec la Russie.

Nicolas Tenzer, politologue et professeur à Sciences Po explique lui-aussi que les manifestations biélorusses n’ont pas de messages anti-russe © France 24

Si les manifestations parviennent à faire céder Loukachenko et à mettre en place de nouvelles élections libres, est-ce que tu t’imagines repartir vivre un jour en Biélorussie ?

Oui, c’est possible. Mais ma femme est française, nous avons des enfants. En théorie, nous pourrions aller vivre là-bas beaucoup plus simplement. Il faut bien dire aussi que malgré la présence de Loukachenko, la vie en Biélorussie n’est pas si horrible sur un point de vue économique. Ce n’est pas la Corée du Nord. C’est d’ailleurs pour ça qu’il n’y a pas de revendications économiques. La Biélorussie n’a pas de gaz, ni de pétrole… Je suis certain que la Biélorussie peut faire quand même mieux et qu’il n’y aura pas un conflit comme en Ukraine. C’est une population assez solide et plus rationnelle. Le fait que les manifestations soient pacifiques montrent bien la force du peuple biélorusse.


Pour en apprendre davantage sur la Biélorussie :
– le reportage d’Arte, « Biélorussie, dernière dictature d’Europe »
– l’ensemble des articles compilés par France Info, Courrier International, Le Figaro et Le Monde sur le sujet
– Le Dictature Tour de l’Effet Papillon, ex-émission de Canal Plus, consacré à la Biélorussie


– Enfin, impossible de passer sous silence les écrits de l’auteure biélorusse sûrement la plus connue : Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature en 2015

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