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En cas d’accident nucléaire, les comprimés d’iode sont-ils vraiment utiles ?

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La centrale nucléaire de Saint-Alban, Saint-Maurice, au bord du Rhône, est dotée de deux réacteurs à eau pressurisée (REP) de 1300 MW

Vous habitez la Loire, dans une commune à moins de 20 km à vol d’oiseau de la centrale nucléaire de Saint-Alban ? Depuis 2019, vous avez normalement reçu un ou plusieurs bons pour retirer des comprimés d’iode en pharmacie. Leur prise évite que la thyroïde ne soit irradiée par des émanations radioactives en cas d’accident nucléaire. Mais au fond, quelle utilité si la catastrophe devait avoir lieu ? If Saint-Etienne est allé poser la question à la Criirad1.

La centrale nucléaire de Saint-Alban, Saint-Maurice-l’Exil, au bord du Rhône, est à moins de 20 km à vol d’oiseau du Gier. Photo EDF.

Des maires pour former des maires. Cela commence en juin. La Commission locale d’information (Cli) de la centrale nucléaire de Saint-Alban fera parrainer par des élus rodés ses formations aux néophytes. Ceux des communes ayant intégré le périmètre du Plan particulier d’intervention (PPI) en 2019. Parmi elles, 29 sont de La Loire. Toutes du Gier et du Pilat2. Situées dans un rayon de 10 km autour de la centrale, 14 autres du département étaient déjà de la partie.

114 000 Ligériens sont désormais concernés

Au total, 114 000 Ligériens sont désormais concernés. L’accident de Fukushima (Japon, 2011) a en effet poussé l’État à élargir le rayon des PPI des 19 centrales nucléaires françaises à 20 km. Dont celle de Saint-Alban, au pied du Pilat, côté Isère, à Saint-Maurice-l’Exil. Si elle citait l’initiative de son Cli comme un des exemples à suivre, l’Anccli3 s’est, en revanche, alarmée dans un rapport publié le 4 mai dernier. Elle y dénonce le « manque de préparation des Français en cas d’accident nucléaire ».

D’abord, parce qu’elle estime les exercices existants comme « inaboutis ». « Ils sont réservés aux autorités et aux services de secours ». Et « la population en est exclue ». Tout comme « les Cli » alors que la loi prévoit d’associer ces dernières et non de les cantonner à l’observation. L’Anccli estime que les autorités ne vont pas jusqu’au bout « parce qu’elles pensent qu’un tel exercice inquiéterait les riverains ». Et aussi parce que sa mise en place « nécessite des moyens matériels et humains conséquents ».

Zones de 10 et de 20 kilomètres autour de la centrale nucléaire de Saint-Alban.

Pour l’Anccli, la distribution 2019 de comprimés d’iodes est un échec

Autre écueil soulevé par l’association : « les ratés de la dernière campagne de distribution d’iode ». Les comprimés protègent la thyroïde de l’iode radioactive qui pourrait être émise en cas d’accident nucléaire. L’iode est indispensable au fonctionnement de l’organe qui intègre, via l’eau et les aliments, cet oligo-élément. Prendre ces comprimés d’iode dits « stables » fabriqués en laboratoire – après en avoir reçu l’ordre des autorités – permet de saturer la thyroïde. Ce qui lui évite ainsi d’assimiler sa version radioactive.

Or, la campagne 2019 de distribution ciblant les populations dans un rayon de 20 km d’une centrale est, pour l’Anccli, « un échec ». Sur les 2,2 millions de riverains ciblés, seuls 550 000 sont allés chercher leurs comprimés en pharmacie. Cela malgré 5,5 M€ investis, les courriers explicatifs et fascicules envoyés à domicile ainsi que leurs bons de retrait allant avec. La faute au manque de civisme ou à la méthode ? Pour l’Anccli, il faut davantage impliquer concrètement la population. Et s’appuyer sur les mairies pour la distribution d’iode plutôt que les pharmacies.

L’iode radioactive ne serait pas la seule substance volatile en cas d’accident

Question : si un accident nucléaire, certes très peu probable, devait avoir lieu, dans un cas comme Tchernobyl ou moins grave, comme Fukishima, l’iode radioactive est-elle la seule substance volatile susceptible de s’échapper ? « En cas de panache de fumée sortant du dispositif de confinement, il y en aurait potentiellement des dizaines, répond Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire, chef du laboratoire de la Criirad1. Ces matières gazeuses sont, parmi d’autres, issues de la fission nucléaire. Elles ont leur lot de propriétés différentes. Mais elles aussi, sont dangereuses à inhaler ou ingérer. »

Et chacune d’elles, émettrait, de toute façon, son lot de rayonnements radioactifs sur notre corps depuis l’extérieur. Tout comme l’iode radioactive d’ailleurs. Même en cas de prise d’un comprimé d’iode stable puisque c’est seulement sa fixation sur la glande thyroïde qui serait alors évitée.

Le débat autour des seuils d’alerte reste entier

« La diffusion de ces substances peut se faire aléatoirement sur des centaines, voire des milliers de kilomètres, poursuit Bruno Chareyron. On connaît aujourd’hui mieux l’impact de Tchernobyl en 1986. En 2011 cependant, le cas de la centrale Fukushima, distante de nous de 10 000 km, a donné lieu à des retombées. La Criirad a pu les mesurer dans la vallée du Rhône. Des traces d’iode radioactive ont été décelées dans l’air, les végétaux, le lait. Pas dans des niveaux qui auraient justifié la prise d’iode selon les valeurs officielles. Ce qui aurait dû être le cas en 1986. Ce qui est certain, c’est que moins on en respire, mieux on se porte. Après, il y a toujours débat sur les seuils fixés. »

Des comprimés d’iode tels qu’un habitant d’une commune dans un rayon de 20 km peut aller chercher contre un bon envoyé par les autorités. © If Media/Xavier Alix

En France, l’ordre de prendre les comprimés d’iode ne sera donné que si les calculs ou les mesures indiquent que l’inhalation de l’air contaminé pourrait délivrer à la thyroïde une dose de radiations supérieure à 50 milliSieverts. Ce seuil est bien trop élevé au yeux de la Criirad. « Pour les groupes à risque (jeunes enfants, femmes enceintes, Ndlr), l’OMS a recommandé un seuil de 10 milliSieverts », souligne l’association.

Les comprimés d’iode ne protègent pas d’une irradiation par l’extérieur

Un panache de fumée radioactive ne se diffuserait pas uniformément depuis sa source en suivant un rayon de 20 km

Bruno Chareyron (Criirad)

Et qu’il s’agisse de krypton, césium ou iode pour ne citer que ces substances, tant qu’elles restent de manière significative dans l’air qui l’entourent, chaque être vivant est irradié par leur rayonnement et leur inhalation. Aussi, l’exposition d’une population, dépendrait, bien sûr, « de la durée et de l’orientation en fonction des vents d’un éventuel panache de fumée, met en évidence Bruno Chareyron. La météo jouera énormément. Et un panache ne se diffuserait pas uniformément depuis sa source en suivant un rayon de 20 km. Il peut poursuivre son chemin bien au-delà. Maintenant, un PPI de 20 km, c’est mieux que 10. »

Alors autant dire que l’iode stable ne sert à pas grand-chose ? « Non, nous ne pouvons pas dire ça, insiste Bruno Chareyron. L’expérience de Tchernobyl montre que l’une des atteintes majeures la plus fréquente, c’est le cancer de la thyroïde. Les cas ont été multipliés par 100 en Ukraine, en Biélorussie. Prise au bon moment, si possible dans les heures qui précèdent l’exposition, le comprimé protège cet organe. C’est une bonne chose que les populations l’aient en main. Et cela se conserve des années. C’est certes une petite partie du problème qui est parée. Mais c’est mieux avec que sans. »

Des retombées jusqu’à dix fois plus intenses en cas de pluie ou de neige

En cas de contamination, il faut immédiatement s’interdire toute consommation de produits frais en provenance de la zone

Bruno Chareyron (Criirad)
Les autorités communiquent sur six réflexes à avoir en cas d’alerte de la sirène (trois fois 1 min 41 sec espacés de 5 sec).

La Criirad veut attirer l’attention sur les retombées au sol. Elles seraient plus au moins fortes selon la météo. Jusqu’à dix fois plus intenses en cas de pluie ou de neige. Derrière, se poserait la question essentielle des aliments consommés. « En cas de contamination radioactive de l’atmosphère, tant qu’il n’y a pas de données précises, il faut s’interdire toute consommation de produits frais en provenance de la zone. Y compris de produits laitiers. Et l’expérience de Fukushima montre qu’il ne faut pas attendre une officialisation pouvant tarder. »

Là aussi, la Criirad est en désaccord avec les normes françaises en vigueur. « Elles partent du principe qu’en cas d’accident, seulement 10 % des aliments consommés seraient contaminés. » Si les autorités parmi « les six réflexes » à avoir, en cas d’alerte, demandent outre l’éventuelle prise d’iode, de se mettre rapidement à l’abri dans un bâtiment, elles demandent aussi de ne pas aller chercher ses enfants à l’école. Et de se préparer à une « éventuelle » évacuation.

« Une catastrophe nucléaire, par définition, est ingérable »

Pour Bruno Chareyron, difficile en réalité de définir, à l’avance, ce qu’il faudrait faire. Car « tout dépend du degré la gravité de l’accident. Mais il est évident qu’il n’est pas bon de rester dans une zone contaminée. Une catastrophe nucléaire, par définition, est ingérable » Et l’on peut estimer, toutefois, que les campagnes de distribution d’iode par courrier aident à faire prendre conscience aux populations que le risque zéro n’existe pas. Du moins pour ceux habitant dans le fameux rayon des 20 km…

1 Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad). Association loi de 1901 française agréée dans le cadre de la protection de l’environnement. Son objectif est d’améliorer l’information du public et sa protection contre les rayonnements ionisants. Elles est considérée comme anti-nucléaire.

2 Bessey, Burdignes, Bourg-Argental, Cellieu, Chagnon, Châteauneuf, Chavanay, Colombier, Chuyer, Dargoire, Doizieux, Farnay, Genilac, Graix, Lupé, La Chapelle-Villars, La Grand-Croix, L’Horme, La Valla-en-Gier, La Versanne, La Terrasse-sur-Dorlay, Le Bessat, Lorette, Maclas, Malleval, Pélussin, Pavezin, Rive-de-Gier, Roisey, Saint-Appolinard, Saint-Chamond, Sainte-Croix-en-Jarez, Saint-Joseph, Saint-Julien-Molin-Molette, Saint-Martin-la-Plaine, Saint-Michel-sur-Rhône, Saint-Paul-en-Jarez, Saint-Pierre-de-Boeuf, Tartaras, Tarentaise, Thélis-la-Combe, Véranne et Vérin.

3 Association nationale des comités et commissions locales d’information (Anccli). Organisme chargé d’informer la population sur les activités nucléaires.

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