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Femmes élues dans la Loire : l’état des lieux

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La parité en politique a progressé depuis les années 1990 mais à marche forcée, par la multiplication des obligations légales. Malgré tout, les femmes restent encore sous-représentées en politique. Et encore plus lorsqu’il s’agit de diriger un exécutif. C’est particulièrement le cas dans la Loire. Si la proportion de femmes élues maires a légèrement augmenté en France après les élections de 2020 – 19,8 % contre 16,9 % en 2014 – dans notre département, leur nombre n’a progressé que de… 0,1 %.

Lors de la Journée nationale 2020 des femmes élues, organisée par l’organisme de formation Élues locales. ©Élues locales

Elle se nomme Denise Bastide. Elle a été la première députée de la Loire. Jeune résistante communiste durant la Seconde guerre mondiale, elle fut de l’Assemblée constituante à la sortie du conflit. Puis l’une des 33 premières femmes – elle n’était âgée que de 30 ans – à accéder à la députation en 1946 à l’Assemblée nationale. Elle est réélue en 1951 mais décède en 1952. Et après ? Le néant. Ou presque. A l’exception de Liliane Vaginay, et encore, « remplaçante » de 2005 à 2007 d’un Pascal Clément placé au gouvernement, pour revoir une femme élue députée dans notre département, il a fallu attendre… 2017.

Deux d’un coup en fait, avec les LREM Nathalie Sarles (5e circonscription Roannais) et Valéria Faure-Muntian (3e circonscription). Soit un tiers des députés ligériens actuels contre une proportion de 38,8 % au niveau national, en progression constante depuis 1997 (10,9 %) : 12,3 % en 2002, 18,5 % en 2007 et 26 % en 2012. Pourtant, depuis 2000, la loi prévoit une sorte d’égalité incitative, dite « facultative » sur les législatives : les partis qui ne présentent pas 50 % de candidats de chaque sexe doivent payer une amende (une pénalité en fait déduite de la première partie du financement public*).

Les listes au nombre de candidats impairs en faveur des hommes

En l’absence de contrainte paritaire, l’égalité n’advient pas. 

Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh)

Un des volets d’une batterie de dispositifs législatifs successifs s’accumulant depuis 20 ans. Certains, quand cela est techniquement possible, c’est-à-dire lorsque le scrutin est basé sur des listes électorales, imposent désormais un 50/50 des candidats selon un ordre strict d’alternance. C’est le cas pour les Départementales et ses binômes de candidats puis d’élus par canton, les Régionales et les Municipales (dont dépendent dans le sillage les représentations aux intercommunalités) pour les communes de plus de 1 000 habitants après une première étape pour celles de plus de 3 500. Le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) estime d’ailleurs qu’« en l’absence de cette contrainte paritaire, l’égalité n’advient pas ».

Graphique issue du site www.vie-publique.fr

Les femmes représentent aujourd’hui 42,4 % des conseillers municipaux (contre 39,39 % de 2014 à 2020) selon la Direction générale des collectivités locales (DGCL), 48 % des conseillers régionaux et territoriaux, 50,3 % des conseillers départementaux et 35,8 % des conseillers communautaires, toujours selon la DGCL. En revanche, dans les communes de moins de 1 000 habitants, la loi n’étant pas contraignante, les avancées de la parité sont plus limitées : 37,6 % de femmes dans les conseils municipaux après les élections de 2020 (34,4 % auparavant) contre 48,5 % dans les communes de 1 000 habitants et plus. Même là où la loi l’impose, la parité parfaite ne peut pas être atteinte, bien des listes comptant un nombre de candidats impairs, faisant basculer la balance en faveur des hommes.

Aucune commune de plus de 10 000 habitants dirigée par une femme dans la Loire

Lorsque l’on se penche sur la direction des exécutifs des collectivités, la proportion réduite de femmes est flagrante. Et de manière toujours plus accentuée dès lors que le nombre d’administrés à gérer grandit. Si la loi de 2007 qui impose la parité dans l’élection des adjoints municipaux – c’est le cas aussi des vice-présidences des Départements ou des Régions mais pas forcément des conseillers « spéciaux » ou « délégués » -, la proportion de femmes élues maires reste faible (19,8 % après les élections de 2020 contre 16,9 % avant). La loi ne pose pas d’obligation aux partis pour fixer des têtes de listes équilibrées à l’échelle du pays. Seules quatre femmes sont ainsi, par exemple, présidentes d’une Région.

Pour revenir à l’échelon municipal, dans la Loire, la progression du nombre de femmes devenues maires en 2020 par rapport à 2014, selon l’Insee, a été de… 0,1 %. Sur les 95 départements métropolitains, cette « avancée » ne se classe qu’à la 90e position (elle est de + 7 % dans le Rhône, les plus fortes progressions sont à 10 %). Elles sont désormais 52, soit 16,1 %, bien en dessous de la moyenne régionale (21,2 %) et même nationale à 19,8 %. Et aucune des neuf communes ligériennes de plus de 10 000 habitants n’a une femme à sa tête. Il faut atteindre la 17e la plus peuplée du département pour en trouver une à sa tête : Marie-Christine Thivant, maire de Sorbiers, un peu plus de 7 800 habitants. Au sein des 19 communes dans la fourchette de 5 000 à 10 000 habitants, on ne trouve sinon que deux autres « mairesses » : Sandra Creuzet (Le Coteau) et Ramona Gonzalez-Grail (La Talaudière)…

Extrait d’une étude de l’Insee parue en octobre 2020.

Aucune intercommunalité ligérienne n’est dirigée par une femme

En revanche, dans notre département, la proportion de conseillères municipales dans les communes de moins de 1 000 habitants est passée de 37,6 % à 40,8 %, au-dessus de la moyenne nationale donc mais aussi régionale (39,1 %). Notre département compte 500 adjointes et plus de 1 500 conseillères municipales. Au niveau régional, il est intéressant de souligner que dans ces mêmes communes de moins de 1 000 habitants, on compte 22,4 % de femmes maires alors que la proportion est 19,8 % de 1 001 à 3 500 habitants, 19,6 % de 3 501 à 9 999, 13 % de 10 000 à 49 999. Entre 50 000 et 99 999 habitants, la proportion remonte, certes, à un 33 % encourageant. Mais il n’y a en revanche pas une seule femme à la tête des six villes de plus de 100 000 habitants de la région…

On ne peut pas dire que ça ne progresse pas. Dans les chiffres, c’est lent, on encore loin mais les mentalités évoluent indéniablement.

Nicole Aubourdy, présidente de l’Association des femmes élues de la Loire (Afel).

Enfin, dans la Loire, chacune de ses dix intercommunalités (11 avec celle qui a son siège dans le Rhône) à fiscalité propre (métropole, agglomérations, communautés de communes) a pour président un homme. Logique puisque le poste revient quasiment à chaque fois au maire d’une commune centre. La moyenne nationale est, elle, péniblement passée de 8 % à environ 11 % entre 2014 et 2020. A noter qu’au niveau des sénateurs – quatre dans la Loire -, la seule Cécile Cukiermann (PCF) est depuis 2011 l’une des trois exceptions féminines ligériennes des IVe et Ve républiques aux côtés de Josiane Mathon-Poinat (2001 à 2011) et Christiane Longère (« remplaçante » aussi, en fait de 2010 à 2011 de Michel Thiollière après une nomination). Enfin, pour parachever le tableau, notons qu’il n’y a encore jamais eu de présidente du conseil général, devenu départemental.

« Souvent, elles n’osent pas, doutent »

Nicole Aubourdy, présidente de l’Association des femmes élues de la Loire (Afel).

« Mais on ne peut pas dire que ça ne progresse pas. Entre 2014 et 2020, le nombre de femmes tête de liste aux Municipales a progressé de 14 à 23 % au niveau national. Dans les chiffres, c’est lent, on encore loin mais les mentalités évoluent indéniablement, estime malgré tout Nicole Aubourdy, adjointe au maire de Saint-Etienne chargée des personnes âgées. Par rapport mon expérience personnelle, le comportement des élus hommes vis-à-vis des élus femmes ne pose aucun problème. Beaucoup qui m’entourent sont sensibles à notre cause. » Nicole Aubourdy a été élue le 15 mars, présidente de l’Association des femmes élues de la Loire (Afel). Elle a succédé Andrée Chaize, décédée en début d’année, entres autres élue municipale à Saint-Priest-en-Jarez, grande militante de la lutte pour les droits des femmes et la promotion des femmes dans la direction des affaires publiques.

Nicole Aubourdy a pour objectif de réveiller l’Afel. Endormie par le contexte Covid conjugué avec le renouvellement des élections 2020, l’association compte aujourd’hui une trentaine de membres contre une centaine il y a encore quelques années. « S’il y a encore des progrès à faire dans la mentalité des hommes, de la société, il en faut aussi dans celle des femmes. Souvent, elles n’osent pas, doutent pour de mauvaises raisons. L’idée de se présenter ne leur vient pas alors que les hommes, eux, en moyenne se posent moins de questions. C’est comme un réflexe culturel, observe Nicole Aubourdy. Une association comme la notre vise à se serrer les coudes, à rassurer, donner confiance. » Ce qui passe notamment par des formations à l’exercice d’un mandat.

Sans les lois, « on n’aurait sans doute pas vraiment progressé »

Il y a un ancrage culturel très profond qui fait que les femmes elles-mêmes ne se présentent pas assez.

Julia Mouzon, fondatrice d’Elues locales

C’est l’une des principales raisons d’être d’Elues locales, fondée il y a 9 ans par Julia Mouzon. Polytechnicienne, passée par le ministère des Finances et membre du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, elle a été numéro deux de la liste de Nicolas Florian (LR) à Bordeaux aux dernières municipales. Julia Mouzon a démissionné quelques semaines après leur échec face à l’écologiste Pierre Hurmic. Ne se voyant pas cantonnée à un rôle d’opposante, elle se concentre désormais sur son organisme qui forme chaque année plus de 1 000 femmes élues. Une équipe d’une dizaine de personnes (pour les permanents) basée Bordeaux qui dit fédérer « la plus large communauté de femmes élues en Europe ». Elues locales organise chaque année une Journée des femmes élues, dont la dernière s’est déroulée les 3 et 4 décembre à Paris. Il existe aussi cinq déclinaisons régionale dont celle en Auvergne-Rhône-Alpes qui se tiendra en 2022 en juin.

« Les femmes n’ont pas plus besoin de formations qu’un homme mais sont plus demandeuses », selon Élues locales. ©Élues locales .

« L’existence d’une association comme l’Afel dans la Loire est rare, remarque Julia Mouzon. Même dans des régions comme la Bretagne ou Paca en pointe sur le nombre de femmes élues et en responsabilité. Il n’y a l’équivalent que dans quelques départements. » Pour la cheffe d’entreprise, les lois contraignantes sur la parité ont permis réellement d’avancer. « On n’en serait hélas pas là sans elles. » Mais Julia Mouzon partage l’analyse de Nicole Aubourdy : « Il y a un ancrage culturel très profond qui fait que les femmes elles-mêmes ne se présentent pas assez. Les femmes n’ont pas plus besoin de formations qu’un homme débutant dans la politique. Mais elles sont plus demandeuses pour se sentir légitimes.»

La violence faite aux femmes élues attaque plus l’intime

Le droit à la formation des élus locaux (hommes ou femmes) vient pourtant d’être réformé par le gouvernement. Une réforme apparemment motivée par de nombreux abus mais qui aboutit sur des fortes restrictions budgétaires. « Là où vous pouviez avoir 2 400 € par an, on tombe à 400 € ! Et ce sera systématiquement financé part les collectivités. Qu’il y ait des abus dans le milieu ne justifie pas d’aller si loin. Cela va réduire le temps et la qualité des formations. »

Julia Mouzon pointe, enfin, un autre obstacle, et de taille : la violence faite aux femmes engagées en politique, objet d’une étude auprès de 1 000 élues présentée début décembre à sa journée nationale. « Cette montée de violence est généralisée mais avec les femmes élues, elle va plus loin. On attaque leur intimité avec des menaces plus fréquentes sur leurs familles, leurs enfants, jusqu’au domicile. »

*Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’égalité femmes-hommes entre 2017 et 2020, a annoncé en 2019 vouloir multiplier par 5 les pénalités infligées aux partis politiques ne respectant pas la parité aux élections législatives dans le cadre d’un projet de loi pour l’émancipation économique des femmes initialement prévu pour 2020.

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