Fermeture des urgences de Feurs : l’effet Rist sur l’hôpital public
Énième péripétie sur le financement de l’hôpital public, l’application, à partir du 3 avril, de la loi Rist visant à limiter par un plafonnement de rémunération de l’intérim le « mercenariat » a provoqué le départ annoncé de la forte proportion de médecins intérimaires que les urgences de Feurs sont contraintes d’employer. La direction de l’hôpital du Forez (recouvrant les deux sites de Montbrison et Feurs) a donc pris la décision de les fermer « totalement » le 3 avril. Décision mal préparée et précipitée, estime une grande partie des soignants locaux tandis que les parlementaires tentent d’attirer l’attention du gouvernement sur ce sujet.
Plus que tendue, électrique. Vendredi après-midi, le député LR Jean-Pierre Taite, ex-maire de Feurs, avait organisé au sein de sa permanence une sorte de réunion de crise médiatisée. A ses côtés, Christophe Bazile, maire de Montbrison où se situe l’autre « site » de l’établissement commun aux deux villes depuis la fusion de 2013 qu’est le Centre hospitalier (CH) du Forez dont il est le président du conseil de surveillance. L’objectif est clair : faire bloc, démontrer que ce n’est pas une question de rivalité territoriale, à leurs yeux, dépassée entre l’ouest et l’est de la Plaine et leurs coteaux respectifs. Edmond Mackowiak, directeur de l’hôpital, était là aussi, faisant face à une trentaine de soignantssur les nerfs afin d’essayer de leur justifier sa décision de fermer au 3 avril les urgences de Feurs.
De Chirac à Macron en passant par Sarko et Hollande, pas un n’a fait mieux sur l’hôpital public.
Jean-Pierre Taite, député LR du Forez
L’émotion était palpable et les échanges souvent vifs, très vifs même en fin de séance entre Jean-Pierre Taite et le médecin généraliste Olivier Nicolas, président du comité de soutien et de défense de l’hôpital de Feurs. Il faut dire qu’ils ont été adversaires aux élections régionales de 2021, le premier étant un proche soutien de Laurent Wauquiez, le second étant des Ligériens de la liste de gauche menée par la socialiste Najat Vallaud-Belkacem… Mais il y a bien un fil rouge qui met tout ce monde-là d’accord : les années passent, les Présidents et gouvernements avec, les rapports et alertes s’accumulent, les soignants de l’hôpital public ont exprimé comme jamais leur ras-le-bol, quittent son navire, le Covid passe par là mais Ségur ou pas, les problématiques du financement de l’hôpital public restent entières, apportant ainsi plus qu’une pierre, une fondation à la désertification progressive de l’offre médicale.
« Dichotomie intenable »
C’est un homme « de droite » qui le dit à l’adresse d’Olivier Nicolas : « De Chirac à Macron en passant par Sarko et Hollande, pas un n’a fait mieux sur l’hôpital public, je vous rejoins totalement là-dessus, constate Jean-Pierre Taite. Il y a cette dichotomie intenable sur le fait de payer très cher le privé et beaucoup moins le public. » Et le député / conseiller régional d’ajouter : « Je suis toujours surpris de voir l’ARS, comme depuis 40 ans, à continuer encore et encore à accorder des autorisations au secteur du privé dont l’offre grignote ainsi toujours plus celle du public. » Les conséquences de la fameuse loi Rist sont justement un des derniers soubresauts de cette concurrence déloyale avec le privé. Adoptée en 2021, son application a été décalée au 3 avril afin de laisser du temps aux hôpitaux public après les pertes de personnels accentuées par le Covid. Du temps oui mais pas des solutions.
Le cas de Feurs est symptomatique. Disons-le, on veut tuer l’hôpital public.
Olivier Nicolas, président du comité de soutien et de défense de l’hôpital de Feurs
L’objectif de la loi vise en effet à limiter le « surcoût » dans le public entraîné par le recours aux médecins intérimaires en limitant à « seulement » 1 170 € bruts la journée de garde de 24 h ! La rémunération a beau être énorme, dans la logique d’offre et demande qui affecte la santé, elle ne pèse pas lourde par rapport à ce que paie le privé – jusqu’à trois fois plus ! – et ce que ces médecins pouvaient toucher directement du public jusque-là. Dans ce contexte, les médecins intérimaires des urgences de Feurs, comme beaucoup d’autres en France, ont refusé de resigner leurs contrats pour les 2 mois à venir. « Ils mettent la pression : se tourner vers le plus offrant, on ferait sans doute de même à leur place », pense Jean-Pierre Taite qui préfère en vouloir au système plutôt qu’aux individus. Avec 50 % de ses médecins urgentistes intérimaires, Edmond Mackowiak, défendu par le député et Christophe Bazile (« sa situation est très difficile il subit une décision qui lui retombe sur les épaules ») dit, lui, n’avoir pas eu d’autre choix que la fermeture.
Une solution temporaire trop vite écartée ?
« Ils m’ont confirmé ce matin (vendredi) qu’ils ne reviendraient pas. Nous n’avons peut-être pas la même analyse mais j’estime avoir fait tout ce que je pouvais, y compris avoir largement consulté avant. J’y travaille jour et nuit 7 j/7 », assure le directeur. Et si celle de Feurs va donc s’arrêter lundi prochain, par contre, « une 3e ligne de soin en urgences pourrait s’ajouter aux deux de Montbrison. On y travaille aussi. » De quoi susciter non du réconfort un émoi supplémentaire parmi les soignants présents à cette réunion. J.-P. Taite et Christophe Bazile ont effet beau arguer d’une solidarité territoriale, passée du néant à la réalité en quelques années, le projet semble davantage interprété par les soignants présents comme la soumission à une politique prêtée à l’ARS – centraliser au maximum l’offre des soins public dans une pure logique d’économie – que comme une compensation. Pour Olivier Nicolas, la décision de fermeture des urgences de Feurs en soit est une validation de ce qui est réclamé plus haut par logique comptable, voire pire.
Ceux qui nous foutent dans la merde ne nous considèrent pas.
Jean-Pierre Taite
Selon lui, non seulement la décision n’a pas été suffisamment préparée, avec des gros manques au niveau du processus de consultation mais, en plus, une solution crédible temporaire proposée par la communauté soignante locale aurait été écartée de manière injustifiée. Dans une colère froide, celui qui est aussi président de la communauté professionnelle territoriale de santé Forez Est dénonce dans le cas de Feurs un symptôme typique dans la démolition progressive de l’hôpital public depuis 40 ans que « l’on veut, disons-le, tuer ». Derrière, il y aura un grave défaut de sécurité sanitaire, de Noirétable jusqu’à Boën jusqu’aux communes limitrophes du Rhône. « La loi Rist ne doit pas être un prétexte pour accélérer la suppression de l’hôpital de Feurs. »
François Braun interpellé sur le cas forézien
Même si « ceux qui nous foutent dans la merde ne nous considèrent pas, ne savent pas ce que l’on vit, ne comprenant plus la différence entre les réalités des métropoles et celles du monde rural, ses problématiques », après un courrier réclamant un rendez-vous auprès de François Braun dès l’été dernier, Jean-Pierre Taite devait retenter le coup à l’Assemblée nationale ce mardi 28 mars en interpellant oralement le ministre de la Santé sur le sujet. « Pourra-t-on obtenir des dérogations ? On verra. » Samedi, le député forézien a pourtant été hué selon nos confrères de TL7 lors d’une manifestation réunissant plusieurs centaines de personnes devant l’hôpital de Feurs. Une dizaine d’élus étaient présents. Parmi eux, le sénateur PS Jean-Claude Tissot. Dans un communiqué diffusé vendredi peu avant la réunion dans la permanence de Jean-Pierre Taite, il avait annoncé avoir écrit au ministre dès le 22 mars tout en rappelant qu’il avait voté et argué contre la disposition de la loi Rist avec son groupe en février 2021.
Le gouvernement a ôté aux directeurs d’hôpitaux, notamment dans les zones rurales, les seuls moyens de faire tourner certains services.
Jean-Claude Tissot, sénateur PS de la Loire
« Il est certes impératif de lutter contre le « mercenariat » de certains médecins intérimaires, qui grève largement les budgets hospitaliers, par l’exigence de rémunérations supérieures à ce que prévoit la réglementation. Mais il aurait d’abord fallu régler le problème du défaut d’attractivité des carrières médicales hospitalières, par une revalorisation salariale d’une autre ampleur que ce qu’a permis le Ségur et par une amélioration significative des conditions de travail », pointe l’élu. A défaut, estime-t-il et « parce qu’il a refusé d’encadrer en parallèle les rémunérations des intérimaires dans le secteur privé, le gouvernement a ôté aux directeurs d’hôpitaux, notamment dans les zones rurales, les seuls moyens qu’ils avaient de faire tourner certains services. » Samedi, Jean-Claude Tissot annonçait qu’il devait rencontrer le ministre cette semaine. A moins d’une semaine de la fermeture, il y a urgence. En espérant que d’autres urgences de la Loire dont on connaît la fragilité, et appartenant à une métropole urbaine celles-là, ne soient pas contaminées par l’effet Rist…