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Finis les déchets enfouis : le Sud Loire piste les incinérateurs du Grand Lyon

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C’est un scenario parmi d’autres mais très sérieusement envisagé. Poussées par la législation, les intercommunalités du Sydemer* visent, d’ici moins de 10 ans, une réduction drastique de leurs déchets enfouis. Mais l’extension actuelle du tri ou encore la prise en charge des déchets bio ne suffiront pas : à l’orée 2030, il leur restera des dizaines et dizaines milliers de tonnes à gérer autrement qu’en les couvrant de terre à Borde-Matin. La solution pourrait venir des incinérateurs du Grand Lyon. Non sans complications. Explications.

Borde Matin a vu le tonnage enfoui venant de Saint-Etienne Métropole baisser de 5 000 t en 2022 par rapport à 2019 (- 4 %). ©If Média/Xavier Alix

Quand c’est épineux, il convient de ne pas se piquer. « Rien n’est fait. Nous travaillons sur deux scenarios principaux et leurs différentes pistes respectives qui en découlent. Il y a au moins 5 ou 6 variantes en réflexion », avertit donc prudemment François Driol, vice-président de Saint-Etienne Métropole en charge de la gestion des déchets. Le maire d’Andrézieux-Bouthéon est, à ce titre, le président du Sydemer*, groupement d’intérêts de différentes intercommunalités sur la gestion des déchets, dont l’agglomération stéphanoise est l’EPCI motrice. Chacune ses volumes et son contrat avec le délégataire, en l’occurrence Suez, qu’il s’agisse du tri ou de l’enfouissement sur le site de Borde-Matin. Mais quand il s’agit des enjeux et évolutions majeurs avec un angle pouvant être mis en commun, c’est groupé, via le Sydemer qu’elles travaillent.

Comme pour l’extension du site TriVaLoire de Firminy, actuellement à l’œuvre, afin de faire face à l’extension générale des consignes de tri effective depuis janvier. Ou encore lorsqu’il s’agit de trouver la solution pertinente, et donc le bon équipement, pour répondre au défi, de toute façon guidé par la loi, de la fin de l’enfouissement de nos déchets. La part que représente Saint-Etienne Métropole à elle seule était de 126 000 t enfouis à la veille du Covid, c’est-à-dire sur l’année 2019. Or, l’objectif de l’agglomération est de tomber (comme nous vous le disions déjà ici) à l’orée des années 2030 à environ 26 000 t par an : il ne resterait lors que les déchets dits inertes. La collectivité compte sur l’évolution comportementale – « le meilleur déchet, c’est celui que l’on ne produit pas » – la prise en charge obligatoire des bio déchets des particuliers, là aussi imposée par la loi et enfin la progression du tri pour 50 000 t sur 100 000. Reste donc, selon les estimations, 50 000 résiduelles à qui il faut trouver une solution autre que l’enfouissement d’ici moins de 10 ans.

La piste tortueuse du CSR

Écartée – ce qui a ainsi prolongé le recours à l’enfouissement de Borde-Matin, site devant fermer en 2052 – au début du premier mandat (2014/2020) de Gaël Perdriau à la tête de Métropole, la piste d’un équipement de tri mécano-biologique est définitivement jugée trop coûteuse ainsi qu’inapte techniquement et écologiquement. Restent, du coup, deux pistes fondamentales mises à l’étude. La première est le recours ou la création d’un équipement transformant ces 50 000 t (et celles des autres membres du Sydemer) en « CSR », combustible solide de récupération. Une alternative au pétrole ou au gaz dont les rejets liés à sa production sont de nos jours mieux gérés par les filtres, la technologie, dit François Driol, mais dont l’utilisation derrière par incinération – au sein de cimenteries, de chaufferies, pour une production électrique, etc. – est en revanche émettrice de CO2 . Et, de toute façon, « la demande potentielle ne se bouscule pas au portillon », relève l’élu.

Les CSR ? La demande potentielle ne se bouscule pas au portillon.

François Driol, vice-président de Saint-Etienne Métropole en charge de la gestion des déchets

Pour trouver un débouché aux CSR éventuellement produits, deux idées. Soit stocker la « matière première » puis l’acheminer jusqu’à de rares industriels intéressés qui la transformeraient en CSR, l’énorme hic étant que l’envoyer, au-delà de 100 km et même moins, rendrait écologiquement absurde la démarche. Soit incinérer directement les déchets avec son propre équipement afin de créer ces CSR et les valoriser dans le territoire : en alimentant des chaufferies, sinon des industriels. C’est là, que se pose la question du rendement économique et écologique d’un tel investissement. Et encore plus, si jamais il devait être retenu, celle aussi difficile que centrale du « où ». « C’est encore un paradoxe de la gestion pourtant capitale des déchets. Tout le monde en a besoin mais personne ne veut la solution chez soi, souligne François Driol. Il faut être loin, et encore, des zones denses, habitées pour envisager une acceptation. Mais il faut être près de ces mêmes zones pour que la solution soit rentable ! »

Une « entente » déjà signée avec Lyon

La seconde piste fondamentale, en réflexion depuis 2 ans au sein du Sydemer, consisterait à se rapprocher de… la Métropole de Lyon. Celle-ci possède deux UTVE (Unités de traitement et de valorisation Energétique) à Rillieux-la-Pape (là encore confié à Suez) et Gerland (en régie directe), créées au début des années 90 et incinérant des centaines de milliers de déchets par an venant de toutes les communes membres du Grand Lyon. La chaleur produite par les deux équipements est redistribuée dans des réseaux de chaleur au sein des deux villes qui l’accueillent : environ 20 000 foyers en profitent. Or, le Grand Lyon est engagé dans une politique de réduction des déchets, logiquement bien plus rythmée et dynamique de la part d’un exécutif dans les mains d’EELV : « Nous ambitionnons de réduire par deux la quantité de déchets incinérés d’ici la fin du mandat (en 2026) », rappelle en citant son président Bruno Bernard, un article de Lyon Capitale daté de juillet 2020 justement consacré aux incinérateurs.

L’incinérateur de Gerland. Capture Google view.

Si bien, d’après François Driol, « que cela pourrait à terme poser des problèmes pour alimenter les incinérateurs et donc les réseaux de chaleur. D’où l’ouverture d’une réflexion pour récupérer via un accord les déchets des collectivités voisines qui ne pourront plus enfouir. Le Sydemer a signé une « entente » le 24 avril avec la Métropole de Lyon pour lancer des études de faisabilité dont les premiers résultats sont attendus pour la fin de l’année. Et il n’y a pas que nous qui sommes potentiellement intéressés… » Le SEEDR (Roannais), Vienne Condrieu Agglomération, Communauté de communes des Vallons du lyonnais et le Sitom Sud Rhône (Vallée du Garon, le Pays de l’Ozon, le Pays Mormantais) sont aussi dans la réflexion. Mais la présidence écologiste de la Métropole de Lyon pose une condition sine qua non pour recevoir dans ses incinérateurs les déchets des voisins : un acheminement via un transport propre.

Tout un train de contraintes

Une contrainte considérable puisqu’en l’absence, à ce stade du moins, d’une flotte de camions « propres » (qui à défaut d’émettre du CO2 apporteraient fatalement leur contribution aux embouteillages) pour véhiculer nos ordures, il faudrait alors faire entrer la SCNF dans la danse, cela tout en créant une filière logistique, et trouver des possibilités, si elles existent, pour charger des déchets dans des trains sur un réseau, parait-il déjà bien pris par le trafic voyageur au point où le fret ne se développe pas. « Quand il y a une volonté, il y a un chemin, estime François Driol. Les créneaux horaires seraient d’ailleurs moins contraignants que ceux voyageurs et du fret mais cela veut dire, plus de trafic à faire accepter, peut-être la nuit. Encore une contrainte ? Oui, il y en a beaucoup. D’ailleurs passer par les trains sera bien plus compliqué pour les intercommunalités loin des gares que pour Saint-Etienne Métropole. Non, on ne vend pas du rêve, il n’y a pas de solutions miracles. Mais il est urgent de réfléchir et bien réfléchir. Cependant, ça prendra du temps. »

Non, on ne vend pas du rêve, il n’y a pas de solutions miracles. Mais il est urgent de réfléchir et bien réfléchir.

François Driol

Apparemment échaudée par les échanges en conseil métropolitain avec son opposition et des publications de certains de nos confrères lyonnais ou encore d’associations militantes sur les déchets, la présidence du Grand Lyon n’a pas donné suite à nos sollicitations à répétition sur le sujet, depuis maintenant… janvier dernier. Mais selon nos informations, elle assurerait que sa démarche d’ouverture ne serait pas liée à la réduction de matières premières faisant tourner ses deux incinérateurs et donc les réseaux de chaleur mais à ses convictions, une « question de bon sens » qui ne doit pas se limiter à son territoire.

Ce qu’en pensent les écologistes

Selon l’article de Lyon Capitale de juillet 2020, les incinérateurs de Lyon, très dispendieux en fonctionnement, auraient besoin d’un sacré investissement pour les moderniser et réduire leurs émissions : plusieurs centaines de millions d’euros. L’exécutif de la métropole contesterait l’ampleur de la tâche, arguant que depuis leur construction il y a plus de 30 ans, plusieurs travaux de modernisation auraient déjà permis de réduire considérablement leurs rejets en quantité et nocivité. Reste qu’un accord avec les voisins devrait permettre d’obtenir de nouvelles recettes, y compris pour agrandir les équipements si nécessaires… Et les écologistes stéphanois, qu’en pensent-ils, eux ?

Contrairement à l’idée très inquiétante des CSR, nous sommes totalement favorables à se rapprocher du Grand Lyon, mais à condition que cela soit bien fait.

Julie Tokhi, conseiller communautaire stéphanoise EELV

« Nous aimerions être informés comme il se doit déjà ! Comme la transparence l’exige. Apparemment, la signature de cette entente est passée via une délibération en bureau, signale Julie Tokhi, conseiller communautaire stéphanoise EELV et à Métropole. Sinon, se rattacher à Lyon, contrairement à l’idée très inquiétante des CSR, oui, nous y sommes totalement favorables mais à condition que cela soit bien fait. Dans ce sens, la volonté d’un transport propre des déchets dans le cahier des charges est une bonne chose, une évidence même. » C’est entendu : cette exigence, elle non plus, ne risque plus d’être enfouie sous le tapis…   

* Syndicat mixte d’étude pour le traitement des déchets ménagers et assimilés résiduels du Stéphanois et du Monbrisonnais (Sydemer) composé de Saint-Etienne Métropole, Loire Forez Agglomération, les communautés de communes de Forez Est, des Monts du Lyonnais et du Pilat Rhodanien.

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