Gestion de l’eau à Métropole : public ou privé, ça les partage (2/2)
La convergence tarifaire vers le bas ? Pas de débat. Une cohérence accrue à l’échelle du territoire ? Non plus. Une maîtrise publique des ressources ? Pas plus. En revanche, confier au privé une partie de la distribution a ouvert les vannes aux arguments. Même si chaque camp se défend de dogmatisme. Longue mais nécessaire plongée dans le débat.
On les sent partagés. Au point que leur position semble épouser les nuances du débat. Vincent Bony et Christophe Faverjon sont maires de Rive-de-Gier et d’Unieux. Le fait que Métropole confie la distribution de l’eau pour 13 de ses communes au privé ? Ces deux élus communistes n’ont pas voté contre. Ils ont opté pour l’abstention.
Et pourtant… « Le choix d’une régie publique est le nôtre, a rappelé Vincent Bony, lors du conseil communautaire le 28 janvier. Mais ça ne clôt pas le débat. Nous sommes bien placés dans notre commune pour savoir qu’une régie peut-être massacrée. Et apporter des désagréments. Des habitants ont dû se battre des mois, voire des années pour payer. Saint-Martin-la-Plaine à qui nous vendons de l’eau n’a pas eu de facturation durant un an. Au-delà des modes de gestion, il y a cette maîtrise publique qui doit être là. Le débat doit rester ouvert. »
« En régie, il n’y a pas d’actionnaires à rémunérer »
Il l’a été le jeudi 28 janvier. Au conseil, 18 interventions d’élus ont suivi la présentation du vice-président Bernard Bonnet. Pour rappel, elle expliquait le long cheminement projeté pour homogénéiser la gestion de l’eau dans la Métropole. Dans cette perspective, les eaux brutes (de la ressource au traitement) verront la création de régie (s) publique (s). L’assainissement aussi. En revanche, un marché de distribution sera proposé au privé via une DSP (délégation de service public) pour 13 communes dont Saint-Étienne. Parmi elles, La Talaudière, Saint-Jean-Bonnefonds et Sorbiers. Trois municipalités réunies par une régie intercommunale créée il y a… 3 ans.
On a l’impression d’être obligés d’intégrer une DSP parce qu’il y a urgence pour Saint-Étienne.
Ramona Gonzalez-Grail, maire de La Talaudière
Se disant parfaitement satisfaits du service, leurs maires ont fait part de leur sentiment d’être mis devant le fait accompli. Ils reprochent un traitement expéditif du dossier. « Je suis prête à entendre tout ce qui démontera qu’un autre service est plus efficace que le nôtre. Mais là… Nous avons pris connaissance des perspectives en décembre et du rapport d’études mi-janvier. Il n’y a pas eu de co-construction entre. On a l’impression d’être obligés d’intégrer une DSP parce qu’il y a urgence pour Saint-Étienne », constate, dans sa « colère » toute maîtrisée, Ramona Gonzalez-Grail.
Comme d’autres élus ayant voté contre ou s’étant abstenus, la maire PS de La Talaudière a réclamé un report de la délibération. Parmi eux aussi, le Stéphanois Pierrick Courbon (PS) qui pointe du doigt les conclusions du cabinet Jean-Raphaël Bert. C’est à partir de son rapport que le bureau de Sem a décidé le 21 janvier, à sa grande majorité de faire appel au privé. « Ce rapport tronqué tend à faire croire que grâce à une DSP, les tarifs baissent. C’est faux. C’est le changement d’échelle qui joue, estime Pierrick Courbon. Des territoires passés en régie ont vu des baisses de tarifs substantielles. En régie, il n’y a pas d’actionnaires à rémunérer. Et ce n’est pas le privé qui pousse à réduire sa consommation. »
Nous ne sommes pas pour ou contre une DSP. Mais pour un grand niveau d’exigence.
Gaël Perdriau, président de Saint-Étienne Métropole
« Ce cabinet a déjà travaillé pour la Ville de Saint-Étienne sous Michel Thiollière puis Maurice Vincent », souligne Gaël Perdriau. Le président se défend de décider sous l’influence du « prisme dogmatique ». Ajoutant que Jean-Raphaël Bert n’a pour habitude de faire des cadeaux au secteur privé. « Je m’étais engagé en 2019 à mandater un bureau pour évaluer la situation. Je l’ai fait. Ses conclusions sont claires : la DSP est la plus adaptée pour le bassin du Furan. Ce ne sera peut-être pas le cas plus tard pour le Gier ou l’Ondaine. Nous ne sommes pas pour ou contre une DSP. Mais pour un grand niveau d’exigence. Nous construirons le cahier des charges avec le délégataire. Et la question se reposera dans 6 ou 12 ans (durée du contrat signé en 2022, NDLR). »
« Une régie demanderait des investissements d’équipements colossaux »
Son vice-président, Bernard Bonnet appuie la position en insistant sur le fait que « l’équipement industriel de Solaure (qui alimente ces 13 communes, NLDR) réclame une expertise pointue ». Mais aussi « qu’une régie demanderait des investissements d’équipements colossaux. 1,3 million d’euros serait à dépenser. Et durant le six premiers mois d’exploitation, il n’y a pas de recettes. Le temps d’avoir les premières factures. Sans oublier une perte fiscale de 105 000 euros. Enfin, le recouvrement par des régies est toujours plus difficile. »
Le conseiller EELV stéphanois Jean Duverger argue, lui, que « l’étude donne l’impression d’un parti pris pour disqualifier » ce qui ailleurs donnerait satisfaction. « On pense à la régie de l’agglomération niçoise, ou à celle de Paris, sans parler de celle de Grenoble ». L’élu s’est penché sur les hypothèses formulées par le cabinet. Comme « une marge contenue à 2 % des charges pour la DSP à cause « d’une concurrence vive ». Alors que la concentration dans ce secteur est en passe de se renforcer (allusion, entre autres à la tentative de rachat de Suez par Véolia, NDLR) ! »
Il y aussi « celle qui augmente le coût d’achat des produits de traitement pour une régie de 20 % au prétexte « qu’elle ne pourrait pas disposer des moyens équivalents à ceux d’un délégataire pour négocier ». Comme enfin celle qui retient un taux d’emprunt qui évoluerait pour la régie « de 0,5 % à 3 % jusqu’en 2030 ». Là encore on ne comprend pas ce différentiel toujours défavorable à la régie. »
« L’argument financier semble insuffisant »
Ces arguments sont parmi ceux déployés par un collectif composé de deux associations, Citoyens et Citoyennes Libres de la Loire et Eaux et services publics. Cette dernière participe à la Commission consultative des services publics locaux (CCSPL) qui s’est tenue à propos de l’eau le 13 janvier. Elle a donc eu accès au rapport Jean-Raphaël Bert. « Mais il a fallu éplucher ces 170 pages reçues seulement quelques jours auparavant, explique sa présidente, Hélène Vialleton. De nombreux éléments nous interpellent. »
Outre ceux déjà évoqués, « l’absence de bilan de la dernière DSP et de ses performances. Il y a aussi le fait que l’on parle de complexité pour passer en régie alors que le rapport indique que sa mise en place pourrait se faire en 14 mois. Contre 26 en DSP… Certaines communes sous ce mode de gestion ont actuellement un taux de rendement très bas. Enfin, l’écart de prix pour la mise en place n’est que d’1 M €. L’argument financier semble insuffisant. »
Surtout « que l’on ne peut pas prendre en compte ce seul aspect sur une ressource aussi universelle et menacée, estime Hélène Vialleton. C’est d’ailleurs l’objet de la directive européenne sur l’eau. » Reste que Saint-Étienne est en DSP. Et l’eau y est la moins chère des 36 communes françaises de plus de 100 000 habitants. Plusieurs renégociations successives avec la Stéphanoise des Eaux, dont la dernière, via l’avenant de 2019, ont amené son prix à 1,39 € le m3.
Une entreprise politicienne ?
« C’est à relativiser, pense, elle, Hélène Vialleton. Déjà, le rapport n’évoque pas des travaux d’entretien de 500 000 € dispensés par le dernier avenant signé en 2019. Seront-ils rajoutés au contrat ? Ensuite, une régie intercommunale de La Talaudière/Saint-Jean-Bonnefonds/Sorbiers garantit une part fixe à 15 € contre 45 € à Saint-Étienne. L’eau y est donc en fait moins chère pour les petits consommateurs. »
Le collectif avait sollicité les élus et les médias quelque jours avant le conseil communautaire. Son intervention a irrité Gaël Perdriau. « Nous avons d’abord reçu un e-mail anonyme. Puis nous avons compris qui dirigeait ces associations. Il s’agit d’une entreprise politicienne, pas citoyenne. » Le président de Citoyens et Citoyennes Libres de la Loire, Philippe Huyard, été sur la liste EELV aux Régionales 2015. Et Hélène Vialleton, membre des Jeunesses communistes a été candidate pour le PCF aux élections départementales 2017.
Néanmoins, l’association Eaux et services publics dont Hélène Vialleton a repris la présidence il y a 2 ans, ne sort pas de nulle part. Créée au début des années 1990, c’est cette association qui a mené devant les tribunaux la municipalité Dubanchet pour le contrat signé en 1992 avec la Stéphanoise des Eaux. La municipalité avait été accusée de créer un impôt sur l’eau en raison du droit d’entrée approchant les 60 M€ pour éponger ses dettes. Somme finalement répercutée sur la note des Stéphanois. Ce contrat, remanié à plusieurs reprises sous Maurice Vincent puis Gaël Perdriau est toujours en cours. C’est lui qui s’achève en octobre 2022 pour Saint-Étienne.
« La démocratie a parlé »
Vice-président en charge des marchés publics et président de la CCSPL, le maire de Saint-Chamond, Hervé Reynaud estime lui que « la démocratie a parlé ». L’élu fait référence au vote de l’assemblée communautaire, à 80 % favorable à la DSP. Mais aussi au feu vert à 95 % du bureau de Sem le 21 janvier. Puis du comité paritaire le 14 janvier. Et la veille, de la CCSPL lors de laquelle, « huit associations sur dix se sont dites favorables. Nous n’étions pas obligés d’aller si loin ».
Certes, mais quid du côté « expéditif » dénoncé par certains élus et le collectif ? « Des contrats arrivaient à échéance fin 2022 (à Saint-Étienne mais dans d’autres commune aussi, NDLR). C’était maintenant ou jamais. Au regard du contexte particulier, des élections, on ne peut pas, j’insiste, en vouloir à un seul élu. Reste que ce dossier, personne n’a semblé vouloir s’en emparer. Aussi, la présidence a pris ses responsabilités. Il fallait avancer. Et encore, une fois, cette décision a été approuvée par les instances représentatives. »