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mardi 19 mars 2024
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Ils sèment les haies de la reconquête

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La prise de conscience de la perte environnementale causée par l’éradication des haies agricoles ne date pas d’aujourd’hui. Tout comme les plans d’action pour les replanter menés par les collectivités. Mais ceux-ci ont tendance à s’intensifier. Dans la Loire, le Département ou le PNR du Pilat, par exemple, orchestrent ou soutiennent financièrement leur retour. Saint-Etienne Métropole aussi. La collectivité vient de mettre un exemple en avant.

Un membre de la Fédération des chasseurs de la Loire travaillant sur la plantation de 500 m de haie de la Gaec bio des Collines du midi. ©If Media/Xavier Alix

Et en voilà pour 500 mètres de plus. C’est sur les terres de Laurent Pinatel, co-propriétaire, avec sa sœur Catherine, des 125 ha de la Gaec bio des Collines du midi, à Saint-Genest-Lerpt que cette nouvelle longueur prendra place. Relayée par la mairie, l’initiative est ici proposée par Saint-Etienne Métropole qui a missionné la Fédération départementale des chasseurs de la Loire pour sa mise en œuvre. La haie sera visible tout le long de la route au lieu-dit La Croix de Sagnes à proximité de la route des Contamines et de la M25. Mais il faudra au moins une petite dizaine d’années avant qu’elle n’atteigne sa « maturité », environ 2 m de haut.

« L’idée de replanter des haies sur notre exploitation, nous l’avons en tête depuis des années. Il y aura d’ailleurs une deuxième partie. On est bio, c’est juste logique », explique l’agriculteur, connu pour son engagement militant au sein de la Confédération paysanne – il en a été porte-parole de 2013 à 2019 – ayant débouché sur quelques démêlés judiciaires. Mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui. Par « logique », Laurent Pinatel entend les nombreux avantages environnementaux, voire agronomiques, qui ont disparu avec l’éradication des haies en France. Une destruction liée à la logique productiviste de remembrement des terres de notre agriculture il y a plus d’un demi-siècle.

Avec les haies, ont disparu de nombreux bienfaits

La liste des bienfaits perdus avec les haies agricoles qui séparaient autrefois des propriétés dispersées est longue : bien-être des troupeaux dans les pâturages, en particulier l’été pour l’ombre et brouter une herbe plus fraîche, moins jaunie par les sécheresses. C’est un écrin de choix pour la biodiversité : pour des centaines d’espèces d’insectes dont ceux pollinisateurs, de mammifères, d’oiseaux ou encore de reptiles qui y trouvent un abri et nourriture complémentaire. Et si la population de rapaces à force de protection est repartie à la hausse depuis les années 1980, le compte n’y est pas pour éliminer « naturellement », comme auparavant, les « nuisibles » dans les champs. Là encore, les haies favorisent la population de leurs prédateurs.

Chaque année en France, 11 500 km de haies continuent à disparaître. Photo extraite du rapport d’activité 2020/21 du Fonds pour l’arbre

Elles contribuent aussi à lutter contre l’érosion des sols, à améliorer la qualité et l’infiltration de l’eau, à limiter le ravinement et les inondations. Elles permettent, enfin, d’atténuer les effets des grands vents, du réchauffement climatique (1 km de haie, ce sont, en moyenne, 128 t de CO2 stockés) des fortes chaleurs et facilitent une « remontée hydraulique ». Bref, autant d’atouts dont l’Homme aurait mieux fait de ne pas se débarrasser. C’est ce qui amène le Département, depuis des années, à inciter et soutenir des projets de plantation. La collectivité subventionne leur coût à hauteur de 30 % sur l’ensemble de la Loire, parfois même quand les projets sont orchestrés par d’autres collectivités, comme ceux de Saint-Etienne Métropole.

Un objectif national de 750 000 km plantés d’ici 2050

Ces projets peuvent aussi bénéficier d’un appui financier d’entreprises parapubliques comme la Compagnie nationale du Rhône (CNR) l’a fait avec le Parc du Pilat. Ou même du privé comme le « Fonds pour l’arbre », créé en 2020 par la fondation Yves Rocher et l’Afac-Agroforesterie (réseau professionnel fédérant 200 structures autour de la problématique) rejoints par une dizaine d’autres mécènes privés. C’est lui qui finance l’achat de plants pour Métropole. Selon l’Afac-Agroforesterie, la situation urge plus que jamais au regard de la dégradation de la qualité des sols, des eaux, de la biodiversité « alors que nous devrions, pour atteindre les engagements de la France pris lors de l’accord de Paris à la COP21, avoir doublé le linéaire existant d’ici 2050 ».

Or selon l’organisation pour qui elles sont tout simplement « essentielles à notre avenir », près de 70 % des haies ont disparu en France depuis 1950. Et s’il en reste environ 750 000 km, non seulement 80 % de ces haies restantes sont altérées (manque et mauvais entretien, surexploitation) mais en plus, chaque année, plus de 11 500 km continuent à être supprimées ! L’Afac-Agroforesterie et ses partenaires ont fixé un objectif ambitieux : planter 750 000 km de haies supplémentaires et restaurer l’existant d’ici 30 ans. Ce qui signifie multiplier par dix son rythme actuel. Pour son premier exercice, près d’1 million d’euros a été consacré à 1 989 sites de plantation pour 730 000 arbres.

Extrait du rapport d’activité 2020/21 du Fonds pour l’arbre.

Rhône et Loire, « deux départements moteurs »

L’Etat semble commencer à prendre pleinement la mesure du problème. Le 3 septembre 2020, le gouvernement annonçait inscrire une mesure portant sur la haie dans le cadre du Plan de relance économique, dotée à hauteur de 50 M€. L’objectif de la mesure est de parvenir à la plantation de 7 000 km de haies et d’alignements d’arbres intra parcellaires sur la période 2021-2024. L’Afac-Agroforesterie attire cependant l’attention de l’Etat sur une prise en compte incontournable de la problématique dans le cadre de l’épineuse négociation de la Pac 2023. Dans son rapport d’activité 2020/21, le fonds note qu’en région AuRa, le Rhône et la Loire sont les « deux départements moteurs du mouvement » avec des densités de haies plantés de 0,15 ml/ha.

A son échelle, Saint-Etienne Métropole, dans le cadre du « Contrat Vert et bleu » porté par la Région avec l’aide de l’UE, a d’abord fait inventorier les secteurs pertinents au sein de ses six corridors écologiques de 2011 à 2015. Puis élaboré un programme d’actions en partenariat avec FNE Loire (France nature environnement, alors Frapna), la LPO, la Fédération des chasseurs et le monde agricole. Le « Contrat vert et bleu 2016-2021 » a, lui, décliné en un certain nombre d’actions dont celle de reconstituer des éléments naturels dans ces secteurs jugés prioritaires comme la création de mares et donc de haies. En 5 ans, ce sont plus de 5 km linéaires de haies environ qui ont été replantés sur le territoire de Métropole via ses plans de soutien croisant différents financements.

Extrait du rapport d’activité 2020/21 du Fonds pour l’arbre.

« La création de notre haie ne nous a rien coûté »

« Le projet agro-environnemental et climatique porté par la Métropole et le SMAGL (Syndicat mixte d’aménagement des Gorges la Loire) prévoit aussi, différentes actions de formation proposées aux agriculteurs. Une concernant l’agroforesterie : intérêts des arbres et des haies. En 2018, cinq agriculteurs ont participé », précise aussi à IF Saint-Etienne Métropole. Sur la période 2021-2022 un nouveau dispositif a été mis en place de soutien de la Fédération départementale des chasseurs pour des plantations de haies. 28 projets ont été identifiés sur son territoire répartis entre plusieurs opérateurs : Parc du Pilat, Sima Coise et Saint-Etienne Métropole directement pour dix d’entre eux – dont celle de la Gaec des Collines du midi – représentant un total de 5 km de haies. La participation financière de la Métropole ne lui coûte pas un bras : 8 000 euros au total.

« A part du temps pour préparer le terrain, la création de notre haie ne nous a rien coûté », souligne, lui Laurent Pinatel. L’agriculteur insiste aussi sur le fait que ces projets sont une occasion de rapprocher les points de vue de plusieurs milieux aux relations difficiles, voire « souvent très très tendues entre agriculteurs et chasseurs, en particulier sur la question des dégâts causés par les sangliers ». A la Gaec bio des Collines du midi, c’est en effet la Fédération de chasse qui a planté la haie, avec l’aide Société coopérative d’intérêt collectif (Scic) du Chambon-Feugerolles Compost’ond pour le paillage. Des essences volontairement locales récoltées cet automne après avoir confié les graines à des pépiniéristes. Parmi ces plants, par exemple, des prunelliers, des aubépines ou encore des cornouillers.  

L’entretien des nouvelles haies : un souci émergent

« Le soutien financier des collectivités sur lequel nous sommes conventionnés pour mettre en œuvre ce type de plantation ne nous fait pas gagner d’argent. On n’en perd pas non plus. En fait, on dépense du temps avec la plantation en soi, notre expertise technique. Notre objectif, notre motivation, c’est tout simplement de participer à la restauration de la biodiversité, assure Sandrine Gueneau, directrice de la Fédération départementale des chasseurs de la Loire. Les haies nouvellement plantées participent aussi à nos actions d’éducation de la jeunesse sur la nature. » Pour Sandrine Gueneau, la prise de conscience des collectivités et leur soutien montant a permis d’accélérer ces dernières années l’action de replantage des haies.

Dans la Loire, la fédération de chasse replantait, « avec les moyens du bord » au rythme de 2 à 3 km par an dans les années 1990. Avec davantage de soutiens, de moyens, d’expérience, ce chiffre est monté à 45 km en 2021 pour totaliser les 250 km plantés en plus de 30 ans. Une dizaine de projets par an sont menés par la fédération qui espère maintenant aller plus loin. Même si Sandrine Gueneau tient à pointer un souci émergent avec la maturation des premières haies replantées : la sensibilisation et la formation nécessaire à leur entretien. D’ailleurs dans son diagnostic, l’Afac-Agroforesterie souligne que le départ en retraite de 50 % des agriculteurs dans les 10 ans à venir engendrera un doublement du linéaire de haies à charge par agriculteur…

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