La Licra, elle aussi, forme les jeunes de l’ASSE
La section stéphanoise de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) intervient au sein du centre de formation de l’ASSE depuis plusieurs années. Un élément du bagage extra-sportif que le club se doit d’apporter à ses jeunes. Nous avons pu assister à une séance à laquelle étaient présents 24 joueurs U14 et U15 au centre Robert-Herbin, à l’Etrat.
« Des fois, sur le terrain j’entends dire que les adversaires nous ont fait l’engagement ou un autre truc « en juif ». Madame, je me suis toujours demandé ce que ça voulait dire. J’ai jamais compris… » Parmi les 24 garçons de l’ASSE présents ce jour-là pour écouter les intervenants de la Licra, ce grand gaillard de 15 ans qui domine toute l’assemblée de son bon mètre 90, n’est pas le moins loquace. Au sein d’un groupe qui n’aura pas manqué d’écoute et de respect à ses interlocuteurs durant les plus de deux heures que vont durer les échanges, son intérêt et sa curiosité transpirent la sincérité. « Je ne connaissais pas cette association et je suis content d’avoir pu discuter de tout ça. Vraiment, j’ai appris plein de choses », nous confie-t-il à l’issue de la séance.
Plusieurs années déjà que l’ASSE fait en sorte que les jeunes de son centre de formation assistent à des séances de sensibilisation de la part de la section stéphanoise de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). Une initiative qui passe par la Fédération française de football et appartient au bagage extra-sportif nécessaire pour la reconnaissance du centre de formation dans ses classements. « Ce sont des ados. Ils sont avec nous pour le foot mais on ne peut pas leur parler que de foot. Il y aussi le scolaire (assuré à Tezenas du Montcel, Ndlr) et l’éducatif. La venue de la Licra fait partie d’autres actions comme des sensibilisations à l’environnement, au handicap ou à la solidarité », souligne Jean-Philippe Primard, 222 matchs comme défenseur l’ASSE de 1981 à 1995.
« Des garçons vifs et curieux »
Mais agrément ou pas, classement de centre ou non, « il y a une vraie volonté du club de leur donner des clés de compréhension de la vie, poursuit celui qui, de nos jours, est plus spécifiquement l’entraîneur des U15 du club. Aujourd’hui, il s’agit des U14 et U15. Ils reviennent tout juste du collège. Sur 35 joueurs, six d’entre eux sont hébergés au centre, à l’Etrat. La plupart donc retourne le soir chez leurs parents. Plus ils sont âgés et plus cette proportion s’inverse. En U19, ces jeunes viennent beaucoup plus fréquemment d’ailleurs que la région stéphanoise et sont quasiment tous en permanence chez nous. Une séance leur est donc aussi consacrée. »
Il y a une vraie volonté du club de leur donner des clés de compréhension de la vie.
Jean-Philippe Primard (ASSE)
De ces classes plus âgées, le docteur Pierre Mathern, membre de la Licra Saint-Étienne, rencontré par ailleurs dans un autre contexte se souvient de celle des Saliba et Fofana et de sa satisfaction d’avoir pu échanger avec « des garçons très respectueux, bien plus que la moyenne des jeunes que nous voyons en collège ou au lycée. Ils étaient loin d’être amorphes et au contraire vifs et curieux ». Dispenser une pédagogie autour de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme chez les jeunes, dans le milieu scolaire essentiellement, mais pas que, c’est en effet la principale raison d’être des sections locales de la Licra.
« Nous faisons en sorte de mener un dialogue »
La Loire compte trois sections à Roanne, Montbrison et Saint-Etienne. Elles totalisent 120 adhérents pour 1 500 élèves – lycéens et collégiens – rencontrés dans la Loire en 2019, avant la perturbation Covid. « Nous faisons en sorte de mener un dialogue avec ces jeunes pour qu’ils comprennent ce qui se passe dans la société, devant eux. Il s’agit de leur apprendre, de combler des lacunes, de leur faire comprendre des notions. Mais aussi, derrière, les responsabiliser. Nous intervenons toujours en duo », explique Florence Boudoussier. La présidente de la section stéphanoise de la Licra. A ses côtés ce mercredi après-midi face aux jeunes pousses vertes, l’ex-député stéphanois rose (PS puis LREM) … Jean-Louis Gagnaire. Celui qui fut aussi conseiller départemental et conseiller régional, se garde bien d’étaler son CV devant les gamins
Il s’agit de de combler des lacunes, de leur faire comprendre des notions. Mais aussi, derrière, de responsabiliser.
Florence Boudoussier, présidente de la Licra Saint-Etienne
Lui aussi partage l’avis du Docteur Mathern sur les U19 qu’il a rencontrés en décembre : « Je les ai trouvés très mûrs avec des questions pertinentes. Vraiment, on voyait qu’ils ne s’intéressaient pas qu’au foot et on a prolongé plus longtemps que prévu les débats. On a là de beaux futurs citoyens ! » La séance avec leurs benjamins commence par du vocabulaire. Surprise : quelques-uns des U14 et U15 savent ce qu’il y a derrière le sigle Licra. On leur explique que l’association se veut « apolitique », « républicaine », qu’elle lutte contre les discriminations. Toutes les discriminations. Que l’on s’attaque aux couleurs de peau, à la religion, aux orientations sexuelles. On leur demande s’ils savent définir le racisme. Et d’ailleurs, à ce propos combien y a-t-il de races d’homme : une, deux, trois ?
1789, Ben Laden et les Ouïghours
La jeune assemblée sèche. « Il n’y a qu’une seule espèce humaine alors que les racistes pensent qu’il y en a plusieurs et que la leur est supérieure aux autres », répondent pour eux les intervenants. « Et l’antisémitisme, c’est quoi ? ». Là, ils savent, l’un d’eux ajoutant même que la Shoah a aussi touché les Tsiganes. Jean-Louis Gagnaire leur explique la genèse de la haine des juifs, bien plus vieille qu’Hitler. Les réseaux sociaux, le harcèlement, leur responsabilité potentielle, la complicité – même par absence de réaction devant une agression – ne sont pas écartés des échanges. Le centre avait d’ailleurs subi une sombre affaire de bizutage en 2020. Ni ce qui fait l’essence de la laïcité dans la République française, ce respect de la religion de l’autre ou de ne pas en avoir, cette obligation de ne pas l’imposer à son prochain, ce droit de croire ou ne pas croire, l’absence de religion d’Etat.
Mais encore cette liberté limitée par celle des autres, cette « égalité en droits » ET « en devoirs ». On parlera 1789, Ben Laden, des Ouïghours, des signes distinctifs à l’école. Mais aussi des Martin Luther King, Lucie Aubrac, Saint-Exupéry, Einstein, Léopold Senghor et autres Joséphine Baker pour leurs combats, pour leurs citations. Comme celle d’Alphonse de Lamartine : « Je suis de la couleur de ceux qu’on persécute. » Il est crucial « que vous vous intéressiez dès maintenant à ce qui se passe, a fortiori dans une année électorale », lance Jean-Louis Gagnaire. Car comme l’ancien élu le rappelle, le droit de vote pour eux, ce n’est pas dans si longtemps. Ils seront sur ce terrain aussi, d’ici 3 ou 4 ans.