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vendredi 29 mars 2024
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La renouée du Japon envahit la Loire : qu’est-ce qu’on (en) fait ?

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Pourquoi pas des fermes en plein Saint-Etienne pour la cultiver et l’étudier sous un autre angle que l’éradication ? Classée espèce invasive, la plante particulièrement répandue dans la Loire, a peut-être d’autres vertus que son invincibilité. Elle fait l’objet d’un projet d’étude mené par un designer stéphanois. Le projet « Renouer » est porté au sein du Deep Design Lab de la Cité du design. Il devrait concrétiser par des fermes éphèmères à l’occasion de la prochaine Biennale du design.

Très présente le long de l’A47 dans le Gier, la plante a tendance désormais à remonter sur les coteaux. Photo ©If Media/Xavier Alix.

« De toute façon, les jeux sont faits », constate Jean-Sébastien Poncet. Alors que faire ? Comment appréhender l’enracinement dans notre quotidien de l’envahissante renouée du Japon ? Si vous mémorisez son aspect, vous ne verrez bientôt plus qu’elle le long de l’A47. Il suffit de jeter quelques coups d’œil : la plante est toujours plus densément présente au fur et à mesure que vous avancez en direction de Lyon. 

La renouée du Japon, classée EEE (espèce exotique  envahissante), colonise cependant l’ensemble de la Loire depuis plusieurs dizaines d’années. Mais c’est bien dans le Gier qu’elle prolifère le plus, favorisée ici comme ailleurs par les milieux perturbés par l’Homme, au gré du vide laissé par ses activités. Elle y trouve le parfait cocktail entre friches et berges humides qu’elle affectionne. Elle remonte désormais les coteaux, via les affluents, allant au-delà de ses foyers « initiaux ». Importée au XIXe siècle comme plante d’ornementation, la renouée est devenue chez nous tenace, coriace et vorace.

L’activité humaine lui vaut donc un cercle vertueux

Elle peut prendre jusqu’à un mètre par semaine au plus fort de son cycle de développement. Et même si elle n’est pas la seule à faire ça, ses rhizomes déploient des substances toxiques dans le sol, visant à écarter la concurrence végétale. Enfin, le moindre petit morceau de ces mêmes rhizomes tombé d’une poche, emporté ailleurs par un outil, un engin, suffit à créer un autre foyer. Sous nos tropiques, l’activité humaine lui vaut donc un cercle vertueux. Le danger ? Uniformisation du paysage, disparition des espèces locales, déstabilisation des berges… Les solutions ? Du point de vue éradication, elles sont, pour l’heure, peu concluantes.

Son élimination par voie phytosanitaire (de toute façon pas si efficace) exclue, il faut un acharnement et un temps fou pour l’éliminer physiquement. Surtout qu’il faut veiller scrupuleusement, comme déjà dit, à ne pas l’exporter. Saint-Etienne Métropole, au titre de ses compétences sur la gestion des rivières, tente depuis quelques années des expériences d’étouffement par bâchage sur des centaines de m2 mais mettant des années à aboutir… Et à condition de replanter d’autres espèces immédiatement. L’écopâturage est testé aussi par d’autres acteur publics. Par exemple, la DIR (Direction interdépartementale des routes) centre-est dans les Alpes. Mais l’idée ne peut pas s’appliquer sur des zones où des friches polluées voisines des terrains étroits en bord de route comme l’A47.

Des recherches menées sous caution scientifique

Au Japon, elle a, à l’origine, un rôle de plante pionnière fertilisant les sols. Chez nous, elle a adopté des comportements différents.

Jean-Sébastien Poncet, designer

Voilà le tableau. Voilà pourquoi le designer stéphanois Jean-Sébastien Poncet estime – comme bien d’autres avant lui – que « les jeux sont faits ». « Au Japon, elle a, à l’origine, un rôle de plante pionnière fertilisant les sols, volcaniques par exemple, avant de céder le terrain. Chez nous, elle a adopté des comportements différents. Il s’agit d’hybrides d’ailleurs. » Agé de 39 ans, ce diplômé de l’ESADSE (École supérieure d’Art et Design de Saint-Étienne) n’est pas biologiste.

La plante s’invite un peu partout en milieu urbain, ici à Saint-Etienne. Capture d’écran du site www.renouer.org

Mais, outre son travail de documentation, il mène des travaux de recherche depuis 2019 sur la renouée avec la caution scientifique de Florence Piola, maîtresse de conférences de l’Université Claude-Bernard à Lyon, chercheuse en biologie moléculaire au laboratoire Lehna (Laboratoire d’écologie des hydrosystèmes naturels et anthropisés). Originaire de Chazelles-sur-Lyon, issu d’un milieu agricole, Jean-Sébastien Poncet avait, lui, abordé le domaine anthropocène en effectuant sa recherche post-diplôme sur le « design paysan », l’interaction entre l’Homme et la nature autour de ses activités agricoles, la transformation du paysage qu’elle engendre.

Parfaite illustration d’une nature adaptée à nos activités

Travaillant comme indépendant sur l’édition de mobiliers, d’objets, voire de matériels, il a collaboré au sein du groupement d’entreprises stéphanois Culture et coopération, de 2011 à 2016 abordant champ du design social. Mais c’est après s’être penché sur un projet de reconversion d’un terrain militaire à Valence qu’il commence à mettre un pied dans la problématique des sols. « Je devais faire des mobiliers mais avec la consigne de ne pas les ancrer, de ne pas creuser le sol… La plupart du temps, pour dépolluer un site, on excave et emmène la terre polluée plus loin. C’est là que je me suis dit qu’il y avait des choses à travailler sur le rapport entre activités humaines et le sol. »

Surtout qu’il est question d’un rapprochement entre les travaux du designer et celle de sciences humaines sur les questions urbaines, développées au sein du Master Alterville, fruit du partenariat entre Jean-Monnet et Science po Lyon dont Christelle Morel est la responsable pour l’université stéphanoise. Puis avec l’Ecole urbaine de Lyon, dirigée par Michel Lussault. Tout cela aboutit au choix de travailler sur la renouée du Japon, parfaite illustration d’une nature au comportement modifiée par nos activités et leurs conséquences sur le sol. Donc cadrant avec la problématique anthropocène.

Grosse productrice de matières organiques, la renouée capte les métaux lourds

Sa valorisation, je l’aborde et je ne suis d’ailleurs pas le premier. Mais j’ajoute une dimension sociale à mes recherches. 

Jean-Sébastien Poncet, designer
Les valorisations (cosmétique, alimentaire) au Japon ne manquent pas. Capture d’écran du site www.renouer.org

« Les recherches sur la renouée du Japon tournent très souvent autour de son éradication. Sinon sur le contrôle de sa croissance, à son utilisation. Au Japon, elle servait traditionnellement à la cosmétique, voire à l’alimentaire. On sait qu’elle peut, peut-être améliorer l’agronomie des sols. Sa valorisation, je l’aborde et je ne suis d’ailleurs pas le premier, qu’il s’agisse de laboratoires de chimie ou même d’autres designers. Mais j’ajoute une dimension sociale à mes recherches. » Jean-Sébastien Poncet a ainsi réalisé toute une collection d’entretiens avec des artistes, des scientifiques, des techniciens, de la SNCF de la Dir, des collectivités. Objectif : explorer les différentes perceptions, représentations qu’ils ont de la plante.

« Je suis également aller à la rencontre de la plante pour cartographier sa présence sur le territoire de Saint-Etienne Métropole. Ou pour en récupérer des échantillons. J’ai effectué des expériences de fenaison. » Car pour revenir à des aspects « utilitaristes », la renouée produit énormément de matières organiques en se dégradant : 13 à 15 t à l’hectare quand le maïs, déjà plutôt bonne pâte en la matière fait dans les 11 ha. Autre élément intéressant : les rhizomes de l’envahisseuse ont tendance à extraire et capter les métaux lourds, stimulant même sa croissance apparemment. « On imagine qu’elle dilue les quantités de métaux absorbés. C’est prouvé in vitro mais pas in situ », précise Jean-Sébastien Poncet.

Des fermes à renouée au Crêt-de-Roc pendant la Biennale du design

Reste que derrière ces expériences préparatoires, Jean-Sébastien Poncet souhaite aller plus loin avec le projet Renouer porté au sein du Deep Design Lab, un partenariat entre la Cité du design et l’Ecole Urbaine de Lyon. Dans le cadre de la prochaine Biennale du design, il devrait créer des fermes urbaines éphémères dans le quartier du Crêt-de-Roc à Saint-Etienne. Il s’agirait de quelques lieux, pour beaucoup déjà repérés, ne dépassant pas la dizaine de m2 appartenant à la collectivité ou des particuliers. L’appel à projet sera lancé en septembre.

Lors d’une tentative de fenaison par Jean-Sébastien Poncet. Capture d’écran du site www.renouer.org

On y cultiverait ainsi volontairement, d’avril à juillet 2022, la renouée avec l’idée de s’appuyer sur le substrat fertile qu’elle peut constituer par-dessus ses rhizomes en séchant sa matière organique. Une vraie piste de valorisation de sols dégradés en milieu urbain. Mais aussi de sensibilisation sociale sur la représentation des sols qu’ont les habitants en ville. Et qui pourrait voir un prolongement au-delà de la Biennale du design dans le cadre de l’appel à projets Quartiers fertiles lancé par l’Anru autour de l’agriculture urbaine.

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