Saint-Chamond passée à la loupe de la Chambre régionale des comptes
Pas de quoi fouetter un chat, assure la majorité municipale couramiaude, en auscultant une par une les 11 recommandations* du rapport. En 2021, la Chambre régionale des comptes a passé au peigne fin, plusieurs mois durant, les comptes de la Ville de Saint-Chamond. Lundi 7 novembre, son rapport définitif était donc à l’ordre du jour du conseil municipal. Si des demandes d’amélioration sur certaines procédures ou encore la transmission d’informations ont été émises, les finances y sont qualifiées de « saines ».
« Une grande première » comme l’a dit le maire Hervé Reynaud en conseil municipal ? Non. « Ou sinon, de la mémoire même de la magistrate depuis fort longtemps », avait-il ajouté. Là, oui. Si par « fort longtemps », 15 ans s’entendent. Il est vrai que la Chambre régionale des comptes (CRC) Aura, créée en 1982 mais largement montée en compétences et moyens à partir de la fin des années 1990, aujourd’hui plus que rodée à l’exercice local, a désormais vocation à contrôler des Villes de la taille de Saint-Chamond, la seconde de la Loire en population, tous les 5-6 ans. Si selon la majorité actuelle, le mandat de Philippe Kizirian (2008-2014) avait eu droit à une visite sans rapport, le dernier en date sur les budgets et la gestion de la commune avait été publié en mars 2007 à la suite de l’examen des premières années du 3e mandat (2001/2008) de Gérard Ducarre dont Hervé Reynaud fut le directeur de cabinet.
La lecture des recommandations de 2007 ne laisse supposer qu’une demande d’amélioration des procédures de gestion financière et des ressources humaines. En 2003, deux autres rapports avaient cependant été publiés. L’un sur la construction de l’usine d’assainissement des eaux de La Maladière, confiée alors à l’entreprise FMI et aux performances jugées « insatisfaisantes » par la CRC. L’autre sur l’attribution de marchés publics autour d’aménagements : stade Pauze, square Croix-Gauthier et du Rond-Point du Moulin. Elle détaillait et évoquait là des « incertitudes » et des « manquements » dans les procédures, sans que cela n’aille pour autant plus loin. La CRC a donc fait son retour en 2021 à Saint-Chamond pour éplucher ses finances et la logique, du moins d’un point de vue comptable, de ses politiques publiques. L’ampleur du travail de vérification a exigé – de manière classique – une présence fréquente sur place, au point d’obtenir un bureau dans les murs mêmes de la mairie.
« Pas d’injonctions et encore moins de malversations »
Le rapport provisoire sorti en avril 2022 donnant lieu à des réponses argumentées de la municipalité, celui définitif (consultable ici) a été rendu mi-septembre et donc inscrit à l’ordre du jour du conseil municipal suivant, comme l’exige la loi. Il porte sur la gestion budgétaire et financière 2015/2020, la situation financière globale, les relations avec Saint-Etienne Métropole (Sem) sur les compétences et ses attributions de fonds, la gouvernance et le fonctionnement des instances, les relations avec les associations, la commande publique, la gestion des ressources humaines ainsi que du patrimoine bâti communal et les projets de rénovation énergétique municipaux. Elle fait, au passage, le simple constat de l’impact budgétaire cumulé par la crise sanitaire : elle a alourdi de 600 000 € son budget fonctionnement. La majorité municipale avait d’ailleurs tenu à en parler aux médias, juste en avant le conseil.
Il y a une vision jacobine, comptable et financière des éléments ainsi qu’un style dans l’écriture qui peuvent alerter alors que nous sommes dans la légalité.
Hervé Reynaud, maire de Saint-Chamond
Son objectif : désamorcer à ses yeux les fantasmes éventuels que pourrait susciter le rapport de 98 pages, annexes comprises et ses 11 recommandations* ainsi que « la nature même de la chambre, de sa venue qui répond pourtant à un fonctionnement normal. Mais sa vision jacobine et comptable des éléments ainsi qu’un style dans l’écriture (forcément et logiquement froid et impartial, Ndlr) peuvent faire peur alors que nous sommes bien dans la légalité ». Le maire Hervé Reynaud synthétisait d’emblée qu’« il est évoqué une situation financière saine, qui n’a pas fortement évolué entre 2015 et 2020 et demeure peu embêtée. Il est aussi souligné l’effort d’investissement significatif. Certes, des éléments de gestion sont jugés encore perfectibles et c’est la vocation de la CRC de le pointer aux collectivités pour qu’elles s’améliorent. Nous contestons en revanche des remarques qui relèvent d’un pur choix politique. Mais on reste toujours dans les recommandations : le rapport ne contient pas d’injonctions et encore moins de malversations. Un rapport peut amener au pénal, ce n’est pas le cas ici. »
« Une vision trop comptable et financière »
Régis Cadegros, 1er adjoint délégué aux finances, mettait en avant des extraits favorables : « Je cite : « Peu endettée, la commune a su maintenir un niveau d’autofinancement représentant plus de 10 % de ses produits sur l’ensemble de la période. Ce qui lui a permis d’investir au total 49 M€. Le niveau d’endettement reste faible (- 2,2 M€ de 2015-2020, en légère augmentation depuis). L’autofinancement a diminué de moins d’1 % par an sur 2015/2020, la capacité d’autofinancement représentait 13 % des produits, soit un niveau correct ; les charges à caractère général et autres charges de gestion ont été globalement maîtrisées« . » Ceci malgré la baisse des dotations de l’Etat bien trop discrètement évoquée par la CRC, trouve l’élu : « Compensation prise en compte, la commune a perdu 5,7 M€, soit 1 M€ par an ! Sinon, la CRC nous reproche de ne pas augmenter les taux d’imposition. C’est un choix politique que l’on peut justement se permettre pour maintenir le pouvoir d’achat des Saint-Chamonais. »
La CRC nous reproche de ne pas augmenter les impôts ! Mais c’est un choix politique que l’on peut justement se permettre.
Régis Cadegros, 1er adjoint délégué aux finances.
D’ailleurs, « la CRC souligne les efforts d’équipements : espaces publics, rénovation et entretien des écoles, du centre nautique, le programme de rénovation énergétique, etc. » Et s’il y a un reproche vis-à-vis d’un manque d’informations autour du Débat d’orientation budgétaire (Dob) 2021, Régis Cadegros argue du contexte : « Fin juin 2020, nous avions enfin pu tenir un conseil municipal après les élections et le Covid. Alors, oui, on a tout regroupé sur cette séance – Dob, budget primitif, comptes administratifs 2020 – et donc été plus vite exceptionnellement. » Illustration parmi d’autres d’une appréciation robotique estime la majorité, « trop comptable et financière » disait autrement Hervé Reynaud, et se retrouvant dans d’autres remarques : relations avec Sem relevant d’un « choix politique » signé par 53 municipalités (la CRC trouve que l’intercommunalité laisse trop de pouvoirs et accorde trop de fonds à ses communes réduisant ainsi des possibilités de mutualisation) ou encore vis-à-vis des associations à qui seraient accordées des subventions trop conséquentes au regard de leur trésorerie.
« Trop de contractuels à Saint-Chamond »
Qu’en dit l’opposition ? « Vous nous faites un résumé assez positif du rapport. Nous ne l’avons pas lu comme ça, assène Patricia Simonin-Chaillot, conseillère municipale du groupe l’Écologie pour Saint-Chamond. Sur les ressources humaines, le rapport invite à mieux maîtriser la masse salariale externe. Plus la collectivité fait appel à des contractuels, plus les frais sont élevés. Cela a été déjà souligné ici, c’est important : il y a beaucoup de contractuels à Saint-Chamond. » Autre écho aux propos déjà tenus à plusieurs reprises par les élus d’opposition écologistes, les rapports entre la Ville et la Métropole : « Ni l’esprit de la loi ni la jurisprudence ne sont respectées pour ce qui concerne les voiries : c’est vous (Hervé Reynaud, Ndlr) qui êtes responsable de ces manquements. » Le rapport dit aussi que « les prestations relatives à la salle omnisports prestation et à la charge de la commune ne sont pas détaillées : qui finance l’éclairage public, la propreté de la voirie et du parking de covoiturage ? ». Enfin, « toutes les décisions prises en délégation n’ont pas été transmises pour information au conseil municipal ».
Il y a des éléments très troublants : des achats ont été effectués en dehors de toute mise en publicité et concurrence.
Patricia Simonin-Chaillot, élue d’opposition l’Écologie pour Saint-Chamond
Ce rapport évoque aussi « des actions en justice sans que ne soient définis les cas dans lesquels la délégation peut intervenir. La transparence aurait peut-être permis aux élus de comprendre que l’augmentation des frais de justice dans le dernier rapport financier n’était aucunement en lien avec l’action des élus verts ». Patricia Simonin-Chaillot pointe aussi un manque de respect du maire vis-à-vis de ses « obligations de déclaration patrimoniale auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. La déclaration de décembre 2021 est incomplète sur plusieurs points. Omettre de déclarer une partie substantielle de son patrimoine, est punie d’une peine de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende, voire d’une inéligibilité de 10 ans ». Il y a enfin, « ces éléments très troublants : des achats ont été effectués hors mise en publicité et concurrence. 153 000 € HT pour des véhicules sans appliquer la publicité d’appel à la concurrence conformément à la loi pour de telles sommes. Et encore de seuls devis pour un panneau d’information lumineux à plus de 51 000 €. »
Des attributions de marchés qui troublent l’opposition
C’est la même entreprise qui a été retenue sur chaque marché de vidéo surveillance, alors « que l’analyse par la collectivité n’a pas repris de manière objective le contenu des offres des candidats et effectué une analyse étant erronée, entraînant une rupture d’égalité de traitement. Vous en disqualifiez une pour défaillance et êtes complaisants avec un dossier pas plus complet. Même chose sur l’agrandissement de l’école Lamartine ». Pour Isabelle Surply (ex RN, groupe Saint-Chamond c’est vous), « le rapport démontre des failles déjà dénoncées par le passé. En particulier sur le droit des informations des élus ». Le problème est persistant pour l’opposante qui prend pour exemple sa demande autour des comptes du cinéma Véo (aidé exceptionnellement par la Ville à hauteur de 80 000 €) qui n’a pas pu aboutir avant le conseil. Ou encore sur la démarche « M for you et son site web » qu’elle juge « défaillant et dont on ne connaît pas le coût. J’espère n’avoir pas besoin de saisir la Cada. Mais nous n’avons souvent pas de réponses à nos questions en séances ».
J’espère n’avoir pas besoin de saisir la Cada. Mais nous n’avons souvent pas de réponses à nos questions en séances.
Isabelle Surply, élue d’opposition Saint-Chamond c’est vous
Comme les Verts, l’élue « divers droite » s’étonne d’irrégularités sur les marchés et ces 12 mois de retard étrangement non pénalisés pour l’école Verlaine : « Quelle pertes pour la collectivité ? Un an, c’est énorme ! » Sur les associations, « ce n’est pas illégal mais comment se fait-il aussi, qu’un centre social comme Izieux Le Creux puisse solliciter 170 000 € de subventions en 2020 avec une trésorerie de 463 000 €, même s’il a augmenté sa capacité d’accueil ? » Réponses d’Hervé Reynaud : « Aucun élément relevé par la CRC est hors la loi. (…) Mais ce serait tellement bien de salir, surtout le premier magistrat de la ville… Par rapport à ma déclaration, il ne s’agit pas de la déclaration de patrimoine, tout à fait transparente, mais celle à la Haute autorité pour la transparence vie publique. Elle demande de déclarer toute implication, chaque mandat pour éviter les conflits d’intérêt. Sur une des déclarations, j’ai oublié de mentionner que je suis administrateur de Cap Métropole au titre de la commune actionnaire. Un mandat bénévole, non indemnisé…. Qu’est-ce que c’est grave ! »
« La ressource humaine n’est pas qu’un coût »
Sur la voirie et les rapports avec la métropole, « il est reproché que le transfert de compétences ne soit pas complet. C’est un choix politique assumé à l’échelle de l’intercommunalité dont on ne se plaint pas. La métropole laisse aux municipalités la main sur certains points comme le déneigement, l’éclairage, la propreté, les espaces verts… Faut-il s’en plaindre ? Alors qu’on dit ici que l’Etat, l’interco vampirisent le pouvoir et les initiatives locales ? La CRC parle d’un manque de rationalisation, nous répondons service à la population, réactivité et efficacité… S’il faut remonter à Métropole à chaque flocon de neige… En cela, la ressource humaine n’est bien sûr pas qu’un coût ». Le débat s’orientait cependant davantage sur les pistes cyclables à la faveur des remarques des écologistes qui parlent d’une confusion et rétention d’informations ayant pour objectif de se soustraire aux obligations. Allégation contestée par la majorité qui estime que rien n’a jamais été autant fait pour le vélo avec son plan vélo que les Verts qualifient de « risible ». Débat houleux et récurent déjà exposé dans nos colonnes.
Aucun élément relevé par la CRC est hors la loi. (…) Mais ce serait tellement bien de salir… Et surtout le premier magistrat de la ville.
Hervé Reynaud, maire de Saint-Chamond
Sur les marchés publics, « véhicules, ou autres, que nous reproche la CRC ? Nous aurions dû avoir une vision globale des véhicules que nous allions acheter dans les années à venir et de l’ensemble du déploiement de la vidéo protection. Or, quand il ne s’agit pas de répondre rapidement à des incivilités, nous avons avancé là-dessus pas à pas, donnant lieu à chaque fois à des lots, sous les seuils, permettant de se contenter de devis. On ne savait pas en 2016 que nous irions si loin sur la vidéo protection (12 caméras au départ, 170 aujourd’hui). Désormais, tout le monde nous la réclame. Le code des marchés publics a été respecté. Et oui, TechnoMan face à deux-trois autres spécialistes, l’a emporté à chaque fois, parce qu’ils répondent au cahier des charges. » Réponse du même ordre pour le panneau d’information, plutôt d’ailleurs « les panneaux ». Pour les écoles, « et les pénalités de retard, on peut durcir, ok. Mais la CRC aurait pu signaler le contexte très très particulier de la période de ces travaux : Covid et problèmes d’approvisionnement ».
Des centres sociaux trop… riches ?
Sur les centres sociaux, « notre appel à la solidarité entre associations leur avait déjà retiré 80 000 € pendant le Covid pour deux d’entre eux. Certains s’étaient ici plaint de cet acte antisocial, et maintenant il faudrait aller plus loin parce que la CRC le dit, parce que les centres sociaux sont trop riches ? La vie locale, ça ne se passe pas comme ça, c’est plus complexe, il y a des choix pour mener une politique, des projets de cohésion sociale, tout n’est pas comptabilité ». Enfin, sur le trop plein de contractuels, si cela est inhérent à certains services, comme l’informatique et la communication, il faut aussi compter dit la majorité sur la volonté de favoriser l’apprentissage avec 28 apprentis à Saint-Chamond ou encore le fait que l’on ne trouve pas toujours le toujours vivier nécessaire de personnes ayant leur concours de la fonction publique. Certains employés, contractuels depuis plusieurs années, ne l’ont pas obtenu. « Mais dès que l’on peut titulariser, on le fait, assure Béatrice Coffy, adjointe déléguée aux ressources humaines. D’ailleurs depuis le passage de la CRC, certains l’ont réussi ce concours. »
*Les 11 recommandations de la CRC Aura
- Recommandation n° 1 : Mettre en œuvre les dispositifs obligatoires d’information et de communication du conseil municipal concernant l’activité de Saint-Étienne Métropole.
- Recommandation n° 2 : S’assurer d’un compte-rendu exhaustif des décisions prises par délégation du conseil municipal.
- Recommandation n° 3 : Élaborer un règlement budgétaire, comptable et financier.
- Recommandation n° 4 : Informer de manière complète les élus en présentant les engagements pluriannuels, en renseignant précisément les annexes règlementaires des documents budgétaires et en faisant figurer à l’appui du compte administratif les comptes certifiés des organismes bénéficiant des subventions supérieures à 75 000 € ou représentant plus de 50 % du produit figurant au compte de résultat de l’organisme.
- Recommandation n° 5 : Améliorer la fiabilité des comptes en matière de restes à réaliser et de constitution de provisions.
- Recommandation n° 6 : Élaborer une stratégie financière pluriannuelle et améliorer le pilotage.
- Recommandation n° 7 : Rechercher des financements externes pour les projets d’investissement.
- Recommandation n° 8 : Procéder à un recensement exhaustif des besoins prévisionnels annuels, afin d’organiser les procédures de mises en concurrence en adéquation avec les différents seuils de passation des marchés publics définis réglementairement.
- Recommandation n° 9 : Mettre en place sans délai un pilotage des effectifs et de la masse salariale et instaurer une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
- Recommandation n° 10 : Procéder aux prochains recrutements ouverts à des contractuels dans le respect des dispositions du code général de la fonction publique et du décret n° 88 145 du 15 février 1988.
- Recommandation n° 11 : Élaborer un schéma directeur pour le patrimoine.