Saint-Etienne Métropole et la Cité des heurts
Grosse ambiance, jeudi, pour le retour du conseil au Musée d’Art moderne. Toujours pas de présentation sur les renoncements d’investissements (et donc, en première ligne médiatique, le sort de la nouvelle patinoire) en gestation depuis plus de 9 mois. Il faudra attendre le DOB, débat d’orientation budgétaire début 2025. Mais Saint-Etienne a bien effectué ses arbitrages. C’est celui sur la Cité du design, contrainte de supprimer 8 postes, comme révélé le 26 novembre, qui a « animé » les échanges. L’exécutif assure pourtant augmenter sa subvention de 4,5 %. Le président de la Cité, Marc Chassaubéné, reste sur sa ligne. Sa démission et la mise sous tutelle de l’établissement ont été réclamées. Ça n’a pas été jusque là…
« Vous êtes… vous êtes pathétique ! Vous jetez l’argent public par les fenêtres ! » Marc Chavanne n’en décolère pas. La conclusion, micro en main, du maire de Saint-Jean-Bonnefonds s’adressait jeudi à Marc Chassaubéné, vice-président à la culture de Saint-Etienne Métropole et, « perpendiculairement », président de l’EPCC Cité du design. Les deux hommes étaient déjà férocement irréconciliables avant cet échange. Ça ne risque pas de s’arranger au regard des propos tenus lors de la dernière assemblée publique de Saint-Etienne Métropole jeudi dernier. Séance façonnée par les colères et une fois de plus, un jeu d’attaques / défenses, exprimées de part et d’autre. Bien au-delà de l’achat trois machines à 6 000 € l’unité qu’il a affiché à valeur spectaculaire d’illustration (une des « légendes urbaines » dénoncées par Marc. Chassaubéné ?), ce que juge fort de café Marc Chavanne, c’est la gestion en général de l’EPCC de la Cité du design croisée avec l’attitude hors sol, à ses yeux, de son président.
Il n’est pas le seul. Comme nous vous l’indiquions le 26 novembre, la structure indépendante, sur le papier, de Saint-Etienne Métropole – car elle en est, de très loin, à 87 % si nous avons bien compris la lecture de son budget primitif 2024, la principale collectivité financeuse – va devoir supprimer huit postes en 2025 pour cause de budget insuffisant. Depuis la sortie de l’été 2022 et un trou budgétaire d’1,4 M€ (dû à l’échec des recettes de la Biennale et au retrait d’une subvention de 600 000 € de la Région qui continue à soutenir l’école) que la Métropole avait été contrainte de boucher en urgence, la gestion de la Cité du Design et de son événement phare sont dans le collimateur des interventions publiques d’élus métropolitains. Pas que mais pour la plupart stéphanois. En partie donc, l’export, comme souvent, de la lutte que se livre à l’hôtel de ville de Saint-Etienne la majorité municipale et son opposition aux rangs toujours plus étoffés depuis deux années. Les accusations contre l’ex directeur de la Cité Thierry Mandon – issues d’un signalement du président Marc Chassaubéné – d’avoir détourné des fonds « via des fausses factures et des fausses attestations » n’ont fait qu’enfoncer le clou.
« Les arbitrages ont été faits et seront maintenus »
Même si ces forfaits pour lesquels Thierry Mandon a été condamné avant de faire appel n’ont eu, pécuniairement, qu’un impact très marginal. Le tout dans un contexte où la Cité du design fait l’objet d’un des programmes d’investissements les plus ambitieux, si ce n’est le plus ambitieux du mandat en cours : il est en effet prévu de mettre des dizaines de millions d’euros public dans « Cité du design 2025 » afin de dynamiser son offre immobilière et ses activités – et donc ses revenus aussi du coup (2 M€ par an selon Marc Chassaubéné) -, sur place au quotidien, en lien avec l’Etat et la création de la Galerie nationale du design. Le tout complété d’initiatives confiées au privé, un hôtel sur place par exemple. Des coups de pelleteuses ont été déjà donnés, des terrains sont en chantier et grillagés, des panneaux d’explication pédagogiques posés… Et pourtant, il s’agit d’un de ces investissements majeurs réinterrogés de manière inédite via les habituelles conférences budgétaires tenues par Saint-Etienne Métropole il y a quelques semaines.
« Les arbitrages ont été faits et seront maintenus malgré l’actualité, annonçait jeudi dernier Sylvie Fayolle, présidente par intérim de l’intercommunalité. Mais ce n’est pas encore le moment de les annoncer. » A part la « fuite » Cité du design, toujours pas d’informations officielles donc, jeudi, sur les renoncements et conséquences – l’autre grande interrogation reste la nouvelle patinoire – issues de ces arbitrages. Il faudra donc attendre probablement le Dob (Débat d’orientation budgétaires pour les connaître) d’ici 2 mois. Rappelons que Saint-Etienne Métropole, à partir d’une base financière saine considérablement solidifiée par une hausse de sa fiscalité avait annoncé être en capacité, avec l’aval de ses maires, de passer de 400 M€ d’investissements cumulés de 2014 à 2020 à un minimum de 800 M€ de 2021 à 2026. « Minimum » car c’est sur une base plus optimiste d’1 Md€, voire 1,2 Md€, que les velléités d’investissements des délégations ont été souvent élaborées. La guerre en Ukraine, l’inflation (les craintes sur un CPER pris indirectement dans la nasse de l’affaire de chantage à la vidéo intime, aussi ?) ont rebattu les cartes, réinterrogeant les priorités pour beaucoup, invitant à la prudence. Le crash budgétaire de l’Etat et ses conséquences sur les collectivités ont fini d’abonder le « reflux ».
L’effort réclamé par l’Etat passe de 5 à 12 M€ !
Relatif certes, puisque se « contenter » de 800 M€, c’est encore doubler le montant des 6 ans précédents. Ce qui n’enlève rien au débat sur la manière de les dépenser. Pour ce qui est du prochain exercice, celui de 2025, Sylvie Fayolle annonçait cependant jeudi avoir envoyé une lettre de cadrage demandant un principe général de 10 % d’économies dans les délégations, investissement comme fonctionnement. Il y avait déjà ce trou de 5 M€, dans les dotations d’Etat, tel qu’estimé septembre au regard d’un projet de loi de finances exigeant des efforts conséquents aux collectivités. Or, selon les dernières versions et avant le départ du gouvernement Michel Barnier, cette donne avait déjà évolué depuis expliquait, vendredi à if Saint-Etienne, Sylvie Fayolle, faisant passer l’estimation du trou de 5 à… 12 M€. Certes, le gouvernement et sa loi de finances attenante ne sont plus là depuis mercredi. Trop tard pour remettre la tenue d’arbitre et, à l’heure actuelle, il n’existe de toute façon pas d’autre base de travail si ce n’est prendre le risque d’un budget national 2025 identique à celui 2024. Alors si on ajoute les millions de réparations à prévoir sur le patrimoine métropolitain (routes, assainissement etc.) liées aux inondations d’octobre…
L’exécutif de la Métropole a donc opté pour la prudence et le scenario à moins 12 M€ en recettes de fonctionnement venant de l’Etat. Il mise sur l’inscription de 150-155 M€ d’investissements l’an prochain. On se souvient pourtant que le prix de la tranquillité garantie (et avec un scenario à moins 5 M€ de la part de l’Etat) exigeait de tomber à 100 M€, selon le cabinet d’audit Ressources Consultants Finances, lors de sa présentation début octobre même si, aller au-delà ne plongeait pas non plus la collectivité, selon cette analyse, dans une piscine à risques excessifs. « Tout à fait, nous avons évidemment cela en tête mais attention : il s’agit de 150 M€ ou un peu plus, inscrits. Et forcément, l’ensemble de l’enveloppe, comme c’est systématiquement le cas, ne sera pas consommé. On sera autour de 70 %, donc dans les clous de la prudence », nuançait encore Sylvie Fayolle en réponse à notre interrogation au lendemain d’une séance où sa colère était plus que palpable. Elle venait alors en effet de faire part de son appréciation des sorties médiatiques de Marc Chassaubéné autour du budget 2025 de la Cité du design conduisant à la suppression de 8 postes sur 130 que compte l’établissement.
Colère chaude, colère froide
Le président de l’EPCC a en effet affirmé qu’il y a une dimension politique dans certaines décisions budgétaires visant à déstabiliser la Cité et, plus qu’au passage, analyse-t-il, son projet phare Cité du design 2025 porté à l’origine par un exécutif dirigé par… Gaël Perdriau. Il avait expliqué à If Saint-Etienne à la suite de notre sollicitation puis à d’autres médias locaux, qu’un recul d’environ 300 000 € de la subvention allouée par la Métropole à l’EPCC acté par les conférences budgétaires était bien à l’origine de la situation : « La Cité du design, c’est d’abord et surtout une école ! Plus de 80 % du budget, c’est de l’humain, de la masse salariale. Chaque année celle-ci gonfle naturellement, près de 200 000 € rien que du fait du glissement ancienneté annuel (GVT, Ndlr). » Cela, ajouté à la hausse du coût des fluides, l’inflation en général, les augmentations du point d’indice chez les fonctionnaires, et « on ne peut pas faire autrement que d’augmenter tout cela chaque année et plus particulièrement donc ces années ci. Mais l’extension nécessaire du budget par rapport au projet Cité du design 2025, l’affectation d’agents à la Galerie, partagé avec le MAMC+, ne devrait pas se faire au détriment de l’école ! »
Mais, autre angle, de la colère froide de Sylvie Fayolle jeudi, au-delà d’épanchements qu’elle juge mal placés aussi bien pour le timing que leur nature, c’est le fait, affirme-t-elle appuyée par Christian Julien, vice-président en charge des finances, que « notre subvention à la Cité n’est pas en recul mais en progression ! Nous l’augmentons, tout confondu (c’est-à-dire en incluant comme pour sa préparation en 2024, 0,9 M€ pour préparer la Biennale 2025, Ndlr), de 4,5 %, là où on a demandé – 10 % ailleurs ! Justement par ce que nous prenons en compte ses spécificités et la future Galerie nationale. Nous passons ainsi d’un peu plus de 8 M€ en 2024 à 8,36 M€. Certes, il était demandé 8,6 M€ mais la Cité ne perd pas 300 000 € de notre part, elle en gagne plus de 350 000 ! Le GVT, l’inflation sur les fluides, le point d’indice, oui mais comme partout ailleurs, comme dans nos mairies. Cette mauvaise foi est intolérable. Je n’avais pas à répondre à la presse de mon côté avant de donner les infos à l’assemblée, devant les élus. C’est pourquoi j’ai attendu. Il y a une certaine opacité dans les réponses de la présidence. Dans ce contexte, oui, je trouve très légitime l’idée d’une mission d’évaluation métropolitaine sur ce qui est fait de notre argent. »
Vers une mission d’évaluation sur la Cité du design
Une mission réclamée par Lionel Boucher lors de la séance de jeudi dernier. L’élu UDI stéphanois est intervenu sur le sujet, citant, entre autres, les prénoms et l’ancienneté des huit agents remerciés ou devant être réaffectés alors que la Cité a déjà perdu lors d’exercices précédents des cadres majeurs et des services spécifiques comme sur les services développement économiques ou les relations internationales. Voix, parmi d’autres, réclamant aussi la démission de Marc Chassaubéné, considérant que c’est la gestion et ses choix dont il est redevable, dont il est responsable qui est avant tout la source des désordres cumulés. Isabelle Dumestre, élue stéphanoise PS s’étant jointe à elles en insistant sur ce qu’elle considère comme un manque de transparence. Elle a rappelé qu’environ 2 ans après la demande initiale, le résultat d’un audit interne n’était toujours pas parvenu aux demandeurs malgré les assurances données par le président de l’EPCC. La veille, le maire de Roche-la-Molière, Eric Berlivet avait envoyé un long mail à de nombreux élus métropolitains. Il y rappelait « les difficultés financières et les irrégularités de gestion pointées par la Chambre Régionale des Comptes (CRC) dans son rapport d’observations définitives (exercices 2013 à 2018). »
Le dernier épisode ajouté obligeant selon lui à « une action urgente ». Il y pointait des départs imposés sans recherche sérieuse de « solutions alternatives » dans un « climat social dégradé », provoqué par des « méthodes managériales abusives » et un « climat de peur » (l’élu a écrit les mots « harcèlement moral » et « violences psychologiques »), une gabegie financière avec des dépenses excessives (l’histoire des machines à café entre autres vient a priori de ce mail) et un traitement royalement inégal pour la direction beaucoup moins soumise, sinon épargnée, selon ses investigations au serrage de ceinture au regard du train de vie qu’il décrit. Eric Berlivet demandait carrément à l’assistance de ne pas voter en faveur d’une délibération d’acompte pour a Cité, plus dans l’ordre du jour, afin de bloquer le budget de la Cité et de la placer volontairement sous tutelle de l’Etat le temps d’améliorer la situation. De quoi donner, probablement, des sueurs froides aux services locaux de l’Etat dans l’attente du vote.
« Légendes urbaines »
Avec une certaine émotion tout aussi palpable dans sa voix, Marc Chassaubéné a tenté à plusieurs reprises de se défendre face à ses détracteurs, estimant que « l’objectif final » était de nature politique et portait sur sa démission plus que sur la compréhension de la situation. Cela en « jetant l’opprobre sur un établissement d’excellence du territoire qui, contrairement à ce qui a été dit ne souffre pas de dysfonctionnements particuliers ». Il assurait fermement qu’il n’y avait pas de signalements de harcèlement de la part du personnel à la Cité tout rétorquant à l’adresse d’Eric Berlivet que son mail présentait des éléments fallacieux voire « diffamatoires » à plusieurs égards et véhicule des « légendes urbaines ». Le président martelait que la rigueur de sa gestion n’était pour rien dans l’actualité compliquée de la Cité du design. « Des économies, des optimisations, nous l’avons fait, nous l’avons refait pour 2025. Si on supprime ces postes maintenant, c’est que nous n’avons définitivement plus le choix pour le budget 2025. Cela va affaiblir l’établissement, c’est tout ce que nous obtenons. Ces hausses de coût nous les subissons sans pouvoir les maîtriser : les fluides et près de 200 000 € chaque année sous l’effet GVT… Dans tout ça la subvention perdue de la Région (hormis plus de 300 000 € maintenus pour l’école) nous ne la retrouverons jamais. »
Dans le rapport du comité social territorial (CST) de l’établissement qui doit se tenir le 17 décembre et que nous nous sommes procuré expliquant et justifiant les suppressions de huit temps complets, il est indiqué, dès les premières lignes, « un excédent de dépenses de 330 000 € par rapport aux recettes estimées dans l’élaboration du budget prévisionnel 2025 de l’EPCC », « l’impossibilité de mobiliser de nouvelles recettes et la stagnation des subventions attribuées par les institutions fondatrices de l’EPCC (Etat, Région et SEM) », « la forte baisse des mécénats et des partenariats financiers sur l’année 2024 et constatant que les entreprises privées renoncent ou reportent leur décision d’attribution de mécénat en raison du climat économique incertain ». Mais aussi donc la « hausse très importante du cout des fluides (électricité, gaz et eau) qui a évolué de 153 000 € en 2022 à environ 500 000 € (estimation à date) pour 2024. »
L’acompte n’a pas été bloqué
Les huit suppressions touchent cinq contractuels et trois titulaires correspondant à deux postes d’enseignants, deux d’attachés territoriaux, trois de technicien et un de rédacteur territorial. La Cité va ainsi « optimiser ses moyens humains au sein de la direction communication » et se voir amputée d’enseignement artistique en option art (où les étudiants sont, dit le rapport, en « baisse significative »), du service « promotion du design » qui « s’inscrit dans la continuité de la refonte des statuts (les nouveaux statuts ont abouti à la suppression de la direction « développement économique ») » ; de la « suppression du poste de gestion Erasmus redéployée en interne ». Le rapport précise : « Dans le cadre de l’accompagnement des agents titulaires, des tentatives de recherches de reclassement au sein de notre établissement ont été effectuées mais ce sont révélées impossibles. La recherche va donc être étendue auprès du CDG42, ainsi qu’auprès d’autres collectivités. »
L’idée du blocage déclinée localement proposée à l’assemblée par Eric Berlivet pour suspendre le processus n’a, elle, finalement pas emporté l’opinion de l’assemblée jeudi. Avec un vote contre et 25 abstentions, elle restait à quai : l’acompte a bien été voté. Statu quo donc à l’exception, évidemment, de ces huit personnes, envoyées en quête d’un nouveau travail à la veille des fêtes. Vivement 2025…