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samedi 20 avril 2024
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Saint-Etienne Métropole et le Contrat plan Etat-Région : chiffres en bataille et bataille de chiffres

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Bataille peu évidente à déchiffrer, faute de loquacité des intéressés. 124 M€ (et en réalité beaucoup plus que cela) annoncés pour la réalisation des projets de 400 000 habitants jusqu’en 2027, méritent pourtant davantage qu’un communiqué succinct. Alors qu’un courrier de Gaël Perdriau daté du 22 février adressé à chaque maire de Saint-Etienne Métropole allume l’exécutif régional sur le Contrat plan Etat-Région (CPER) passé et à venir, les seuls éclaircissements sont venus d’Hervé Reynaud, vice-président de l’intercommunalité, chargé de reprendre le flambeau des négociations. Reste, malgré tout, un paquet d’inconnues sur un paquet d’argent public.

Aurait-il été si loin dans le cas où Laurent Wauquiez ne s’était pas retrouvé brusquement mêlé à « l’affaire » ? Probable que non. Mais il faut reconnaître à Gaël Perdriau qu’il avait évoqué bien avant, devant les médias stéphanois, à défaut de le détailler, son profond agacement vis-à-vis de la Région à ce sujet. A notre connaissance, au moins dès le début de l’été 2022. A l’occasion d’un point presse sur le projet de tiers lieu culturel de Beaulieu où nous étions le 4 juillet, il avait cité, entre autres, en exemple les 5 M€ non réglés sur les 10 engagés par la Région dans un avenant au CPER (Contrat plan Etat-Région) 2015/2020 sur le financement croisé de l’Arena de Saint-Chamond. Question CPER, ce n’était déjà pas le principal sujet d’inquiétude. Le lancement de l’opus 2021-2027 bien davantage.

Le CPER est constitué de financements croisés entre Etat, Région, Départements auxquels s’ajoutent les investissements intercommunaux adossés.

Et pour cause : il accusait alors déjà plus d’un an de retard ! Un blocage qui s’était finalement révélé être le fait d’un rififi coriace entre Métropole de Lyon, d’un côté du ring et, l’Etat et la Région de l’autre. Les deux parties que nous avions alors sollicitées l’été dernier pour comprendre la situation s’étaient renvoyé la balle de la responsabilité… Parole contre parole donc. Mais de quoi susciter, déjà, des tensions entre l’exécutif régional et les métropoles de son territoire – Lyon, Saint-Etienne, Clermont-Ferrand et Grenoble –, rejointes par Roanne, Bourg-en-Bresse, Annecy, Valence et Chambéry via un communiqué du « réseau des villes-centres et agglomérations d’Auvergne-Rhône-Alpes » daté du 4 juillet qui dénonçait « deux années blanches (2021, 2022) et un calendrier d’élaboration du Contrat de plan État Région sans cesse décalé ».

Plus de deux ans de retard

Il faut dire que le CPER, bâti à coups d’engagements croisés entre Etat, Région, Départements et intercommunalités est capital pour financer les investissements de leur mandat. Plus de deux ans de retard en perspective : il y avait de quoi donner des sueurs froides à leurs services et exécutifs à l’approche du mi-mandat. Devant d’abord transité par un accord avec les Départements, le CPER s’est enfin débloqué avec ceux-ci cet automne, pendant que les négociations se poursuivaient avec les intercommunalités. A Saint-Etienne Métropole, le soin de les poursuivre avait été transmis à Hervé Reynaud, 1er vice-président un mois après l’éclatement de l’affaire de chantage présumé à la sextape. Le 8 décembre dernier, une semaine après la diffusion par Mediapart de ses propos sur Laurent Wauquiez et juste avant de se déclarer, faute de démissionner, en « retrait total » de la Métropole, Gaël Perdriau consacrait une bonne partie de son plaidoyer sur l’attitude de la Région vis-à-vis de ses « partenaires ».

Ambiance festive à l’ouverture du conseil de Sem le 8 décembre, le dernier (en date ?) de Gaël Perdriau. ©If Média/Xavier Alix

Il évoquait alors, pêle-mêle, chantage politique aux financements et engagements du CPER 2015-2020 non honorés ou partiellement, comme l’Arena donc. Malgré un avenant sur le volet territorial signé en septembre 2019 sur celui de Saint-Etienne Métropole où la Région ajoutait pas moins de 36 M€ de sa poche à ses 15 M€ initialement prévus sous Queyranne. Élaboré par la majorité de gauche, le précédent CPER avait été signé avant la fusion avec l’Auvergne, en mai 2015. Ce 8 décembre 2022 encore, avant de poser le micro et de quitter la salle à la surprise générale, Gaël Perdriau avait promis d’en dire plus avec des « éléments chiffrés ». Le courrier daté du 22 février – entorse à ce « retrait total » dépourvu d’existence juridique ? – reçu par chaque mairie de la Métropole donne une foule de détails en effet.

26,33 M€ non réglés sur le précédent CPER ?

Il assure que 26,33 M€ du précédent CPER n’ont pas été réglés bien que contractualisés : 8,23 M€ « toujours en attente d’un vote » du conseil régional sur des projets d’aménagement de zones économiques et de renouvellement urbain. 8,1 M€ encore « contractualisés, ont pourtant été refusés (c’est-à-dire ?, Ndlr) » à propos du « soutien des restaurants collectifs communaux, pour l’introduction des produits locaux communaux, la protection des sols agricoles et naturels, via le PAEN, l’acquisition de trolley bus, le salon Tatou juste » mais aussi « l’Arena » déjà citée et d’autres zones d’activités. S’ajoute, enfin, le fameux projet de patinoire de plus en plus contesté avec une participation de 10 M€ contractualisés donc dans le cadre de l’avenant du volet territorial signé en 2019. Ce qui faisait dire à Gaël Perdriau dans son courrier, à l’adresse des maires : « En aucun cas les anciens projets ne doivent y être (dans le nouveau CPER, Ndlr) recyclés*. » 

En aucun cas les anciens projets ne doivent être recyclés dans le nouveau CPER.

Gaël Perdriau, président de SEM dans un courrier adressé aux maires

Conscients que la temporalité de ce courrier envoyé aux mairies n’était probablement pas un hasard – l’aboutissement des négociations avec l’ensemble des intercommunalités a été officialisée par la Région, l’Etat et Saint-Etienne Métropole par voie de communiqué, ce vendredi 24 février, juste après son envoi – nous aurions aimé avoir le point de vue l’exécutif régional, le confronter à cet argumentaire, afin qu’il nous donne sa vérité sur ces données en notre possession depuis déjà une semaine. Via un échange, une discussion avec un élu, sinon un technicien. Peine perdue après de multiples relances par courriels et discussions téléphoniques à la suite d’une demande initiale partie vendredi dernier et renouvelée après avoir sagement attendu la parution des communiqués. Cela malgré, la transmission même de nos questions à l’avance et par écrit, à deux reprises, afin de se donner plus de chances…

Qui va payer quoi ?

Dans nos questions aussi, une demande de confirmation, de nuance ou de contradiction sur cette « promesse » orale qui, elle, n’apparaît pas dans le courrier envoyé aux maires par Gaël Perdriau et que lui aurait faite Laurent Wauquiez, selon les dires du président de Métropole, dans son bureau, en pleine campagne électorale des Régionales. Une époque où les relations entre les deux hommes, mises à mal par les propos du premier sur les quartiers stéphanois « perdus de la République » s’étaient quelque peu, du moins en apparence, déglacées. Ce que n’avait pas manqué, d’ailleurs, de souligner l’opposant stéphanois PS Pierrick Courbon à l’assemblée de Métropole le 8 décembre dernier en rappelant et en lisant à haute voix le soutien au président de Région affiché par Gaël Perdriau et tracté auprès de Stéphanois à l’occasion de la campagne des Régionales…

Le projet de plus en plus « casse-gueule » de patinoire doit-il être du nouveau ou de l’ancien CPER ? ©Dubuisson Architecture

Selon le maire de Saint-Etienne avec qui nous avions pu directement échanger sur le CPER l’été dernier, à quelques mois du scrutin 2021, le président de Région se serait alors engagé dans son bureau sur un plan Etat/Région 2021/27 où il accordait à sa métropole… 160 M€, sans compter 60 M€ qui auraient été promis, là parallèlement, par le Département sur le CPER. 220 M€ des seules poches de la Région et du Département sur le CPER 2021-2027 ! Le montant, qui nous a été reconfirmé depuis par le service presse de Gaël Perdriau, nous semble incroyablement élevé au regard du précédent et du nouveau CPER, annoncé pour Saint-Etienne Métropole. Le communiqué de vendredi annonce en effet 123,77 M€ pris en charge par l’Etat et la Région sur le seul volet territorial. Si cette promesse a vraiment existé, Laurent Wauquiez parlait-il alors du CPER dans son ensemble, les autres volets à venir compris ? Avec les financements d’Etat et du Département dedans ou non ?

« Nous étions carrément blacklistés »

Pas de précisions ou de démenti donc, de l’exécutif régional là-dessus non plus. Pas plus que de réels détails sur ces 220 M€ qui n’en sont pas du côté de Gaël Perdriau. Celui du cabinet de Laurent Wauquiez nous a, lui, toutefois indiqué lors d’une discussion au téléphone qu’il était difficile de comparer le CPER d’hier et celui d’aujourd’hui, leurs volets, tenants et aboutissants ayant évolué selon la volonté de l’Etat. Le gouvernement a en effet retiré du CPER 2021-2027 la partie infrastructures/mobilités qui doit donc faire l’objet ce printemps de… nouvelles discussions avec les mêmes acteurs et d’un accord spécifique à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros pour la Métropole. Quant aux sommes qui auraient été non réglées vis-à-vis du précédent, il souligne aussi, de manière très générale, qu’un projet stationnant trop longtemps dans les cartons du maître d’ouvrage rend de fait caduc un engagement. Pas valable cependant pour l’Arena, opérationnelle, elle, depuis septembre.

Ce qu’il faut retenir, c’est que nous sommes parvenus à un accord. Et un très bon accord.

Hervé Reynaud, 1er vice-président de Saint-Etienne Métropole

« Le conseil régional n’a voté que 5 M€ effectivement. Sans parler du « naming » officiel (Arena Saint-Etienne Métropole, Ndlr), il y a toutefois un manque de visibilité des autres financeurs sur l’équipement, il faut bien le dire, qui l’explique, remarque Hervé Reynaud. Laurent Wauquiez a finalement accepté que sur les 5 M€ à payer, seuls 3 seront dans le prochain CPER. » A cette échelle, ce n’était cependant pas le souci prioritaire du maire de Saint-Chamond, 1er vice-président de la Métropole, à qui est revenu le « cadeau » d’aller négocier le CPER au milieu du chaos faisant suite aux publications de Mediapart. Sollicité, il a accepté de détailler ce fameux plan. « Ce qu’il faut retenir, c’est que nous sommes parvenus à un accord. Et un très bon accord, assure-t-il. 160 M€ promis ? Je ne sais pas, je n’étais ni dans le bureau ce jour-là, ni associé ensuite. Dès septembre, les discussions avec l’Etat et la Région étaient au point mort à cause des accusations sur Gaël Perdriau. La confiance était perdue. Alors, après la publication des propos sur Laurent Wauquiez, nous étions carrément blacklistés. »  

Les négociations sur le CPER ne sont pas finies

Voilà un scoop pour la PJ de Lyon : les 406 864 autres habitants de Métropole sont aussi accusés et responsables de chantage à la sextape ! Parle-t-on d’argent public dans un cadre républicain ou d’accorder des cassettes royales ? « Notre territoire n’a bien sûr pas à être sanctionné, c’est bien ce que l’on a fait valoir et nous avons été entendus, la preuve », rétorque Hervé Reynaud. Il y serait définitivement arrivé, assure-t-il après une rencontre décisive avec Laurent Wauquiez le 26 janvier. Mais arrivé à quoi exactement ? A obtenir de l’Etat 93,1 M€ et 30,67 M€ de la Région pour totaliser ces 123,77 M€ de financements de projets d’investissement* sur ce qui est au sein de ce CPER 2021-2027 est annoncé comme le volet territorial. Dans ces 123,77 M€, nous précise Hervé Reynaud, le soutien au volet Enseignement supérieur, recherche et l’innovation (ESRI) sur lequel le Département mettra, lui, spécifiquement 3 M€ et Métropole 12 M€ avec la poursuite de la rénovation du campus Tréfilerie, ou encore la résidence universitaire de La Métare.

Le courrier envoyé par Gaël Perdriau 1/2.
Le courrier envoyé par Gaël Perdriau 2/2.

Dans le cadre des financements croisés de projets métropolitains liés au CPER, Saint-Etienne Métropole s’est, en outre engagé à apporter sur le volet territorial encore 61,25 autres millions issus de ses lignes investissements et le Département 27 autres millions. Si on a bien suivi, en ajoutant les volet dit territorial et celui fléchés « ESRI », on arrive à un total de 227,02 M€ tous financeurs confondus dont plus de 30 de la part de la Région, soit bien davantage que ce qui fut signé par Jean-Jack Queyranne. Mais moins que les 51,6 M€ cumulés avec l’avenant de 36 M€ signé en 2019 ? Hélas, pas forcément car le dossier est encore plus complexe que cela. Comme dit plus haut, des dizaines et dizaines de millions d’euros pour Métropole restent encore à arbitrer à partir de mars, explique Hervé Reynaud, sur le volet mobilités/infrastructures, même si dans la liste du volet territorial, allez comprendre, est compris le développement des Véliverts de Métropole !

La Région va-t-elle quitter l’Epase ?

Cet autre volet fera donc l’objet d’un volet détaché lié à un énième plan d’investissement annoncé par l’Etat, cette fois-ci par Elisabeth Borne, de 100 Md€ sur le ferroviaire. Le centre de maintenance de la SNCF à 47 M€ n’est pas le moindre des enjeux. Bref, un monumental brouillard technocratique par excellence dans lequel on se perd, faute d’explications claires sur ce qui rentre ou non dans tel ou tel volet, les clés de répartition, les évolutions (sur le site de la préfecture de Région, il y a des communiqués et chiffres comparatifs régionaux pas réellement lisibles et l’accès à la convention départementale est même soumise à un code d’accès…). Quelque peu analogue à celui sur la réorientation des fonds de la feue A45 dont on attend toujours et encore la concrétisation de nouveautés. De vraies nouveautés comme le doublement du pont de Givors ou une nouvelle gare – pardon, « pôle multimodal » – à Grand-Croix, après 4 ans et demi de réunions, comités de pilotages et autres empilements d’études dispendieuses.

Un volet mobilités/infrastructures reste à négocier avec l’enjeu du centre de maintenance du Soleil pour Saint-Etienne. ©If Média/Xavier Alix

Le brouillard sur le CPER, lui, ne s’arrête même pas là. Le courrier de Gaël Perdriau ouvre en effet une autre fenêtre, en mettant le doigt sur le volet « rénovation urbaine » des CPER passés et à venir. Là aussi pour dire que sur les 22 M€ engagés par la Région, il manquerait, assure-il, des règlements 2015-2020 non votés. Sans pour autant donner la somme. Selon ses dires encore, la Région aurait fait le choix de ne plus financer des projets de rénovations urbaines. Un désengagement, parait-il, « de 30 M€ par rapport au précédent CPER ». La Région envisagerait même selon ses propos de quitter l’Epase et donc son financement sur lequel elle aurait acté en novembre 2020 une contribution de 10,6 % jusqu’en 2032, soit 18,33 M€. Mais liés ou non au CPER ? Là aussi, on a beau eu batailler, pas de réponse… Contactée, Nicole Peycelon, adjointe municipale stéphanoise, qui siège à l’Epase en tant qu’élue de la Région nous précise cependant, « qu’à sa connaissance, la Région, si elle a revu son mode de financement il y a un an pour un soutien projet par projet, n’a pas manifesté pour l’instant l’intention de quitter l’Epase ».

* La liste des projets financés par l’Etat et la Région via le volet territorial

Que ce soit justifié ou non, comme le clame Gaël Perdriau, le projet de patinoire qui était dans l’avenant de 2019 est bien dans la liste du volet territorial 2021-2027 de Métropole. Voici les autres équipements de cette dernière communiqués vendredi :

  • « Rénovation » de la Cité du design, a priori le projet Cité du design 2025.
  • Création d’un Centre de recherche et de l’innovation ophtalmologique (dont équipement scientifique).
  • Création d’un Hôtel d’entreprises et ateliers industriels PEI.
  • Projet du Pôle entrepreneurial industrie Manufacture.
  • Projet Vélivert.
  • Médiathèque de Firminy.
  • Plateforme d’accélération – part ligérienne.
  • Conversion énergétique des matériels roulants M6+
  • Accès au Centre de maintenance de Saint-Étienne Châteaucreux.

Sur la Cité du design à la gestion décriée, la Région, selon nos informations, ne mettrait pas un sou. Pas plus que sur la création des très coûteuses et polémiques nouvelles réserves du Mamc+ : 30 M€, indispensables à la sauvegarde physique des œuvres, selon l’exécutif de Métropole.

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    1 commentaire

    Deux ans de retard sur le financement de projets essentiels pour le territoire, c’est la marque du mépris de L Wauquiez pour l’intérêt général. Et il prétend viser l’Elysée ! Quant à la droite stéphanoise et ligérienne, engluée dans ses conflits de toute nature et plombée par l’affaire de la sextape, elle confirme sa pusillanimité et son incompétence légendaires. Ultra majoritaire à la Métropole depuis 2014, son bilan sur les grands dossiers du territoire, de l’échec de l’ A 45, l’absence de propositions d’alternatives, la dégradation du ferroviaire etc. à celui de l’aéroport et des 100 millions gaspillés pour la troisième ligne de tram inutile, est catastrophique.

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