Saint-Etienne Métropole, prise « aux tripes »
Trois jours après le conseil municipal stéphanois, c’était au tour, jeudi 29 septembre, de l’assemblée communautaire de Saint-Etienne Métropole d’effectuer sa première séance depuis la parution de l’enquête de Médiapart. Dans une ambiance moins électrique et plus émotive qu’à l’hôtel de ville de Saint-Etienne, plusieurs maires et conseillers ont déclaré ne pas se satisfaire du compromis mis en place par les vice-présidents. Ils réclament toujours la démission de Gaël Perdriau.
« Artigues Gilles ? » « Pouvoir ! » ; « Perdriau Gaël ? » « Pouvoir ! ». Présent trois jours auparavant pour diriger la séance quelque peu « chahutée » du conseil municipal stéphanois à l’hôtel de ville, cette fois-ci, le maire-président était bien absent au moment de procéder à l’appel des élus. Comme prévu et attendu, à la suite de l’annonce officielle du 22 septembre, d’ailleurs parfois surinterprétée par certains médias nationaux. Pour rappel, arguant de la « bonne exécution du projet de territoire voté à l’unanimité au bureau métropolitain », le respect « de l’institution qui doit prévaloir à toute autre considération » et celui de la « présomption d’innocence », président et vice-présidents de Saint-Etienne Métropole ont convenu d’une sorte de compromis.
Durant « le temps de l’instruction judiciaire », les « vice-présidents assurent les représentations extérieures de Saint-Étienne Métropole », les dossiers partenariaux sont « délégués aux vice-présidents dans le cadre de leur délégation » et la séance du conseil métropolitain du 29 septembre devait être présidée par Hervé Reynaud, 1er vice-président… Cela, « le temps de l’instruction judiciaire » qui risque de s’étaler. Il revenait donc en tout cas au maire de Saint-Chamond de donner la parole – et aussi de répondre – aux conseillers, maires opposés ou favorables à cette décision en début de séance. Anticipant très probablement des mécontentements en série, quelque peu solennel, Hervé Reynaud tenait d’abord à souligner que ni lui, ni les autres vice-présidents n’étaient de marbre face à la situation, faisant part de leur « émotion », leur « tristesse » vis-à-vis de toutes les victimes, leur « colère » sur le discrédit porté au métier d’élu mais plaçant la nécessité de faire avancer les dossiers de la collectivité avant tout.
« Tétanisés par la violence »
« Saint-Etienne Métropole n’est pas un prétoire. On ne peut pas décider à la place de la Justice s’il est coupable ou non. Et il faut poursuivre le travail », nous glissait en aparté, comme une synthèse, quelques minutes avant la séance Christophe Faverjon, maire PC d’Unieux et vice-président. C’est l’élu d’opposition stéphanois écologiste Olivier Longeon qui, le premier, s’exprimait publiquement contre cette ligne pour réaffirmer la sienne. « Les élus écologistes stéphanois ne se satisfont pas de l’annonce de retrait de quelques représentations publiques du président. Nous voulons avoir une démonstration claire sur ce retrait qui ne doit pas être d’apparat mais bien réel. En tant qu’élus de la métropole nous attendons encore des précisions. Si ce n’est qu’un retrait dans une tour d’ivoire comme à la Ville, nous ne nous en satisfaisons pas. Lors de l’affaire Fillon, M. Perdriau avait demandé le retrait du candidat avant même sa mise en examen. Aujourd’hui son éthique d’hier n’est plus la même. »
Notre métropole mérite mieux que l’exercice hyper centralisé du pouvoir par son premier magistrat et son ex-actuel chef de cabinet.
Olivier Longeon, conseiller d’opposition stéphanois EELV
Enfin, « malgré toutes les annonces médiatiques, monsieur Gauttieri est encore directeur de cabinet. Comme tous les habitants et le personnel, nous avons donc besoin de savoir quel est son rôle aujourd’hui et dans quel cadre il intervient. Notre métropole mérite mieux que l’exercice hyper centralisé du pouvoir par son premier magistrat et son ex-actuel chef de cabinet. » Depuis 2014, « les élus écologistes dénoncent une certaine fermeture dans la gouvernance métropolitaine : manque d’éléments pour prendre des décisions (…), d’indicateurs d’évaluation, refus de répondre à leurs questions. » Bref, l’expression d’un besoin de transparence, en particulier sur la suite des événements au niveau de la gouvernance, et une volonté, aussi, de poursuivre le travail « face à des élus en grande partie tétanisés par la violence ».
« Est-ce cela que vous avez voulu ? »
Avec une émotion très palpable dans sa voix, l’adjoint UDI au maire de Saint-Etienne Denis Chambe, très proche de Gilles Artigues, intervenait à son tour, souhaitant d’abord rappeler à l’assemblée « que dans cette affaire, il y a d’abord une victime, un homme, un collègue, un ami pour certains, mon ami, qui a été meurtri à jamais ainsi que sa famille, qui a même pensé à quitter la vie. Le calvaire a duré 7 ans. Parmi les morceaux choisis des propos enregistrés des deux mis en cause, « Gilles, ce n’est plus du chantage, c’est une exécution », « Même s’il n’y est pour rien, il est mort » ; « Gilles, vos enfants ne s’en remettront pas. » Que nous-faut-il entendre de plus ? » Face à « l’évidence, de la responsabilité écrasante du président maire, (….) et à son adjoint aux affaires scolaires, j’ai apprécié l’ensemble de vos réactions lors de notre dernière réunion, vous (les élus communautaires, Ndlr) qui vous disiez aussi porteurs des réactions de vos populations. Pour synthétiser, il y avait une majorité autour de deux demandes : le licenciement pour faute grave du directeur de cabinet et le retrait du président. »
Quant au retrait que vous avez demandé au président, là encore, la réponse est une provocation.
Denis Chambe, conseiller stéphanois UDI
Et d’interroger : « Où en sommes-nous à ce jour ? Le directeur de cabinet est licencié pour simple perte de confiance, motif le plus invoqué quand on veut se séparer d’un collaborateur de cabinet. (…) les propos dits inexcusables sont tenus devant et avec l’assentiment avoué du président qui ne peut pas se condamner lui-même s’il retient la faute grave. Ce choix est une diversion. Accessoirement, le licenciement pour perte de confiance pourrait ouvrir le droit à de très confortables indemnités de départ. Est-ce que c’est ce que vous avez voulu ? Quant au retrait que vous avez demandé au président, là encore, la réponse est une provocation. Nous devrions accepter d’avoir un président caché derrière les colonnes de la Métropole parce qu’il ne peut pas se présenter devant nos populations, nous devrions lui concéder une sorte d’abri temporaire jusqu’à la décrue de la tempête, le temps que les media s’éloignent et qu’il puisse attendre le très long temps du jugement ? Est-ce cela que vous avez voulu ? Ce n’est pas ce que j’avais entendu. »
Jusqu’à 100 000 € pour Pierre Gauttieri selon Eric Berlivet
Elu PS d’opposition de Saint-Etienne, Pierrick Courbon mettait en avant la « violence » morale que subirait depuis 8 ans l’opposition stéphanoise de la part de la majorité et qualifiait, lui, de « bancal », l’accord du jeudi 22 car entretenant la confusion : « Des représentations extérieures confiées aux vice-présidents ? Mais c’est déjà le cas. Qui pilote réellement ? Qui négocie réellement le CPER avec la Région ? » Il s’agit à ses yeux « d’un demi retrait, d’un enfumage ». Aussi, Pierrick Courbon pointait le licenciement sans faute grave de Pierre Gauttieri, le deux poids deux mesures avec la Ville centre, le dégât sur « notre image » – Saint-Etienne, désignée en « capitale des barbouzes » – et enfin, renouvelait sa demande de démission de toutes ses fonctions de Gaël Perdriau. Dans une intervention transpirant d’une colère froide, le maire de Lorette Gérard Tardy assénait à l’assemblée son « silence » par le passé quand il pointait les « dysfonctionnements » à propos du fonctionnement de Gaël Perdriau…
Il s’agit à ses yeux d’un demi retrait, d’un enfumage.
Pierrick Courbon, conseiller d’opposition stéphanois
Il estime que les vice-présidents n’avaient pas de pouvoir des « négociations » menées et abouties le 22, outrepassant leur droit, à la suite des échanges du 15 septembre où un spectre bien plus large d’élus s’était exprimé pour manifester leur perte de confiance. « S’il y avait eu un vote le 15, Gaël Perdriau aurait été minoritaire. Il est toujours minoritaire ! » Déduction : « Nous voulons être gouvernés par quelqu’un d’honorable. Gaël Perdriau doit démissionner, quitte à revenir s’il est blanchi. » Désormais membre d’Horizons, le maire de Roche-la-Molière Eric Berlivet, longtemps centriste, ex vice-président de Métropole, s’est exprimé en deux temps, pour en arriver à la même conclusion : la nécessité incontournable, pour lui, d’une « démission ». Il réclame, aussi de la « transparence » à propos des indemnités de salaire potentielles de Pierre Gauttieri : elles pourraient s’élever, assure-t-il, à « un total de 100 000 euros, étant donné son cumul d’emplois à la Ville et à la Métropole » contraire, argue-t-il encore au principe de « mutualisation » prôné et voté ici entre ville centre et Métropole…
« Nous ne sommes pas dans un palais de Justice »
« La décision est insuffisante, notamment pour le directeur de cabinet. Les faits sont là, avérés, appuyait encore Marc Chavanne, maire de Saint-Jean-Bonnefonds. Notre probité à tous est entachée. Il faut que des décisions plus fortes soient prises. Je ne n’accepte pas que Gaël Perdriau n’ait pas donné sa décision aux élus (c’est-à-dire pas aux seuls vice-présidents, Ndlr)… » Si aucune précision des interrogations ne sera donnée durant cette assemblée à propos des indemnités de Pierre Gauttieri ou même de la gouvernance à venir de Métropole (sauf sur les négociations du CPER, du coup, menées par Hervé Reynaud), Christophe Faverjon tenait à étayer le point de vue commun et assumé des vice-présidents : « Nous sommes tous sous le coup de la sidération. Je dis toute ma solidarité envers toutes les victimes et de tous les innocents cités dans cette affaire. Mais nous ne sommes pas ici dans un palais de Justice. » Il en va du respect fondamental pour la démocratie du respect de la séparation des pouvoirs : « Ce n’est pas le politique qui rend la justice. Nous n’avons pas à entendre ni des propos de défense, ni d’accusations. »
Nous n’avons pas négocié le 22, ce n’était pas un marché.
Hervé Reynaud, 1er vice-président de Saint-Etienne Métropole
Et de comparer avec l’affaire Marc Petit, l’ex-maire lui aussi PC de Firminy : « Avec Vincent Bony, maire de Rive-de-Gier, Jean-Alain Barrier, maire de Farnay et Cyrille Bonnefoy, maire de La Ricamarie, nous l’avons dit dans un communiqué : quand un élu est mis en examen, il doit se retirer. Quand il est condamné, il doit démissionner. Nous avons eu le malheur de faire valoir ces mêmes principes dans le cadre d’une affaire que tous connaissent ici : il s’agit du maire de Firminy. Pour l’heure, Gaël Perdriau n’est ni mis en examen, ni condamné. » Afin de faire avancer le travail de l’institution, et de faire respecter le travail de la Justice, « c’est, je crois, la bonne décision ». Le fait que Métropole n’est pas un tribunal, « nous l’avons dit aussi, lors de bureau du 15 septembre. Il ne faut pas dévoyer cette parole, note Hervé Reynaud. Nous n’avons pas négocié le 22, ce n’était pas un marché mais un échange sur la base d’un cadre juridique, statutaire. »
Citant David Lisnard, président de l’Association des maires de France (AMF), le président (de séance) avait dans ses propos introductifs 50 minutes plus tôt lancé : « La politique, c’est physique, le mandat de maire en particulier. Il y a un moment où ça vous prend aux tripes. » Les tripes, elles sont effectivement au menu d’au moins une bonne partie des élus métropolitains en ce moment. Pour combien de temps encore devra t-on s’étriper d’ailleurs ?