Sur l’eau, le Département veut montrer qu’il a lui aussi la main
Certes, sur l’opérationnel – « production », distribution et approvisionnement –, ce sont les intercommunalités qui, sous la surveillance de l’Etat, ont avant tout la main. Mais à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau ce 22 mars, dans un contexte anxiogène à ce sujet, le Département a tenu à démontrer que l’eau était, elle aussi, une de ses « priorités ». La collectivité y consacre du conseil, de l’expertise. De l’argent aussi, à travers ses aides spécifiques aux communes, intercommunalités et agriculteurs.
Il aura fallu attendre le choc estival 2022 pour que le manque d’eau chronique semble enfin émerger comme une préoccupation unanimement prise au sérieux. Cela, malgré les avertissements en série et une succession d’années à friser la catastrophe. Si l’été pluvieux de 2021 a fait exception, l’avant-goût de pénurie entrevu il y a sept mois dans la Loire a de fortes de chances de se répéter cette année. Et en pire au regard de l’état comparatif de remplissage des barrages à la sortie d’un hiver une fois de plus, une fois de trop, beaucoup trop sec. Dépassé, le nouvel arrêté cadre sur la sécheresse (règles de restrictions imposées en fonction de la situation) dont le projet de nouvelle mouture avait été annoncé dès l’été dernier, se fait attendre. Il faut dire que l’on a changé de préfet en cours de route. Et, surtout, que le temps file vite, sur cette priorité parmi tant d’autres (quel sujet n’en est pas une ?), pour parvenir à un compromis entre les besoins légitimes de chacun, qu’il s’agisse de l’agriculture, des industries ou encore du tourisme.
Des négociations difficiles alors que communes, intercommunalités et la batterie de syndicats qu’elles recouvrent ou partagent, ont bien sûr leur mot à dire sur le sujet puisque compétentes sur la production, l’approvisionnement et l’assainissement. Selon nos informations, l’arrêté devrait être présenté le mois prochain. Sûr qu’il ne fera pas que des heureux. Ce n’est pas le souci, du moins frontal, du Département. « En 2017 (année des premières élections départementales post loi Notre, Ndlr), de nombreux Départements ont décidé d’en finir sur leurs interventions autour de la gestion de l’eau. Ça n’a pas été le cas de la Loire », note Daniel Fréchet, le « Monsieur eau » de la Loire. Le maire de Commelle-Vernay, dans le nord du Département n’est pas que le vice-président eau-environnement du conseil départemental. Il est aussi président d’un des plus importants syndicats de gestion du territoire, la Roannaise de l’Eau, soit plus de 100 000 habitants concernés.
Un Projet territorial de gestion de l’eau à venir
En 2017, de nombreux Départements ont décidé d’en finir sur leurs interventions autour de la gestion de l’eau. Ça n’a pas été le cas de la Loire.
Daniel Fréchet, vice-président eau-environnement au Département.
Lundi, lors d’une présentation pédagogique aux médias locaux, Daniel Fréchet a rappelé le rôle de piston joué par son Département en matière d’eau : la collectivité, qu’il représente d’ailleurs à l’Agence d’Etat Loire-Bretagne orchestrant un immense bassin versant, y consacre 1,75 M€ par an en fonctionnement. « Fort de sa connaissance pointue du terrain et de ses enjeux », glisse au passage un président Georges Ziegler, toujours prompt à défendre la légitimité existentielle de sa collectivité, le Département conduit ou s’implique en effet dans des grands schémas structurants accompagnant de nombreuses actions opérationnelles communales ou intercommunales : assainissement, alimentation en eau potable, milieux naturels, Schéma d’aménagement et de gestion de l’eau (Sage), Loire en Rhône-Alpes ou encore, le petit dernier siglé qu’est le Projet territorial de gestion de l’eau (PGTE).
Parallèlement à la mise à jour de l’arrêté sécheresse, le PGTE initié dans la Loire en février 2022 et dont l’élaboration est orchestrée par chaque préfecture doit en effet d’ici quelques mois déboucher sur les premières véritables règles d’usage (et donc de limitation) secteur par secteur. Là aussi, les débats ne doivent pas se distinguer par leur facilité. Pour revenir au seul Département, à travers sa « Mage » – Mission d’assistance à la gestion de l’eau – que lui avait confiée la loi Lema fin 2006, il apporte en outre, assistance et expertise techniques au rayon assainissement collectif et non collectifs en milieux aquatiques, soit 114 conventions avec des collectivités rurales et EPCI de moins de 40 000 habitants sur l’assainissement (deux autres avec Sem et Roannais Agglomération), 23 sur l’eau potable. Son action va au-delà de l’assistance puisque « malgré un contexte budgétaire toujours plus contraint », il mettra sur la table 3 M€ en 2023 sur des « appels à partenariat » relatifs à l’eau bénéficiant aux communes. C’était 2,6 M€ pour 109 dossiers en 2022.
Des retenues collinaires en projet dans la Loire
Exemple en cours : un soutien à hauteur de 200 000 € pour la construction d’une usine de traitement et la réalisation d’un nouveau forage à Balbigny. Au nom de sa compétence autour de l’agriculture enfin, le Département a accordé en 2022 un peu plus de 1,2 M€ à des investissements d’agriculteurs d’adaptation au changement climatique. 34 dossiers d’économie d’eau potable pour abreuver le bétail ou nettoyer les bâtiments ont ainsi totalisé 118 521 € d’aides (dans une limite de 4 000 € par projet). Surtout, même si ces aides 2022 déjà citées correspondent à une estimation de 34 720 m3 économisés, le Département de la Loire, par ailleurs propriétaire du Canal du Forez qui a vu sa ponction pour l’agriculture divisée par 4 en 40 ans, a accordé 1,087 M€ d’aides financières à des projets de plus grande ampleur. Ils sont d’ailleurs cofinancés par la Région à hauteur d’1,27 M€ et 1 M€ par l’Etat.
Au total, 15 investissements de modernisation et mutualisation de réseaux d’irrigation individuels ou mutualisés. Parmi eux, la création de retenues collinaires, objet de critiques et tensions injustifiées selon les agriculteurs. « C’est très compliqué, très encadré, très lent à obtenir le feu vert de l’Etat mais oui, il y a bien des projets de nouvelles retenues collinaires dans la Loire, quatre ou cinq en cours », précise Chantal Brosse, vice-présidente chargée de l’agriculture. En 2023, le total prévu à l’ensemble de investissements sera cependant réduit à 800 000 € mais parce que « beaucoup a déjà été fait ces dernières années ». Le Département souligne son bilan de long terme : près de 650 projets d’économie ou d’approvisionnement d’eau aidés depuis 2007 pour un total estimé de 472 000 m3 épargnés. D’autres financements sont apportés à la Chambre d’agriculture pour améliorer les techniques d’irrigation, s’adapter, modifier les cultures et leur rythme.
Les commandes de semis de maïs en recul
Quand on voit le résultat rapide de l’appel à la sobriété énergétique, on se dit que sur les économies d’eau, on peut aller plus loin encore.
Daniel Fréchet
Exemple ni technologique, ni matériel : dans la Loire, cette année, les commandes de semis de maïs ont reculé de 15 %. Au niveau national, la progression de nouvelles cultures de substitution s’élève à 6 %. « L’expertise, la capacité d’adaptation, les techniques déjà mises en place par le secteur agricole et celles à venir m’étonnent toujours », constate Georges Ziegler. Mais s’il s’observe ce qu’il se passe de leur côté, le président du Département se tourne aussi du côté des consommateurs, appelant chacun à la responsabilité, à économiser son litre d’eau quotidien ou davantage si possible. Cet été, le magazine départemental y consacrera des pages à une sensibilisation et des idées pour s’y mettre dans son foyer.
Daniel Fréchet dit appliquer certaines de ces recettes à son domicile depuis longtemps et il n’est pas le seul à l’écoute des morceaux optimistes de ses propos : « A la Roannaise de l’eau, cela fait une dizaine d’années que la vente de volume recule chaque année, soit en moyenne de 2 %. Et ça continue. Les gens, les entreprises font des efforts. Il y a une vraie prise de conscience et quand on voit le résultat rapide de l’appel à la sobriété énergétique, on se dit que l’on peut aller plus loin encore. » Il faut dire que l’on n’est pas sur le même univers en termes de prix à forte valeur incitative. Mais pour combien de temps encore ?