Marc Chassaubéné : « Gilles Rossary-Lenglet a bien travaillé pour Art pluriel »
C’est l’affaire dans l’affaire. Présentée par Gilles Rossary-Lenglet, dans l’enquête de Mediapart, comme étant, en réalité, une des rémunérations déguisées récompensant la fameuse vidéo réalisée à l’hiver 2014 pour faire chanter Gilles Artigues, la subvention de 20 000 € accordée à l’Association stéphanoise Agap (Association des artistes de la Galerie Art pluriel) a été votée en juillet 2015. Dans un entretien à If Saint-Etienne, l’adjoint à la culture Marc Chassaubéné affirme que Gilles Rossary-Lenglet collaborait avec ses créateurs, avant la date du « tournage » et l’aurait à ce titre, dès l’été 2014, sollicité pour obtenir un soutien financier municipal, captures de textos à l’appui.
« C’était un beau projet, vraiment. Et viable économiquement. La Galerie Art pluriel avait déjà ce qui allait devenir Rive Gauche rue de la République et voulait créer Rive Droite avec plusieurs résidences artistiques. Cela cadrait avec notre politique d’émergence culturelle. Cependant, la demande ne pouvait pas s’intégrer dans notre processus accordant des subventions culturelles, axé sur l’aide à la création d’œuvres », explique Marc Chassaubéné, adjoint à la culture. Ce serait selon lui, pour cette seule et unique raison, que la subvention municipale, accordée par une délibération du conseil municipal en juillet 2015, aurait finalement transité par le cabinet du maire – effectivement habilité pour cela – et non ses services. Une procédure tout à fait légale, qui n’est pas forcément courante mais loin d’être exceptionnelle non plus, lorsqu’il s’agit d’accorder – ou d’augmenter – des subventions destinées au monde associatif, culturel ou non.
« Lors de nos premières rencontres avec Gilles Rossary-Lenglet, nous avons aussi indiqué qu’il fallait, déjà, un caractère associatif pour obtenir une subvention. D’autres galeries stéphanoises fonctionnent ainsi : parallèlement à la dimension commerciale, elles ont des activités, sur des événements artistiques par exemple, subventionnables et subventionnées », ajoute Marc Chassaubéné. D’où la création de l’association des Artistes de la galerie Art pluriel : « Le dossier de demande d’instruction confirme également que l’association a déposé ses statuts en préfecture le 7 mars 2015, pour une publication au Journal officiel le 21 mars 2015 », précisaient nos confrères dans un article paru jeudi dernier, soulignant qu’il est « extrêmement rare » d’obtenir une subvention si rapidement, c’est-à-dire seulement quatre mois après sa création.
Une première rencontre en juillet 2014
Ce que Marc Chassaubéné, interrogé vendredi par If Saint-Etienne, ne nie pas : « Gilles Rossary-Lenglet a été insistant pendant des mois. Au point où il est, effectivement, remonté jusqu’au maire pour obtenir cette subvention. Celui-ci l’a accordée, comme cela arrive dans notre domaine, mais surtout parce que le projet était de qualité. » Chantal Sabatier et le sculpteur Philippe Buil ont créé la galerie Art pluriel, en mai 2012 mais sans statut associatif. Le lancement de l’association Agap avait donc donné lieu à un emprunt pour, en 2015, l’ouverture de nouveaux locaux de Rive Droite à Saint-Etienne rue de la République sur 420 m² : bien plus vaste que l’espace originel en face, toutefois maintenu et rebaptisé Rive Gauche. Au-dessus, des appartements auraient donc été destinés à l’accueil de résidences artistiques. Placés en garde à vue, comme le maire la semaine passée, ses dirigeants, sollicités, n’ont pas souhaité répondre à nos questions sur les accusations de Gilles Rossary-Lenglet* révélées par Mediapart, ni même nous expliquer le projet d’alors.
Selon Marc Chassaubéné, c’est dès l’été 2014 que Gilles Rossary-Lenglet, alors en couple avec Samy Kéfi-Jérôme l’aurait contacté pour lui parler de leur projet dans lequel il semblait très impliqué, assure l’élu. L’adjoint à la culture appuie ses propos d’une série de captures d’échanges par textos entre lui, Gilles Rossary-Lenglet et Samy Kéfi-Jérôme qu’il nous a transmis. Le premier date du 18 juillet 2014. Un message de Gilles Rossary-Lenglet adressé à l’adjoint à la culture fait référence à un échange entre eux, qui s’était déroulé la veille. Il est question d’un et même de plusieurs « projets » (mais soulignons que la galerie Art pluriel n’est pas citée dans ce message) de… Frédéric Bernard. Selon Marc Chassaubéné, ce dernier, collectionneur d’art, collaborait avec Philippe Buil, en particulier sur l’un des objectifs de la future Agap dont il aurait été sympathisant, sinon membre : la création d’une « Fiac », pour « Foire internationale d’Art contemporain ».
« C’est bon pour Gilles RL et Philippe Buil le 20 novembre »
« Très vite, est venue sur la table la demande d’un soutien financier de la municipalité pour les projets de la galerie Art pluriel. Mais j’étais gêné par le fait que ce projet ne cadrait pas avec nos règles d’attribution habituelles. Et je me méfiais du personnage qu’est Gilles Rossary-Lenglet. Et en plus, il fallait une association. Alors, j’ai laissé traîner », avoue Marc Chassaubéné, sollicité à nouveau le 14 novembre par Gilles Rossary-Lenglet pour un « rendez-vous » si on en croit un autre texto envoyé par ce dernier. « Finalement, Samy Kéfi-Jérôme a insisté auprès de moi pour que ça se fasse. Un rendez-vous a ainsi été fixé dans mon agenda. » Un autre message envoyé, en effet, par l’adjoint à l’éducation datant du 17 novembre évoque celui-ci : « C’est bon pour Gilles RL et Philippe Buil le 20 novembre à 18 (heures, Ndlr) dans ton bureau. » La suite ? Là aussi, évoquée par texto, encore une fois envoyé par Samy Kéfi-Jérôme, le 11 décembre, mais dont le contenu initial aurait été rédigé par Gilles Rossary-Lenglet.
Il raconte, en fait dénonce, la tournure prise par la visite de membres du service culture de la Ville dans la galerie déjà existante de Philippe Buil consécutive au rendez-vous du 20 novembre et la demande d’aide. La visite, organisée par Frédéric Bernard si on en croit ses mots, aurait en effet très, très mal tournée entre les membres de la galerie et les municipaux autour de la valeur même de l’art proposé par le sculpteur… Le message suivant donné par Marc Chassaubéné date du 27 mars 2015. Gilles Rossary-Lenglet y parle du fait que « les Buil ont enfin pu avoir le prêt et le projet pour lequel nous nous étions rencontrés tous les 3 va voir le jour dans les mois qui viennent ». Il propose à Marc Chassaubéné « une visite par plaisir de partager un beau projet » et aussi, « pour avoir tes avis ». Un autre texto, datant lui du 4 juin 2015, évoque « l’expo Flux » et sa programmation.
Une délibération rédigée par l’adjointe du directeur de cabinet
Pour l’adjoint à la culture, « si on rajoute à tout cela, par exemple, la lecture, le 18 octobre 2014 au sein de la Galerie Art pluriel, dans le cadre de la Fête du Livre de textes par Gilles Rossary-Lenglet qu’il disait alors, lui-même, sur son blog (là encore l’adjoint s’appuie sur une capture d’écran, Ndlr) avoir écrit pour des sculptures de Philippe Buil, Gilles Rossary-Lenglet a bien travaillé dès cette époque, avant le tournage de la vidéo, avec la galerie Art pluriel. » Une autre capture d’écran, issue là du compte Facebook de Gilles Rossary-Lenglet montre sa participation à une performance artistique proposée le 21 mai 2016 par Rive Droite, une fois l’association Agap créée. « Prestataire ou salarié, je ne sais pas mais il collaborait avec eux, c’est clair. Il faisait des textes autour des œuvres, portait la communication de la galerie et sa parole auprès de la municipalité, se battant durant des mois pour cette subvention. Cela fait beaucoup pour quelque chose qui n’aurait été qu’une collaboration fictive. Ce garçon ment », en déduit Marc Chassaubéné.
Et le devenir de la fameuse Fiac dans tout ça ? « Ce volet là était davantage porté par Frédéric Bernard, membre ou sympathisant de leur association. Nous avons eu cinq ou six rencontres sur cette idée d’événement qui, a été effectivement abandonné. D’abord parce qu’on nous demandait une nouvelle subvention spécifique, beaucoup trop élevée, colossale même. Ensuite, parce que Frédéric Bernard s’est retrouvé isolé sur ce sujet, privé des compétences pour l’aider », assure Marc Chassaubéné. Selon des sources internes à la municipalité avec qui nous avons aussi échangé sous couvert d’anonymat, le cheminement habituel, identique à ce qui était déjà en place sous Maurice Vincent et maintenu depuis 2014, pour l’accord ou non de subventions à des nouveaux acteurs culturels est long (un an et plus), dense, très contrôlé, avec des audiences systématiques, voire l’appel à des expertises extérieures pour examiner les demandes.
Cela fait beaucoup pour quelque chose qui n’aurait été qu’une collaboration fictive. Ce garçon ment.
Marc Chassaubéné, adjoint municipal à la culture
Un artiste apprécié de Gaël Perdriau
Cependant, selon ces mêmes sources, « tout ce cheminement peut être balayé et accéléré par une demande du cabinet et ne pas suivre l’instruction. Ce qui a été le cas ici et n’a d’ailleurs rien d’illégal. Et il est courant, par exemple, que n’importe quel service reçoive, via le cabinet, l’ordre d’augmenter le montant initial des subventions accordées à une telle ou une telle en utilisant la « cassette » du maire. Ce qui est, en revanche, très différent avec l’Agap et unique, c’est le fait que la délibération ait été finalement rédigée par l’adjointe du directeur de cabinet elle-même… » On notera aussi, selon ces sources, qui n’affirment, ni n’infirment un acte illégal à propos des relations entretenues entre l’Agap et la municipalité stéphanoise, que des sculptures de Philippe Buil – représentant des flammes sur des candélabres (d’ailleurs en photo dans… Le Routard !) – auraient été achetées directement, et de manière très exceptionnelle, par le service protocole de la Ville pour être installées sur les garde-corps de l’escalier d’apparat du hall d’entrée de la mairie.
Le sculpteur est réputé pour être un artiste apprécié de Gaël Perdriau, ayant d’ailleurs fait partie de ses soutiens lors de sa campagne en 2014. Fait que nous a confirmé Marc Chassaubéné mais « comme beaucoup d’autres personnalités, artistiques ou non. Il y a aussi un buste de Loïc Perrin fait par Philippe Buil dans le bureau du maire. Bien d’autres artistes sont régulièrement engagées par la Ville pour des œuvres sur l’espace public. Je pense à Ghyslain Bertholon, assez récemment par exemple. » L’adjoint à la culture insiste, encore une fois, sur la « démarche courageuse, la valeur et l’intérêt réels, avec des perspectives internationales » du projet présenté en 2014/15 par la galerie Art pluriel ayant débouché sur l’association Agap et expliquant la bienveillance et l’intervention du maire en ce qui concerne sa subvention. Pour rappel, Gilles Rossary-Lenglet affirme avoir reçu une commande de Gaël Perdriau et Pierre Gauttieri au printemps 2014. Assurant avoir très vite donné son prix, il affirme que le duo lui aurait demandé des noms d’associations (Art pluriel n’en est alors pas une !) qu’il connaissait pour faire transiter la somme.
* Nous avons aussi essayé, pour la première fois nous concernant, ayant obtenu depuis peu son contact, de solliciter directement Gilles Rossary-Lenglet. Il n’a pas répondu à nos appels.