Maurice Vincent : « Une social-démocratie rénovée est la seule voie possible »
L’ancien président de l’université (1997-2002) et maire alors PS (2008-2014) de Saint-Etienne porte la voix de Bernard Cazeneuve dans la Loire. Maurice Vincent est, en effet, le référent départemental du manifeste de l’ex Premier ministre socialiste « pour une gauche sociale-démocrate, républicaine, humaniste et écologique » diffusé depuis début septembre. Entretien.
Maurice Vincent, vous portez la voix du manifeste de Bernard Cazeneuve et la relayez auprès des médias locaux, faut-il l’interpréter comme un retour dans la vie politique ?
« Non. J’ignore d’ailleurs, à ce stade, si les intentions de Bernard Cazeneuve sont, à terme, d’aller jusqu’à créer un parti. Mais ce n’est ni à l’ordre du jour, ni ce que j’ai déduit de nos échanges. Me concernant, à 67 ans, l’objectif n’est sûrement pas de briguer un nouveau mandat. J’ai été élu dès 1995. J’ai fait mon temps. Ça ne m’empêche d’observer, de participer à des groupes de réflexion collectifs, comme les Engagés. Bernard Cazeneuve (ex-ministre de l’Intérieur puis dernier Premier ministre de François Hollande, Ndlr), m’a donc demandé d’être référent de son manifeste auquel je crois, en constituant une équipe paritaire pour le diffuser. Laurence Juban (ex élue PS de la majorité de Marc Petit à Firminy) et Pascale Fédinger (membre du PRG ayant candidaté aux dernière législatives) sont ainsi déjà à mes côtés. J’attends la réponse une personnalité, un homme du coup, du Roannais… »
Me concernant, à 67 ans, l’objectif n’est sûrement pas de briguer un nouveau mandat.
Avant d’évoquer son contenu, qui rassemble, dans la Loire, ce manifeste clamant le besoin de certes rénover la social-démocratie, mais surtout de la remettre au centre du jeu ?
« A l’heure où je vous parle (jeudi 13 octobre, Ndlr), le manifeste a dépassé les 5 000 signatures au niveau national, les 40 dans la Loire. Il y a des gens qui n’ont jamais été encartés, des socialistes, des ex socialistes comme Jean-Louis Gagnaire, Gérard Lindeperg (ancien député PS stéphanois, co créateur de la Fondation Jean Jaurès, Ndlr) des membres du Parti radical de gauche (PRG) comme Pascale Fédinger donc mais aussi mon ancien adjoint municipal André Friedenberg. Un des points communs qui nous rassemblent avec le PRG, c’est l’attachement à la laïcité républicaine. Le PRG s’est d’ailleurs prononcé en faveur du manifeste au niveau national. »
Il a été attribué beaucoup de définitions au terme de « social-démocratie ». Comment vous et les signataires de ce manifeste, l’entendez-vous ?
« Par sa seule vraie définition : une politique publique gouvernementale qui accepte l’économie de marché mais qui impose sa volonté d’en corriger ses – nombreux – défauts. Les inégalités sociales explosent dans une économie de marché s’il n’y a pas d’intervention publique efficace pour lutter contre. Autre défaut, beaucoup d’activités ne sont pas justement et comme il se doit pris en charge par ce système : éducation, logement, santé etc. Des domaines où la dimension publique doit intervenir de près. Idem pour l’environnement, très, très mal traité par une économie de marché sans solides garde-fous. Elle doit certes, être rénovée, notamment sur ce dernier aspect, trop longtemps délaissé. Mais j’estime qu’il n’y a pas d’autres alternatives. »
Il y a eu un effacement de la social-démocratie avec Macron.
C’est-à-dire ?
« Tout montre qu’une social-démocratie rénovée est la seule voie possible pour l’avenir, y compris vis-à-vis du défi climatique. Son bilan n’est pas parfait mais nettement meilleur que le reste. Nous avons déjà parlé des graves défauts des économies libérales, à l’américaine et à l’anglaise. Pour les systèmes économiques centralisés qui se sont tous effondrés, l’Histoire a tranché : ils sont des catastrophes démocratiques, humaines et environnementales. Le reste ? D’autres dictatures, des kleptocraties comme la Russie, la Chine ultra autoritaire et son capitalisme libérale sans pitié… »
N’aviez-vous pas personnellement quitté le PS en 2017 en pensant qu’Emmanuel Macron allait être le relais de cette même « social-démocratie » ?
« Je ne suis plus encarté au Parti socialiste depuis début 2017. A l’époque, ne croyant pas à la ligne, à mes yeux, suicidaire de Benoît Hamon, voyant le risque du duel Fillon/Le Pen, plus que probable au 2e tour, du moins jusqu’à ce que François Bayrou apport son soutien à Emmanuel Marcon, je me suis effectivement rangé derrière la candidature ce dernier à la Présidentielle et même rejoint En Marche. Comme énormément de personnalités de centre gauche, à l’époque, qui croyaient sincèrement à un projet équilibré. Nous nous sommes trompés. Il y a eu un effacement de la sociale démocratie avec Macron, des décisions à rebours de la justice fiscale et sociale dont l’objectif est manifestement de les faire reculer. Déçu par la dérive à droite, néo-libérale du Président, j’ai stoppé mon soutien à la majorité présidentiel fin 2018. »
On a considérablement noirci le quinquennat d’Hollande. L’Histoire montrera qu’il est défendable.
A propos de déception, il est intensément reproché au quinquennat François Hollande dont Bernard Cazeneuve a été l’un des principaux ministres d’avoir trahi son électorat de gauche…
« Il y a du négatif et du positif dans le quinquennat d’Hollande. Il y a, aussi, un contexte. Celui à des années lumières du « quoi qu’il en coûte » déclenché par la Covid. A l’époque, la pression de l’UE est très forte pour réduire les déficits, imposant une certaine rigueur. Mais oui, la loi Travail a été une erreur comme le fait d’avoir mis en place une fiscalité, très, trop, favorable aux entreprises. François Hollande a été trop loin. Mais rendons lui, aussi, justice : on a considérablement noirci un quinquennat qui, avec le recul de l’Histoire et par comparaison aux autres, sera, en tout cas pour moi, très défendable. Sur la forme, le président est souvent apparu trop hésitant. Sur le fond, qui met en avant aujourd’hui, par exemple, son refus de vendre des navires de guerre à Poutine en 2014 ? On l’a alors plus attaqué que félicité… »
Personnellement, vous n’êtes pas pour autant revenu au PS…
« Je le redis, la ligne de Benoît Hamon était suicidaire parce qu’elle consistait, ni plus, ni moins à courir après les écologistes et la radicalité de Mélenchon autour d’un programme improvisé qu’il n’arrivait même pas à chiffrer – je pense au revenu universel à 5 ou… 40 Md€ ! – et qui n’a séduit que 6 % des électeurs avec le ralliement des écologistes. Olivier Faure agit dans un contexte différent que Benoît Hamon – celui du désastre de la candidature d’Anne Hidalgo l’obligeant à sauver les meubles – mais le PS poursuit dans cette voie, et comme l’a constaté Bernard Cazeneuve (provoquant ainsi son départ du parti où beaucoup l’auraient voulu « présidentiable », Ndlr), l’alliance avec la Nupes une soumission totale à La France Insoumise. »
Un projet républicain d’intégration à l’opposé de la logique de division venant de toute part.
Que propose concrètement Bernard Cazeneuve ?
« De reconnaître, réaffirmer et rétablir le rôle indispensable de l’intervention publique. Que l’Etat, les collectivités locales interviennent, c’est plus qu’utile : c’est le moyen de faire reculer les inégalités sociales, d’améliorer la situation de l’environnement, de la recherche. Son manifeste, c’est aussi l’ambition d’un projet républicain rétabli, autour d’une laïcité menacée, d’intégration, acteur d’une cohésion sociale à l’opposé de la logique de division venant de toute part. Celle de l’extrême droite et ses stigmatisations. L’Islam est intégrable dans la République, c’est l’Islamisme qui ne l’est pas. Mélenchon joue aussi sur la confrontation, la division avec son rapprochement avec des extrémismes musulmans. LFI met en avant ce qui distingue et non ce qui rassemble : tolérer des extrêmes et leur comportement ne sert pas au rassemblement républicain, pas plus que son soutien à Poutine et son antiaméricanisme primaire. Il s’agit donc de restaurer un courant de pensée et faire émerger de nouvelles générations de décisionnaires animées par lui. »