Saint-Etienne Métropole : le casse-tête de la loi SRU
La loi SRU, que le gouvernement envisage de retoucher est revenue sur la table cette semaine avec l’avertissement de l’Union sociale pour l’habitat (USH) : pas touche, clame-t-elle au dispositif imposant aux communes un taux minimal sur le logement social. L’an passé, à Saint-Etienne Métropole, le vote de demandes d’exemption pour sept de ses communes « déficitaires » avait mis en évidence la complexité d’appliquer la loi. Qu’une municipalité traîne des pieds ou pas, rattraper le retard, souvent fruit d’un héritage, n’est pas forcément évident. Même quand la bonne volonté est là.
Les « détails » qui font tout sont attendus d’ici la fin de l’été. Le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé fin janvier l’intention de la majorité présidentielle de réformer la fameuse loi dite « SRU », relative à la solidarité et au renouvellement urbains. Dans un contexte de crise du logement, il s’agirait d’intégrer dans son décompte ceux dit « intermédiaires » orientés « vers la classe moyenne ». Adoptée il y a maintenant 24 ans la loi oblige, via son article 55, une grande partie des communes de plus de 3 500 habitants à consacrer 20 à 25 % de leur parc immobilier aux logements sociaux. Dans un contexte de crise du logement, l’Union sociale pour l’habitat (USH) qui fédère les diverses branches des bailleurs sociaux, a, elle, publié mercredi 20 mars un communiqué réclamant au gouvernement de renoncer.
Ex-secrétaire nationale d’EELV et ex-ministre du Logement de François Hollande, sa présidente, Emmanuelle Cosse déclarait ainsi : « La crise que le logement traverse aujourd’hui dans notre pays appelle d’autres réponses, d’autres combats que la remise en cause de ce qui fonctionne. Les quelques maires qui, sciemment, se situent en dehors de la loi en n’assumant pas leurs responsabilités vis-à-vis de la cohésion nationale ne méritent certainement pas un tel cadeau. » Le dispositif concerne les communes de plus de 3 500 habitants – de 1 500 habitants dans l’agglomération parisienne – appartenant à des intercommunalités de plus de 50 000 habitants et comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants. Elles doivent disposer d’au moins 25 % de logements sociaux parmi leurs résidences principales dans les 15 ans suivant l’entrée dans le dispositif.
Un déficit de 1 200 logements cumulé par Métropole
Cependant, dans les communes appartenant à des territoires « dont la situation locale ne justifie pas un renforcement des obligations de production », cette obligation est fixée à 20 % de logements sociaux. Mi 2023, c’est ce taux qui s’appliquait pour Saint-Etienne Métropole en l’état de la réglementation alors en vigueur. Entre 2020 et 2022, à l’échelle nationale près des deux tiers des communes concernées par la loi SRU n’avaient pas tenu leurs objectifs de production de logements sociaux. Et au sein de Saint-Etienne Métropole ? Au 1er janvier 2022, sept de ses communes concernées avaient, en tout cas, à cette date un taux de logements sociaux les plaçant hors des clous : La Fouillouse (15,6 %) ; Genilac (4,9 %) ; Saint-Galmier (12,6 %) ; Saint-Héand (11,7 %) ; Saint-Martin-la-Plaine (8,8 %) ; Sorbiers (15,5 %) ; Villars (13,7 %).
Le déficit cumulé de Saint-Etienne Métropole était ainsi de l’ordre de 1 200 logements sociaux au 1er janvier 2022. Une situation qui avait été rappelée dans une délibération du conseil métropolitain votée le 25 mai 2023 même si les taux avaient parfois bel et bien progressé depuis à cette date. La délibération soulignait que « les communes déficitaires en logements doivent atteindre le seuil requis dans les quinze années suivant leur soumission au dispositif, avec des objectifs de rattrapage notifiés par l’Etat par période triennale. Ces objectifs doivent être repris, à minima, dans le Programme Local de l’Habitat. » L’Etat réalise donc un prélèvement financier sur les ressources des communes concernées, proportionnellement à leur potentiel fiscal et leur déficit en logement social par rapport à l’objectif légal. Mais les communes peuvent déduire du prélèvement les montants qu’elles investissent en faveur du logement social.
Une tension de la demande montante mais relative
Cependant, c’était l’objet de la délibération de Métropole en mai 2023, la loi prévoit qu’une exemption triennale peut être demandée au préfet pour deux catégories de communes :
- Celles qui ne sont pas situées dans une agglomération (mais au sens de l’Insee !) de plus de 30 000 habitants et dont « l’isolement ou les difficultés d’accès aux bassins de vie et d’emplois environnants les rendent faiblement attractives », définies dans des conditions précisées par décret (communes dites « isolées »).
- Celles situées dans une agglomération (au sens de l’Insee encore) ou une intercommunalité de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants dans lesquels le nombre de demandes de logements sociaux par rapport au nombre d’emménagements annuels, hors mutations internes dans le parc locatif social, est inférieur à un seuil fixé par décret (catégorie des communes situées sur un territoire où la tension de la demande en logement social est faible).
Répondant aux critères de la première catégorie citée, Saint-Héand a bénéficié d’exemption de 2017 à 2022. La Fouillouse et Saint-Galmier non. Genilac, Saint-Genest-Lerpt (qui depuis a dépassé le seuil de 20 % de logements sociaux), Saint-Martin-la-Plaine, Sorbiers et Villars oui, car relevant de la catégorie des communes situées sur un territoire où la tension de la demande en logement social est faible sur la même période. A l’échelle de la métropole, elle était alors d’1,9 demande pour une attribution. Dans le dernier constat, triennal, daté du 1er janvier 2022, cette tension a grimpé à 2,18, sachant que le seuil en dessous duquel l’exemption est possible est de 2. Saint-Etienne Métropole rappelle cependant que cette tension est relativement faible vis-à-vis des moyennes régionale (4,19) et nationale (5,22) et même départementale (2,28). Ce qui donnait, alors, une durée d’attribution de 6 mois contre 16 au niveau national.
Pas d’exemptions pour la période actuelle
Les amendes en conséquence – versées au budget d’Epora – varient, elles, selon le degré manque et le potentiel fiscal communal tout en restant de l’ordre de quelques dizaines de milliers d’euros. A l’été 2023, de nouvelles demandes d’exemption formulées par la délibération votée en mai par Saint-Etienne Métropole ont été refusées par la préfecture pour l’ensemble des sept autres communes citées plus haut. Des demandes votées en mai 2023 par l’assemblée de Saint-Etienne Métropole sur la période 2023/2025 : pour Saint-Héand, toujours au titre de son « isolement » tel que la loi le considère. Mais aussi pour La Fouillouse et Saint-Galmier « situées dans l’agglomération de Saint-Just-Saint-Rambert » et les communes de Genilac, Saint-Martin-la-Plaine, Sorbiers et Villars « situées dans l’agglomération de Saint-Etienne ».
Car c’est l’une des problématiques, au moins dans une agglomération ayant la physionomie de Saint-Etienne Métropole : celle-ci a beau avoir via ses compétences en grande partie la main sur le logement et l’habitat et mener une politique à l’échelle de son territoire (PLH, PLUI), c’est une autre réalité géographique – celle définies par l’Insee et ses unités urbaines évoquant, par exemple, une « agglomération de Saint-Just-Saint-Rambert » – que son propre périmètre qui conditionne en partie les règles. Les demandes avaient en tout cas peu de chances d’aboutiren raison des valeurs supérieures au ratio de tension minimum fixé à 2 pour l’obtenir dans les « agglomérations » de Saint-Etienne (2,00249) et Saint-Just-Saint-Rambert (2,30908). Mais les sanctions financières à la suite de discussions avec les services locaux de l’Etat jugées constructives par l’exécutif métropolitain, ne seront finalement appliquées, au moins dans l’immédiat, que pour La Fouillouse et Saint-Galmier.
709 logements sociaux agréés de 2020 à 2022
La délibération de l’exécutif métropolitain consistait d’ailleurs peut-être a surtout pointé les efforts fournis par les uns et les autres et les difficultés du casse-tête, des paradoxes qu’impliquent l’application loi dans le contexte de Saint-Etienne Métropole. Plutôt qu’une volonté d’obtenir à tout prix pour ses communes membres afin qu’elles y échappent. Ce n’est d’ailleurs pas le vote en mai 2023 des conseillers (il y a 123 élus) en faveur des demandes d’exemption dépouillé de « contre » et émaillé de seulement 4 abstentions qui semble le démentir. Il y a bien eu débat préalable ce jour-là. Mais il ne s’est finalement pas montré caricatural : pas d’échanges vifs maires « de droite » vs maires « de gauche » ; ou sinon, entre communes « périurbaines » habitées par les classes moyennes vs communes très urbaines concentrant plus de pauvreté et un taux de logement social dépassant les 30 % comme à Saint-Etienne, là où on est à 40 % à Saint-Chamond, et même 52 % à La Ricamarie.
La conclusion s’avéra même cordiale. Il faut dire que concernant le déficit des sept communes déficitaires, parfois héritage des gouvernances passée, compliquées à rattraper, au 1er janvier 2022, il avait été souligné dans la délibération « leurs efforts » en cours pour produire des logements sociaux. Depuis 2011, 611 logements sociaux ont été agréés dans ces communes sur les 3 690 logements sociaux agréés dans la Métropole, soit une part de 17 % (agréments 2011 à 2022, hors logements-foyers). Et « depuis la précédente demande d’exemption, 189 logements sociaux ont été agréés dans ces sept communes sur les 709 logements sociaux agréés dans la Métropole, soit une part de 27 % (agréments 2020 à 2022, hors logements-foyers) ». A la date du vote fin mai 2023, les pourcentages avaient en réalité déjà progressé vis-à-vis des taux arrêtés au 1er janvier 2022, au moins pour certaines communes.
« Il y a logement social et logement social »
C’est le cas, par exemple de Genilac et Saint-Martin-la-Plaine dont les maires avaient d’ailleurs pris la parole pour se défendre de toute réticence à avancer signalant que les taux étaient en train de progresser. Cela malgré, on y reviendra, l’écueil de taille qu’est la disponibilité du foncier. L’exécutif de Métropole évoquait, lui, un autre paradoxe : « La réalisation d’un tel niveau de production dans sept communes situées en périphérie des centres urbains présente un risque de déstabilisation du marché. Un tel volume d’offre neuve concurrencerait fortement le parc existant, public comme privé, au sein de l’agglomération mais également au sein des communes concernées. Cela pourrait avoir un impact non négligeable sur la vacance et la paupérisation du parc le plus ancien des communes urbaines. » Car « il y a logement social et logement social » : nuance soulignée alors par le conseil EELV stéphanois Olivier Longeon devant l’assemblée rappelant qu’il y a plusieurs catégories de logements sociaux plus ou moins accessibles selon la situation financière.
Quand un ménage est éligible mais plus solvable que d’autres et doté d’un véhicule, un logement social construit dans une commune périurbaine lui est dans les faits plus facilement accessible.
Jean-Luc Degraix, alors encore conseiller métropolitain délégué à l’habitat
Sans compter la variabilité en soi de l’état et de la qualité des logements sociaux, en moyenne meilleurs pour ceux plus récemment produits. Ce qui n’enlève rien à certains efforts de rénovation, parfois d’ampleur, dans l’ancien. Un élément souligné aussi par Jean-Luc Degraix avec qui nous avions échangé à ce sujet cet automne lorsque l’adjoint à l’urbanisme de Saint-Chamond était encore conseiller délégué métropolitain à l’habitat (il est depuis devenu vice-président) : « Quand un ménage est éligible tout en étant dans une assez bonne situation financière, plus solvable que d’autres, doté d’un véhicule, un logement social construit dans une commune périurbaine lui est, dans les faits, plus facilement accessible. Or, l’idée de la loi SRU, à la base, est de réduire le phénomène de ghettoïsation entre riches et pauvres. Le cadre législatif ne semble pas ou plus adapté, en tout cas pas à notre territoire. »
Le morcellement parcellaire brouille les cartes
L’évolution de la tension mais dans l’agglomération de référence, celle de l’Insee et non de Métropole donc, peut faire basculer d’une période triennale à l’autre une commune dans le dispositif. En outre, une municipalité peut se faire rattraper par l’évolution plus ou moins brusque de sa population, certains maires se plaignant à ce sujet les constructions directement issues du morcellement parcellaire qu’autorise la loi et difficile à évaluer pour cadrer avec une politique de l’habitat conforme à la loi SRU. Elément venant brouiller les cartes, évoqué par exemple, par le maire de La Fouillouse Patrick Bouchet lors de son intervention en mai 2023 en assemblée métropolitaine. Le risque est ainsi d’avoir sans cesse à courir après le fameux pourcentage. Que doivent faire les communes en limite de seuil ? Sans cesse anticiper l’éventualité de nouveaux logements non sociaux et donc anticiper aussi de nouveaux programmes de logements sociaux en proportion ?
Légitime ou pas selon les points de vue, l’appareil législatif de lutte anti-étalement urbain imposé à l’urbanisme monte en puissance – limitations déjà effectives du Scot, perspectives du fameux Zéro artificialisation nette, etc. – et semble ainsi rentrer en collision avec les objectifs de la loi SRU. La problématique du foncier est en effet parfois centrale pour rattraper le retard. C’est le point que tient à souligner Denis Barriol, maire de Genilac depuis 2014 dont le petit 4,9 % de logements sociaux au 1er janvier 2022 est désormais passé à 6,2 % « grâce à un programme de 20 logements. 40 autres sont lancés avec Bâtir et loger. Mais le pourcentage ne progresse pas aussi vite que l’on aimerait puisque, par exemple, le morcellement parcellaire amène de nouveaux logements non sociaux. La disponibilité du foncier est en fait au cœur de notre problématique ».
Courage politique
Et que l’on ne vienne pas lui parler de courage politique : « Nous avons rendu 63 ha à la nature et à l’agriculture en modifiant notre PLU en 2018. Je peux vous dire qu’à 2 ans des Municipales, ce n’était pas le plus facile à expliquer aux gens qui avaient des terrains, jusqu’à cette décision, d’une toute autre valeur. Ce n’était pas vraiment le plus populaire à faire. » Mais pourquoi sa commune n’avait que 3 % de logements sociaux, à son arrivée comme maire en 2014 ? « Elle a été rattrapée par sa population, (elle est officiellement passée de 3104 en 1999 à 3 563 en 2006, Ndlr) après l’arrivée de la loi. Et il est vrai, la problématique n’avait pas été anticipée ni prise à bras-le-corps ensuite. J’ai été membre de l’équipe municipale 2008/2014 et avec d’autres, dont certains élus à mes côtés actuellement, ça n’a pas été faute d’avertir… Mais je refuse de juger : on était dans un autre contexte, une autre époque, une autre génération avec une veille foncière qui n’est pas celle d’aujourd’hui. Depuis 2014, on s’y attelé. Ce n’est pas évident pour autant : car dans les faits, la loi SRU n’est pas toujours au rendez-vous de la mixité sociale. »
Dans les faits, la loi SRU n’est pas toujours au rendez-vous de la mixité sociale.
Denis Barriol, maire de Genilac
Saint-Etienne Métropole le soulignait en mai dernier : « La demande d’exemption ne signifie pas que la Métropole ne souhaite pas soutenir le développement de logements sociaux sur ces communes, mais qu’elle souhaite un développement global maitrisé et qualitatif en prenant en compte l’existant et en favorisant la mixité sociale. » Jean-Luc Degraix pointant cet automne le travail mené en lien avec le PLUI (plan local d’urbanisme intercommunal), ou encore le fait que le PLH (Plan local d’habitat) de la Métropole prévoit « un taux de 45 % de PLAI (prêt locatif aidé d’intégration) pour les sept communes concernées par le retard afin de les accompagner. C’est un total d’1,2 M€ qui leur a été accordé via le PLH depuis son lancement pour les aider. ».
« Factuellement impossible » mais…
Pierrick Courbon, conseiller stéphanois d’opposition PS reconnaissait lui aussi cet automne auprès d’If Saint-Etienne que « la situation n’est pas simple. Certaines municipalités souffrent d’un retard qui est aussi l’héritage de gouvernances précédentes. Vis-à-vis des contraintes foncières, d’autant plus montantes, passer schématiquement de 5 à 20 % en quelques années est factuellement impossible. Alors effectivement, il ne faut pas forcément se fier aux chiffres bruts qui ne reflètent pas la volonté d’une équipe en place et ce qui est actuellement entrepris. Et oui, il semble qu’il y ait un problème d’encadrement législatif. Mais nous estimons aussi que certaines communes peuvent freiner assumant les pénalités, alors il ne faudrait pas que ces démarches d’exemption dissimule de tels états d’esprit. Entre bonne et mauvaise foi, la réalité globale est sans doute entre les deux.» En attendant que cette réalité soit revue. Avec cette fois quel degré de virtualité ?