200 ans du rail en Europe : l’Eclisse veut lancer la machine à Saint-Etienne
2027 marquera le bicentenaire de l’ouverture officielle de la première ligne de chemin de fer d’Europe continentale (30 juin 1827). Et pour ceux qui l’ignorent, elle reliait les territoires actuels de Saint-Etienne et Andrézieux-Bouthéon sur 21 km. Estimant que ce fait d’arme de l’industrie stéphanoise est une fierté, voire un élément d’attractivité, jusque-là, trop peu mise en valeur, 7 associations en ont constituée une nouvelle, « L’Eclisse », afin de marquer ces 200 ans par une grande célébration populaire. Elles espèrent qu’il en découlera des aménagements pérennes via ses ambitieuses propositions.
Pas oublié mais au moins en partie éclipsé. Dans une agglomération désormais si avide de motifs de fierté à valoriser pour les avoir laissés trop longtemps sous un dôme de complexes, il y a effectivement quelque chose d’étonnant que cela ne soit pas déjà crié sur tous les toits : c’est dans la Loire, entre Saint-Etienne et Andrézieux-Bouthéon que la première ligne régulière de chemin de fer d’Europe continentale (l’avance technique de la perfide Albion, corrélée au scepticisme de l’administration napoléonienne, nous ayant précédés) a été officiellement ouverte le 30 juin 1827. Quiconque part en quête d’informations à ce sujet, en trouvera, déployées qu’elles sont par la recherche scientifique universitaire ou associative.
Mais la mise en valeur grand public spécifique du fait, aussi bien vis-à-vis des Ligériens que de l’extérieur ne va, elle, pas de soi : elle semble plus souvent relever de l’anecdote, au mieux d’un chapitre parmi d’autres, du développement industriel innovant de l’agglomération stéphanoise. D’autant plus paradoxal à l’heure de prendre le train de la décarbonation. Le judicieux maintien du tram à Saint-Etienne à rebrousse-poil du tout auto de l’urbanisme post 1945 des grandes villes françaises semble à lui seul trouver davantage d’échos. Ce sont nos comparaisons, nos propos mais pas notre constat : « Je crois avoir fait le tour pour notre région (dans le sens du « sud Loire », Ndlr) de ce que le passant peut connaître de cette grande aventure continentale, pourtant la première. C’est trop peu », concluait, après en avoir énuméré les traces visibles, Georges Goubier vendredi, à la Maison de quartier du Soleil à Saint-Etienne dont il anime le « groupe Mémoire ».
34 mois pour créer une célébration populaire
C’est toutefois comme président de « L’Eclisse » que celui-ci a pris la parole lors de ce qui n’était pas une réunion fondatrice, l’association ayant été mise sur les rails en décembre 2023 mais davantage une profession de foi publique de ses ambitions. Celles adressées aux élus – sinon, leurs représentants – des collectivités (le député Pierrick Courbon et Marc Chassaubéné, adjoint à la culture de Saint-Etienne et la conseillère municipale Colette Ducros étaient par exemple dans la salle). Devant aussi la presse ainsi qu’une assistance où dominaient en ce milieu d’après-midi les têtes blanches déjà toutes acquises à la cause. L’Eclisse est un groupement associatif issu d’échanges initiaux, nous a-t-on précisé en aparté lors du Forum des associations de Saint-Etienne 2023. Amis du rail du Forez, Amis du musée de la Mine, Model-Rail, Le Centre d’études et de recherches du patrimoine industriel (Cerpi), Histoire et Patrimoine de Saint-Etienne, Les amis du musée d’Art et d’Industrie de Saint-Etienne et donc, la Maison de Quartier du Soleil (groupe Mémoire) : sept associations stéphanoises ou foréziennes en sont les fondatrices.
Probables qu’elles en mobilisent d’autres dans leur sillage, tout comme des collaborations avec le privé, l’Etat et les collectivités concernées : Région, Département, Métropole et, au moins, les Villes de Saint-Etienne et d’Andrézieux-Bouthéon où il existe d’ailleurs déjà, sans qu’elle ait été évoquée, sauf erreur de notre part, vendredi, l’expérience interactive L’Aventure du Train. Les pouvoirs publics voient probablement aussi d’un bon œil, vis-à-vis de leurs propres calendriers, une locomotive associative s’être constituée de son côté pour lancer cette machine commémorative. L’Eclisse n’en est pas encore là mais s’est donnée le temps d’y parvenir, à 34 mois d’une potentielle célébration populaire dont elle espère qu’elle accouchera d’ambitieux lendemains. Car, en attendant, « que reste-t-il de toute cette histoire ?, interrogeait vendredi Georges Goubier. De la documentation, des auteurs historiens l’ont décrite, nos amis des associations ici présentes ont chacun travaillé sur cette histoire, et surtout les traces encore très visibles sur les bords de Loire à Andrézieux permettent de l’identifier. J’en profite pour saluer le travail de recherche et d’information pour le grand public réalisé par les Amis du vieux Bouthéon. Mais reconnaissons-le, humblement, peu de choses sont rendues visibles pour le public et la postérité. »
Jusque-là, « difficile de faire moins ! »
Et de poursuivre : « Qui sait que le Pont de l’Âne était le lieu de départ de cette aventure ? Aucune plaque, aucun titre, pas de trace, rien qui peut laisser à penser qu’une grande histoire industrielle de notre pays a commencé ici. Lorsqu’on peut suivre au bas du quartier du Soleil la voie verte, bien empruntée par les promeneurs et les coureurs de trail, un seul panneau permet de savoir qu’ici passait la première voie de chemin de fer, on peut dire que c’est un minimum, difficile de faire moins ! Une plaque récente, la précédente avait disparue lors de la réfection des locaux du Crédit Agricole, indique maintenant aux passants qu’ici était la première gare de voyageurs. Le pont du Bois Monzil a résisté, mais il est sur une propriété privée, donc peu accessible aux curieux d’histoire. Enfin je l’ai dit, il reste à Andrézieux ; les emplacements des magasins distributeurs de charbon vers les Rambertes, le pont bien conservé qui permettait leur liaison et une partie moderne : un parcours-spectacle de l’Aventure du train. »
En 2024, l’identification territoriale s’arrête donc à cette liste et donc, L’Aventure du rail. En 1927, images à l’appui, « le 100e anniversaire avait été marqué par de grandes fêtes, constate G. Goubier. Nous avons des propositions en la matière pour 2027, mais cette fête sera doublée, nous le désirons, par des marques indélébiles et pérennes de cette grande histoire et, soyons ambitieux pourquoi ne pas doter notre chef-lieu de la Loire par la réalisation d’un musée du Train. » Le cadre posé, des projets d’animations et des festivités, encore au stade des idées, ont été listés pour juin 2027. Effectivement, ça ne manque pas d’ambitions. D’abord du classique : un « village ferroviaire » exposant « maquettes, objets ferroviaires de collection, des livres sur le thème », diffusant « des films sur le monde ferroviaire », accompagnés de « conférences à thème ferroviaire, ainsi que les excursions possibles en train ». Village couplé avec un projet d’une course à savon thématique pour séduire et impliquer la la jeunesse. Et aussi avec l’espoir de « trains spéciaux », c’est-à-dire anciens et dotés de locomotives à vapeur grâce aux associations régionales en possédant, en espérant des voyages symboliques Châteaucreux / Andrézieux. Et aussi direction Lyon via, là un train « spécial restaurant avec le concours des grands chefs locaux « comme en 1927 » ».
Donner au rendez-vous une ampleur nationale
Car célébrer 1827 et cette première ligne alors hippomobile et d’abord destiné au transport du charbon stéphanois jusqu’au bord de Loire (lire ci-dessous), c’est aussi célébrer pour l’Eclisse l’enchaînement qui a suivi : l’ouverture des 55 km Saint-Etienne / Lyon en 1832 puis Andrézieux / Le Coteau en 1833. Les réseaux distincts et communs de ces associations permettent d’envisager la présence du matériel (comme la « venue de la reproduction à taille réelle de la locomotive Marc Seguin (ARPPI) »), ou de reproductions (« réalisation par les écoles d’ingénieurs (Ecole des Mines, Enise) de Saint-Etienne d’une ou deux reproductions à moteur électrique avec générateur de fumée ») mais il faudra compter là aussi sur la bonne volonté et/ou la capacité des établissements cités ainsi que de la SNCF à collaborer au projet. Idem côté médias, quand l’Eclisse annonce vouloir solliciter France Télévisions pour l’idée d’un épisode Des Trains pas comme les autres, ou encore La Carte au Trésor.
Ambitions d’une visibilité nationale complétées par la proposition « d’un timbre postal sur le bicentenaire par La Poste, fabrication d’une médaille commémorative par la Monnaie de Paris, ainsi qu’une pièce de 2 € ». Il sera sans doute plus aisé de mettre en place une exposition de modélisme ferroviaire « d’envergure » en croisant les savoir-faire de deux des sept associations adhérentes – Model-rail et les Amis du Rail du Forez – dans des écrins comme « le Parc Expo ou le Musée de la Mine, sinon la salle omnisport ou encore le Palais des spectacles ». On peut aussi estimer plus aisée à obtenir – ce qui ne veut sûrement pas dire acquise ! – une collaboration avec le Musée de la Stas et que Transdev accorde un « pelliculage » à l’effigie de ce bicentenaire sur un tram. Et après ? L’initiative doit déboucher sur de la pérennité, clame Eclisse qui en appelle à une logique combinant mémoire et attractivité. Celle de l’image, voire touristique. En créant un chemin de randonnée thématique consistant à valoriser « la partie dénommée « voie verte » qui traverse le quartier du Soleil depuis le Pont de l’Âne jusqu’au stade Geoffroy Guichard », « là où tout a commencé ».
L’ambition d’une pérennité marquée
« Afin de caractériser cette voie verte, nous suggérons de la nommer « Voie Beaunier» en rappel de l’ordonnance du 26 février 1823 qui concède perpétuellement la première ligne de chemin de fer d’Europe continentale à la compagnie fondée par Louis Antoine Beaunier à la suite de sa demande déposée le 5 mai 1821. » Pour rendre cette promenade« interactive », sur des nouveaux panneaux patrimoniaux, « des flash codes reliés à des descriptions plus poussées peuvent être présents. De même, les applications de randonnée sont un relais à utiliser. L’association L’Eclisse est à-même de réaliser les bases de données de ces descriptions. » Dans le même temps, « une expérience sous la forme d’escape game et jeu de piste peut être créée à l’aide d’entreprises locales expertes dans ce domaine. »
Dans l’idée de marquer le paysage encore, la suggestion d’un rond-point commémoratif à l’entrée de Saint-Etienne ou encore d’un de ces fameux panneaux touristiques le long de l’A72. Pas sûr que les gardiens des finances publiques apprécient mais ces idées-là restent relativement peu coûteuses. Moins, en tout cas, que la proposition de carrément lancer un « Musée du chemin de fer stéphanois », prenant place « au Soleil au Clapier ou en extension du musée de la Mine », certes confié à une « gestion associative ». Il y a, enfin, carrément l’ambition de susciter la création avec cet événement d’un « Ferroviland », décrit comme « un parc d’attractions à la manière du Jardin d’Acclimatation de Neuilly-Sur-Seine. A la fois parc décoratif et parc avec manèges, ce projet ambitieux a pour thèmes : La Mine et le Train ». Là, c’est sans doute à un investisseur privé qu’il faudra faire appel et encore une fois, le site L’Aventure du train existe pourtant déjà. Bien sûr, cet ensemble n’est, à ce stade, encore qu’un catalogue d’idées qui ne pourront pas toutes aboutir. Reste que ces aventuriers du rail sont bien déterminés à ne pas laisser passer le train.
Un fait historique local d’ampleur européenne
La présentation de L’Eclisse était l’occasion de rappeler ce moment d’Histoire industrielle d’ordre continental qui s’est joué à Saint-Etienne au début de la Restauration, sous Louis XVIII (1814 ; 1815/1824) puis Charles X (1824 / 1830). Voici sa synthèse :
« A cette époque le charbon est acheminé depuis les nombreux puits de mines (on en comptait 144 sur le secteur stéphanois), par des tombereaux, chariots, et autres carrioles en bois tirées par des chevaux ou des bœufs. Tout cela était bien désuet avec des chemins pas toujours carrossables pour aller jusqu’à Saint-Just sur Loire. C’est alors que trois jeunes ingénieurs issus de l’Ecole des mines de Paris, Pierre Moisson-Desroches, Louis Antoine Beaunier et Louis-Georges-Gabriel de Gallois-Lachapelle, pionniers, visionnaires et inventeurs, se rendirent en Angleterre, plus avancée techniquement que la France pour y découvrir les réalisations ferroviaires en œuvre dans ce pays. En effet, Georges Stéphenson a inventé la première locomotive à vapeur en 1817.
Beaunier reviendra à Saint-Etienne, il créera l’Ecole des mineurs dont il sera le premier directeur. Il sera rejoint par ses deux autres camarades. Il crée en outre, en 1817, l’Aciérie de la Bérardière, ainsi c’est Beaunier qui aura promu la fabrication de l’acier fondu indissociable du rail. Après un second voyage en Angleterre en compagnie de Gallois, à leur retour le 5 mai 1821 (jour de la mort de Napoléon à Sainte Hélène) ils vont faire une demande de concession pour la réalisation d’un chemin de fer à Saint-Etienne auprès du roi Louis XVIII. Décision fut prise au château des Tuileries à Paris le 26 février 1823 par une Ordonnance en faveur d’une première voie de chemin de fer. Cette voie ferrée qui devait être construite en cinq années allait partir du Pont de l’Âne, passer par la route royale de la Montat et traverser plusieurs puits de mine, contourner la commune d’Outre-Furan (quartier du Soleil aujourd’hui), le Marais, puis suivre le cours du Furan, pour aboutir à Andrézieux.
On peut voir actuellement le pont du Bois Monzil sur la commune de Villars et le site des « magasins » à Andrézieux qui servaient de dépôts de charbon. Charbon qui sera ensuite chargé sur les Rambertes construites à Saint-Rambert et sera acheminé non sans risques sur la Loire vers Roanne. Cette première voie ferrée, la seule réalisée sur le continent Européen fut officialisée le 30 juin 1827. » Il faudra attendre 1838 pour que des voyageurs puissent être embarqués direction Andrézieux. Et 1844 pour que des locomotives à vapeur remplacent ici les chevaux.