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dimanche 26 janvier 2025
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CH du Forez : « Si on continue à faire l’autruche, il n’y aura plus d’hôpital »

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©JT If Saint-Etienne

Fusion ratée, absence de projet médical, dette… dans un rapport publié le 12 juillet, la Chambre régionale des comptes ne se montre pas tendre vis-à-vis du Centre hospitalier du Forez. Une publication qui intervient alors qu’un audit RH lancé par la direction, et dont les premières conclusions ont été communiquées fin juin, pointe 184 mesures pour réaliser 20 millions d’économies. Sur le terrain, syndicats et usagers se montrent inquiets et réclament davantage de transparence.

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Un hôpital en état d’urgence. C’est ce qu’il ressort du rapport publié par la Chambre régionale des comptes* le 12 juillet dernier, ainsi que des premières conclusions de l’audit RH lancé par la direction du Centre hospitalier du Forez. C’est le seul point sur lequel syndicats, usagers et direction semble être d’accord. Pour le reste, c’est nettement plus complexe avec un dialogue quasiment rompu sur le terrain. Les difficultés du CH du Forez ne datent pourtant pas d’hier. Fusionnés en 2013, les centres hospitaliers de Feurs et Montbrison devaient par ce biais améliorer l’offre de soin du territoire. En réalité, le mariage forcé n’a jamais vraiment pris…

Noces coton

« Il est clair que la fusion a été ratée. Ces hôpitaux n’avaient pas vocation à être rapprochés, il y a des rivalités territoriales très fortes, souligne Hervé Perret, représentant CGT du CH du Forez. A cause de cela, le centre hospitalier du Forez n’existe pas vraiment, et j’en veux beaucoup aux politiques pour cette raison. Pour faire passer la pilule, Jean-Pierre Taite nous disait à l’époque « on gardera tous les services, les établissements seront complémentaires ». Bien sûr, c’était faux et petit à petit, des services ont été fermés, comme la chirurgie à Feurs. Quant au GHT de la Loire, il n’est pas forcément d’une grande aide sur ce point ». Une rivalité territoriale en interne chez les soignants, mais aussi chez les patients. Le syndicaliste explique que certains préfèrent ainsi se faire soigner à Saint-Etienne, plutôt que d’aller à Montbrison… Par ailleurs, le rapport de la Chambre régionale des comptes pointe « la persistance d’une culture professionnelle propre à chaque site et d’une résistance à s’intégrer dans le nouvel ensemble. Cela s’est traduit par le refus de la mutualisation de la biologie, une conflictualité forte interne à la communauté médicale clivée dans une logique de site, et le refus de mutations des paramédicaux entre sites, certains préférant quitter l’établissement ». Ambiance.

Stopper l’hémorragie

Le déficit reste multifactoriel. Pour Hervé Perret, il est avant tout dû à une succession de choix ahurissants. Le dernier écueil en date est certainement la fermeture des urgences de Feurs en avril 2023. « La loi Rist a entraîné le départ de plusieurs médecins et donc la décision brutale de fermer les urgences de Feurs, explique Hervé Perret. La vérité, c’est que la direction du CHU considère que les urgences de Feurs ne rouvriront jamais, et que celles de Montbrison sont inutiles ». Autre point, le turn-over important à la tête du Centre hospitalier depuis la fusion, avec pour conséquence l’absence de projet médical. « Nous avons eu cinq, ou six directeurs en moins de dix ans, rapporte Christophe Bazile, maire de Montbrison et président du conseil de surveillance du CHF. Cela n’a pas permis de mettre en place le moindre projet concernant les ressources humaines, de projet bâtimentaire, ni d’établissement. A cela s’est ajouté le Covid, et un déficit accumulé au point d’en arriver là aujourd’hui ». « Là », c’est à un point tel que la direction n’a maintenant d’autre choix que de stopper l’hémorragie au niveau des finances, sous peine de se le voir imposer par l’Agence régionale de santé d’Auvergne Rhône-Alpes.

Photo d’illustration.

Diagnostic

C’est pourquoi la direction a décidé il y a plusieurs mois, de lancer un audit RH, pour identifier les leviers d’action. « Le début de nos problématiques c’est un accroissement du déséquilibre financier entre dépenses et recettes. Le principe, c’était donc de faire un audit sur les ressources humaines, les éléments de crispation viennent de ça, détaille Hervé Perret. Ça fait un an et demi qu’on nous en parle, qu’on nous a dit que tant que cet audit ne sera pas fait, toutes les dépenses seront gelées, qu’il n’y aurait aucune titularisation ». Les syndicats ont récemment appris que des conclusions intermédiaires de cet audit avaient été remises à la direction. Sans surprise, cela a suscité de nombreuses rumeurs sur des éventuelles surpressions de RTT, des postes, etc. C’est pourquoi un rendez-vous a été sollicité auprès de la direction et en présence du cabinet d’audit afin d’en soir davantage, rendez-vous qui a eu lieu le 17 juin dernier. « On nous a présenté des conclusions qui n’en sont qu’à moitié, regrette le représentant syndical. Au total, 184 mesures, qui devraient permettre de réaliser une économie de 20 millions d’euros. Mais c’est un peu comme si on payait 150 euros pour aller au restaurant, qu’on demandait le menu, et qu’en guise de réponse on nous explique qu’il y aura une entrée, un plat et un dessert. On ne sait pas ce que l’on va manger ».

Quel traitement ?

Ces préconisations du cabinet d’audit, If Saint-Etienne a pu les consulter. Parmi les priorités identifiées, on note « renforcer le pilotage des temps de travail et corriger d’éventuelles dérives, notamment en matière d’heures supplémentaires et de décompte des activités », ou encore l’identification de dix thèmes d’actions comme la réorganisation des pools, la réduction de l’absentéisme et du recours à l’intérim, la réorganisation ou mutualisation des tâches, ou encore la révision du guide de gestion du temps de travail. Pas assez précis pour les syndicats. « Bien sûr, nous n’avons pas vocation à faire de la chirurgie cardiaque, concède le représentant de la CGT. Mais faire une coupe budgétaire juste pour rééquilibrer les comptes, c’est une vue de l’esprit. Nous avons insisté pour savoir combien de postes allaient être supprimés, sans réponse. Il faut être lucide, on ne pourra pas rester au statu quo ». Christophe Bazile réfute ces accusations de manque de transparence. « On présente un audit, pas les dispositions qui seront prises. Aujourd’hui nous en sommes là. Il y a 184 propositions. On les suit ou pas ? Avec quel calendrier ? Est-ce supportable de les mettre en place ? C’est tout cela dont il faut parler. Si on continue à faire l’autruche, il n’y aura plus d’hôpital. Pour les éventuels postes supprimés, le directeur ne peut pas répondre car il ne sait pas combien, ni lesquels ».

Pour nous, les suppressions de postes, voire de services, sont inéluctables.

Anton Marnat, qui représente le collectif des usagers du Centre hospitalier du Forez.

Réanimer

De son côté, la chambre régionale des comptes identifie neuf recommandations pour améliorer la situation du CHF : mutualiser les activités développées sur les deux sites, établir une charte de gouvernance au sein de la commission médicale d’établissement, finaliser le projet d’établissement sans délai, compléter le CPOM 2021-2024 (Contrat pluriannuel d’objectif et de moyens conclu avec l’ARS) par voie d’avenant pour en fixer les objectifs et les indicateurs, établir les contrats de pôle pour en préciser les objectifs et les moyens, déterminer des effectifs cible pour chaque service afin de piloter finement l’évolution de la masse salariale, faire une application effective de la journée de solidarité et se conformer aux dispositions relatives à l’octroi des jours de fractionnement, et enfin respecter les conditions de recours aux contrats de motif 2 qui permettent à des hôpitaux de recruter des médecins pour de courtes durées (trois ans maximum) à de hauts salaires. Pour Christophe Bazile, le constat est simple : il faut soit une hausse de l’activité, soit une baisse des dépenses.

La pilule difficile à avaler

Et côté usagers, l’inquiétude grandit. « On nous dit qu’il faut faire 20 millions d’euros d’économies, et on ne sait pas tout ce qu’il se passe en interne, indique Anton Marnat, qui représente le collectif des usagers du Centre hospitalier du Forez. On parle de fermer le Smur cet été. Ça nous pose problème, car nous sommes un bassin de 200 000 habitants et cela pourrait déstabiliser les urgences de Montbrison. Pour nous, les suppressions de postes, voire de services, sont inéluctables. Le rapport de la Chambre régional des comptes le dit, il n’y a pas eu de projet médical et on s’étonne que l’ARS ne suive plus. C’est comme si vous allez demander à la banque de vous prêter de l’argent. Si vous y allez avec un projet, on vous prêtera plus volontiers. Là, il n’y a pas de projet médical depuis 2018, et pas de projet bâtimentaire depuis 2013 ». Il va jusqu’à se questionner sur la réelle volonté de maintenir le CHF. Pour Christophe Bazile, cela ne passera que par le dialogue. Or, les relations se tendent avec les représentants syndicaux qui ont décidé de ne plus siéger au CSE (Comité social d’établissement), estimant que leur rôle n’était plus que consultatif et en attendant d’avoir davantage d’éléments concrets sur l’avenir. Par ailleurs, deux mobilisations ont déjà eu lieu les 27 juin et 11 juillet. Et ils ne comptent pas s’en arrêter là…

Il faut opérer une restructuration interne et entamer les discussions dès septembre, on ne peut pas continuer avec ce déficit.

Christophe Bazile, maire de Montbrison et président du conseil de surveillance du CHF.

Mobilisations à venir

« On aimerait bien interpeller la direction et les acteurs politiques du territoire sur le sujet, ajoute Anton Marnat. On veut rester positif, car il y a un super personnel sur place. Mais au vu des conditions de travail, du management, on se pose des questions. On veut faire un appel aux gens pour qu’ils se mobilisent, il va y avoir des rassemblements à la rentrée ». Le président du conseil de surveillance regrette la décision des syndicats de ne plus siéger au CSE, estimant qu’il faut désormais plus que jamais travailler ensemble. « Aujourd’hui, on a l’impression que le seul but des syndicats est de faire virer le directeur. Il faut que tout le monde se mette autour d’une table et cesse de jouer à la politique de la chaise vide. Il faut opérer une restructuration interne et entamer les discussions dès septembre, on ne peut pas continuer avec ce déficit. Pour ça, il faut déterminer les effectifs cible par activité, un travail qui n’a jamais été fait depuis dix ans, et se questionner sur la durée de temps de travail. Il y a eu des habitudes de prises avec des journées de congés posées illégalement. Il faut un projet médical, bâtimentaire et ajuster les effectifs à ce projet ». Urgence donc, pour éviter l’incendie de Forez.

*Le rapport porte sur les exercices 2018 et suivants.

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