France Travail : « Notre mobilisation est dans l’intérêt des usagers et contribuables »
Parmi les mobilisations syndicales nationales répliquées dans la Loire, jeudi 5 décembre, autour des métiers de la Fonction publique, celle spécifique à France Travail. Face au projet de suppression de 500 postes à l’échelle du pays, une intersyndicale locale FSU / FO / CGT / SUD Solidaires / UNSA / SNAP appelle à faire grève et manifester devant la direction territoriale France Travail de Saint-Etienne. Elle dénonce, parallèlement, une externalisation croissante jugée plus coûteuse et moins efficace, pile à l’heure d’intégrer le suivi d’une grande partie d’allocataires du RSA.
A la lecture de cet article publié le 20 novembre par Les Echos, en réalité basé sur une dépêche AFP, on comprend mieux. Contactée en fin de semaine passée, la direction de France Travail Auvergne-Rhône-Alpes n’a pas donné suite à notre demande d’échanges sur le sujet pour connaître son point de vue sur l’évolution des effectifs et des moyens à France Travail. Elle nous indiquait simplement par un courriel poli que « notre Directeur Général s’est déjà exprimé sur le sujet à l’AJIS (Association des Journalistes de l’Information Sociale, Ndlr) le 20 novembre. Aucun nouvel élément ne sera communiqué à ce stade ». Et pour cause (très probable), le DG national en question, Thibaut Guilluy, aurait tenu des propos auprès de l’AJIS allant… franchement dans le sens des syndicats, estimant « « discutable » le projet de suppression de 500 postes » France Travail dans un contexte où « l’opérateur doit accueillir à partir du 1er janvier des bénéficiaires du RSA sur tout le territoire ».
Il a rappelé que France Travail avait engagé « un « plan d’efficience » visant à faire 2 900 équivalents temps plein d’économies d’ici 2027 ». Mais pour lui, ces économies « sont faites pour être redéployées sur les nouvelles missions de France Travail, dont l’accompagnement des bénéficiaires du RSA ». Soit l’accompagnement du retour à l’emploi d’une grande partie des allocataires du RSA, ceux considérés par l’administration comme aptes à rejoindre relativement vite le marché du travail, jusque-là tous sous la main des conseils départementaux (la gestion du RSA, allocations et retour à l’emploi, est déléguée par l’Etat aux Départements depuis environ 15 ans). Selon le projet de la loi de finances, « les moyens financiers de France Travail n’augmentent pas en 2025 par rapport à 2024 pour faire tout ça en plus », constate Thibaut Guilluy. « Il y a une mesure que je trouve honnêtement discutable », « c’est de jouer sur les ETP », a-t-il souligné, ajoutant être défavorable aux externalisations.
« 15 000 allocataires du RSA à gérer en plus »
C’est en tout cas un non-renouvellement de 500 CDD – ils étaient 6 256 exactement fin 2023 sur 55 000 postes à France Travail – qui a été imposé par le Gouvernement pour 2025. « Ces employés sont pour la plupart affectés, comme des CDI, à l’accueil physique du public dans les agences, l’aide sur place à l’utilisation des outils numériques et à la gestion d’un « portefeuille » de demandeurs d’emploi mais très rarement sur le calcul des droits et le suivi d’allocations, nous explique Olivier Béal, membre de la section syndicale FSU Emploi Loire. Des CDD chez nous, il y en a toujours eu, c’était déjà le cas avec Pôle Emploi (ex-appellation de France Travail, Ndlr), ce n’est pas quelque chose de récent mais on n’était pas au-delà de 5 % jusqu’en 2021 lorsque la convention collective a été modifiée avec l’accord des syndicats pour le permettre. » Il s’agissait alors de répondre au tsunami Covid. Avec la pandémie, le nombre de CDD est logiquement monté au plus haut en 2021 (plus de 7 800 selon le syndicat, Ndlr) avant de redescendre en 2023, une partie d’entre eux passant d’ailleurs en CDI pour remplacer des départs à la retraite.
Reste que de nos jours, « le portefeuille moyen en France d’un conseiller en CDI ou en CDD, c’est 250 personnes si on excepte cette partie de nos effectifs affectée aux demandeurs les plus éloignés de l’emploi qui en ont en moyenne une soixantaine. Dans la Loire, à ce stade, nous évaluons notre perte d’effectif entre 5 et 10 CDD. Ce n’est sûrement pas le moment de répartir leurs 200 à 300 demandeurs sur les autres en raison des plans sociaux qui se multiplient et vont se poursuivre, d’autant plus dans la Loire avec Casino. Sans oublier l’état du commerce en général !, pointe Olivier Béal. Alors, si en plus, nous devons répartir 15 000 allocataires du RSA… C’est l’estimation du nombre de personnes qui devraient nous être adressé dans la Loire. Et nous ne savons pas si cela prend compte ou non les conjoints / conjointes dépendantes ! » Inconnue parmi d’autres comme les formes concrètes que doit prendre une amplification annoncée de l’externalisation.
+ 44,3 % de frais d’externalisation en 3 ans
« Je crois beaucoup plus à l’efficacité de nos conseillers pour pouvoir accompagner les bénéficiaires du RSA » ; « ça coûte deux fois plus cher d’externaliser l’accompagnement d’un bénéficiaire du RSA que de le faire porter par des travailleurs sociaux des départements et des conseils France Travail » : là, ce n’est pas Olivier Béal que nous citons mais à nouveau Thibaut Guilluy, du moins la retranscription selon l’AFP de ses propos. Mais nous aurions pu citer le syndicaliste à la place sur des propos très analogues. Cette externalisation existe elle aussi depuis longtemps. Par exemple, sur le traitement des déclarations d’activité mensuelles des inscrits confiée, entre autres, au site implanté à Métrotech du groupe Tessi. « Mais elle était encore marginale pour ce qui concerne l’accompagnement du retour à l’emploi, souligne Olivier Béal. L’idée est désormais d’aller plus loin dans ce domaine en 2025. A ce stade, on ne sait pas encore qui, si ce n’est une partie du public le moins éloigné de l’emploi, et comment cette externalisation va se concrétiser. Ni quelles garanties de qualité – y compris humainement – d’accompagnement cela va donner. »
Une externalisation dont le coût est évalué à 850 M€ à l’échelle nationale en 2025. La note n’a cessé de monter depuis 2022 (+44,3 %) selon les chiffres transmis par FSU : 589 M€ il y a 2 ans, 696 en 2023, 788 en 2024… Elle porte des « missions qui sont le cœur de métier de conseiller à l’emploi, la gestion des droits ou vis-à-vis des entreprises. Sur le démarchage de ces dernières, l’externalisation, déjà en partie déléguée à Intelcia dont l’un des centres d’appel dédié à cette activité est situé au Maroc, doit en effet aussi monter en puissance sans que l’on en sache tellement plus à ce stade. Avec 850 M€, sinon, France Travail pourrait recruter 14 000 équivalents temps plein pour assurer efficacement ses missions. Je suis ici depuis 1999. J’ai connu des externalisations avec Addeco par exemple : à mission exacte, ce qui était l’ANPE alors avait toujours de meilleurs résultats. » Que penserait une pseudo IA et son analyse a priori objective pour déterminer la meilleure des deux logiques ?
Avec 850 M€, sinon, France Travail pourrait recruter 14 000 équivalents temps plein pour assurer efficacement ses missions.
L’intelligence artificielle, aussi, doit jouer un rôle inédit dans la maison à partir d’avril 2025 avec un protocole d’orientation pour les nouvelles inscriptions, selon Olivier Béal et, là encore, sans avoir davantage d’informations en interne sur le prestataire, le cahier des charges, la réorganisation induite, etc. « Si on nous démontre que l’IA fait un meilleur travail et que cela permet à nous d’en faire, du coup, un meilleur sur les autres tâches avec plus de temps, tant mieux. Mais cette démonstration on ne l’a pas ! Ce qu’on sait, c’est que nous faisons mieux en interne avec moins de dépenses publiques. » Vraiment, insiste le syndicaliste de la FSU, « on pourrait mettre en avant nos salaires, notre perte de pouvoir d’achat vis-à-vis d’une non-indexation sur l’inflation, mais par rapport à cette mobilisation, cette grève, ce n’est pas que notre seul intérêt qui est en jeu, c’est d’abord celui des usagers et des contribuables, sur l’utilisation de leur argent. » Ce jeudi 5 décembre, un rassemblement est prévu devant la direction territoriale France Travail, à Saint-Etienne le matin à l’ouverture (8 h 30) rue des Aciéries.