Saint-Étienne
samedi 18 janvier 2025
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Inondations : qui veut prioriser des (centaines de) millions ?

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200, 300 M€, 400 M€, davantage encore ? Combien pour réduire à terme et significativement le risque montant et plus imprévisible des inondations sur Saint-Etienne Métropole ? Dans le bassin du Gier certes mais aussi ailleurs. La collectivité défend le bénéfice de sa politique préventive menée à coup de dizaines et dizaines de millions d’euros investis depuis une vingtaine d’années aux côtés de co-financeurs que sont l’Etat, les Agences de l’eau, les Villes, la Région ou encore le Département. Certaines voix la trouvent toutefois trop timorée, voire inadaptée. Le projet de découvrir et élargir la rivière dans le centre-ville de Rive-de-Gier est lui bel et bien initié. Des travaux aussi colossaux qu’inédits, pour un coût, a minima, de 150 à 200 M€. Quoi qu’il en soit, si on veut faire mieux, il faudra plus chèrement payer encore. Et donc renoncer à d’autres factures…

Un rôle de « stockage » joué jusqu’au bout. Ce mardi 10 décembre 2024, une modeste partie des espaces « libérés » par l’effacement de la friche Duralex a le sol encore occupé, côté ouest, par deux petites collines de débris, stigmates des inondations du 17 octobre à Rive-de-Gier. Étalées face au Gamm Vert, tout en longueur en bordure de l’avenue Maréchal-Juin, comme s’étale l’ensemble de ces 6,5 ha – dont 4,5 ha d’espaces verts – du quartier du Couzon le long du Gier sur plus de 700 m. Lieux réaccordés depuis peu aux caprices du cours d’eau : ils ne l’avaient pas été depuis des siècles. Sur cette étendue en aval immédiat du centre-ville, le Gier a depuis quelques mois entre 30 et 50 m pour s’étaler en cas de besoin grâce à des berges élargies et une canalisation du Gier confinée éliminée. Plus long que large, elle sert d’abord à cela. Elle a servi juste à temps.

Vue sur la partie ouest des aménagements d’étalement du Gier, dans le secteur du Couzon en lieu et place de Duralex. ©If Média / Xavier Alix

Vincent Bony, comme le vice-président de Saint-Etienne Métropole Julien Luya en charge des milieux aquatiques le soulignent et le répètent chacun de leur côté : à quelques pas des ravages subis par le centre-ville de Rive-de-Gier, « l’aménagement a parfaitement joué son rôle ». Les environs immédiats, inondés comme ailleurs en 2008, lors du précédent épisode majeur réputé de moindre intensité en attendant des confirmations nettement chiffrées, sont restés secs. Au débouché du Couzon dans le Gier, le fait de « sécuriser » ce dernier aura coûté la bagatelle de 11 M€, essentiellement financés par l’Etat et l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée et à 20 % par Saint-Etienne Métropole. Mais l’ensemble de l’opération, soit, aussi, effacer du paysage la verrerie Duralex fermée depuis bientôt 18, ans ainsi que les futurs aménagements – la partie désignée comme du coup non exposée au risque, au bord de l’avenue, côté nord doit accueillir quelques logements et commerces – devrait présenter une note autour de 50 M€…

Des dizaines de millions investis en 8 ans par Métropole

C’est sans doute le cas concret le plus spectaculaire de la politique menée depuis environ une vingtaine d’années par Saint-Etienne Métropole au fur et à mesure de deux autres montées. Celle du risque encouru et celle de ses compétences officielles en la matière. A la prise en main dans les années 1990 d’une restauration paysagère et écologique progressive du trio Ondaine, Furan et Gier, via leurs contrats rivières respectifs, s’est progressivement ajoutée celle de la sécurisation anti-inondations. Si les services de Métropole revendiquent d’avoir intégré ce paramètre, certes dans une moindre mesure qu’actuellement, mais dès les premiers contrats rivières, elle a de nos jours pris une forme indépendante siglée « Papi », Programme d’actions de prévention des inondations pour chacun des trois cours d’eau. Celui propre au Gier en est justement à l’élaboration de sa seconde version, 2026 / 2031, toujours en partenariat avec le Syndicat intercommunal du Gier Rhodanien (SYGR), pour la seconde partie de la rivière, côté Rhône, le département.

L’aménagement du Couzon, opérationnelle depuis quelques mois s’étend jusqu’à Industeel à l’est. ©If Média / Xavier Alix

La veille du dernier déluge, le mercredi 16 octobre, se tenait justement une réunion publique à Givors sur ce nouveau programme. Le précédent – 2017 / 2024 – a donné lieu à près d’une quarantaine d’aménagements et d’actions pour un budget global de 38,5 M€. Pas seulement de la poche de Métropole et du SYGR : Etat, Agence de l’eau, Région et Départements ont aussi, plus ou moins largement, contribué. Renforcée depuis quelques années par la compétence Gemapi (transférée par l’Etat qui jusque-là « déléguait » à Métropole la même tâche) et sa fiscalité locale, la politique métropolitaine de lutte contre les inondations menée aux côtés de ses partenaires sur ses trois rivières présentant le plus d’enjeux directs – Ondaine, Furan et Gier – a coûté tous financeurs confondus 43 M€ depuis 2020 contre 21 M€ lors du précédent mandat (2016 – 2020), rappelait le 10 décembre Julien Luya lors d’une visite presse à Rive-de-Gier consacrée à ces investissements. Objectif appuyé par l’exemple sous les yeux de l’ex friche Duralex : défendre le bilan du bienfondé d’une politique – jugé inefficace, sinon trop timorée par des voix critiques – « au milieu du gué », de « longue, difficile » mais qu’il convient de « poursuivre ».

« Des engagements encore bien trop timides »

Se sont ajoutés encore d’autres millions, ceux des deux décennies précédentes, en particulier les aménagements ayant suivis l’épisode douloureux de 2008 et ses enseignements. A Rive-de-Gier – avec, en exemple emblématique, la démolition du pont de la verrerie en 2010 – comme en amont jusqu’à Saint-Chamond. A l’instar de la zone du Couzon à Rive-de-Gier, la logique de redonner au Gier le droit de s’étaler sans impacter a payé, clame Métropole qui évoque en exemples symptomatiques vis-à-vis d’octobre 2024, les travaux relativement récents allant dans ce sens, ne serait-ce que pour le Gier : à la Platière, à Grand-Croix (2019) ; au Creux sur le Gier (2018-2019) ou encore au niveau de Grand-Croix à l’occasion du chantier d’amélioration de la sortie de l’A47. Ceux aussi autour de Langonand et du Janon, affluents du Gier qu’ils rejoignent à l’ouest de Saint-Chamond. Bien d’autres sont prévus pour continuer à élargir des berges, rénover, détruire, prévenir, par le PAPI 2025-2031, dans le Gier comme ailleurs.

Il faut s’emparer de ces outils pour anticiper avec les moyens financiers adéquats. Soit on anticipe les conséquences du changement climatique, soit on les subit.

Jean Duverger, élu vert au conseil communautaire du 5 décembre

Suffisant ? Aux yeux d’élus écologistes, les nouveaux sigles et les montants allant avec « recouvrent des engagements encore bien trop timides pour contrer la brutalité et l’importance des phénomènes climatiques à l’œuvre ». « Il faut s’emparer de ces outils pour anticiper avec les moyens financiers adéquats. Il va falloir arbitrer en tirant les leçons des coûts énormes des dévastations constatées. Soit on anticipe les conséquences du changement climatique, soit on les subit », développait Jean Duverger, estimant les revenus de la taxe Gemapi – quelques millions d’euros par an – bien maigres. Fiscalité à augmenter donc ? C’était le 5 décembre lors de la dernière assemblée 2024 de Saint-Etienne Métropole à l’occasion du vote d’une enveloppe exceptionnelle de solidarité attribuées aux communes les plus touchées de son territoire. « Nous sommes aujourd’hui dans un contexte nouveau : les crues qualifiées de décennales, quinquennales ou même centennales ne sont plus de mise. La répétition des phénomènes est plus rapide et plus violente. 2008, 2024, l’écart est de seulement 16 années… Et au-delà d’une fréquence plus rapprochée, c’est l’aggravation exponentielle de la crue qu’il faut souligner. »

Qui est prêt à renoncer à quoi ?

Dans un contexte où Saint-Etienne Métropole réinterroge ses projets d’investissements, les élus d’opposition stéphanois et quelques maires d’autres communes manquent rarement l’occasion de souligner lors de la tenue des assemblées publiques qu’il s’agit d’une des urgences climatiques à relever mais aux actes déjà manqués dans le cadre du doublement des investissements de l’intercommunalité (passés, en cumulé, de 400 en 2016/20 à au moins 800 M€ sur 2021/26). Mais à quelles autres « priorités » puisque tout finit par être présenté comme tel, faut-il renoncer ? Sans doute bien plus qu’à une seule patinoire à 30 M€ au regard des sommes déjà engagées contre les inondations depuis bientôt deux décennies… Quelle liste candidate aux Municipales 2026 ira annoncer aux votants qu’il ne faut pas s’attendre à grand-chose en termes d’investissements publics de la part de la Métropole et de sa commune, là de cadre de vie, là sportif, là social, là économique, là culturel, là contre la délinquance, là sur la mobilité, parce que l’essentiel des efforts financiers doit être orienté sur la lutte anti-inondations ?

Rive-de-Gier ne peut plus nettoyer / réparer / se faire rembourser tous les 10 à 15 ans. Ici, dans une de ses rues le 18 octobre dernier. ©CD

Qui est prêt à renoncer à quoi au regard d’un autre intérêt légitime (ou pas selon les avis), aussi bien du point de vue d’un administré que d’un élu ou d’un candidat aspirant à l’être ? Le 17 octobre dernier, la remontée septentrionale de l’épisode cévenol a transformé des affluents du Gier comme le Couzon donc mais aussi le Dorlay en brusques torrents dévastateurs pour nombre de maisons, fermes et hameaux situés en bordure sur les coteaux nord du Pilat (le sud n’a bien sûr pas été en reste). Des habitants dont certains au bord de ces affluents ont perdu leur logement ou mettront du temps à s’en remettre avaient exprimé leur désarroi, voire des sentiments d’abandon : pas de travaux, pas assez d’entretien / nettoyage des cours d’eau, estimaient-ils. Interrogés peu de temps après, les services métropolitains nous rétorquaient faire ce qu’ils pouvaient, la dizaine d’agents spécifiquement attachés à la gestion des rivières marquant leur présence sur le terrain « chaque jour ». Ils ajoutaient aussi, que l’engagement par convention de riverains exposés, à nettoyer (à la manière du déneigement théorique devant sa porte ou son portaul) était loin d’être toujours respecté malgré les courriers officiels réguliers de rappel.

Le défi titanesque de Rive-de-Gier

Peut-être que le nombre d’agents affectés à la gestion des rivières est insuffisant ? Mais là, à moins de reclassements internes significatifs, si cela est possible, ce sont les charges donc les dépenses de fonctionnement de la collectivité qu’il faudrait forcément alourdir. Côté financements extérieurs, quelques logements sur le territoire métropolitain – une dizaine tout au plus sur 700 opérations à l’échelle nationale de 2009 à 2020 – ont bien pu être rachetés / financés depuis une quinzaine d’années via le fonds Barnier. Mais le mode de financement (fonctionnement sur les contrats d’assurances, donc pesant sur les assureurs) et ses réalités d’application pour les bénéficiaires sont l’objet de critiques. Au-delà, l’annonce de voir son volume augmenter fin octobre par le feu gouvernement du même Michel Barnier, survivra-t-elle à l’instabilité gouvernementale ? En plein déconfiture des finances publiques, il faut aussi espérer que les co-financeurs de Métropole – l’Etat donc, les Agences de l’eau, voire se montrent – si tant est qu’ils le puissent encore et/ou le veulent – audacieux.

De l’audace, du temps et de l’argent, il va en falloir une sacrée dose pour mener à bien ce qui vient de se lancer vis-à-vis du cas spécifique de Rive-de-Gier. Le projet a été l’objet de deux comités de pilotage (Copil) en 2024 avec les services préfectoraux, la Dreal, Epora, la Métropole, l’Agence de l’eau… Avec, normalement des premiers appels d’offres sur des études lancées en ce premier semestre 2025. Techniquement, c’est un « GOU », grande opération d’urbanisme » impliquant l’Etat, qui s’initie pour environ… 30 ans. Objectif : découvrir le Gier en plein centre-ville sur un km de long et de 20 à 40 m de large de part et d’autre pour lui laisser le loisir de brusquement grossir sans impacts. Rallié à ce projet monstre, le maire Vincent Bony assure que « retenir la montée des eaux avant qu’elles ne dévalent sur Rive-de-Gier n’est pas possible, les études le montrent : pour une question de conserver l’accès à une eau potable, il faut laisser passer la crue, lui laisser la place nécessaire, comme au Couzon ». Vincent Bony ne veut pas perdre de temps à juger ce qui a été fait par « les anciens » : une couverture définitivement achevée dans les années 1980 : « La ville se créait, se développait et il était alors logique de recouvrir dans leur contexte. »

Découvrir ainsi une rivière est sans précédent

Dans celui de 2025, « c’est à nous de s’adapter à la nature et pas le contraire, clamait encore le 10 décembre Vincent Bony. Faisons de cela une opportunité mais nous ne pourrons pas le faire seul, notre ville et Métropole : l’Etat devra porter avec force le projet ». Premier hic : « découvrir une rivière comme ça, dans cette ampleur, ça n’a jamais été fait. Lors du premier Copil, le préfet a demandé à des techniciens de la Dreal de donner des précédents, la réponse a été qu’il n’y en avait pas ». Dans un échange entre If et le maire tenu quelques semaines auparavant sur ce sujet, celui-ci avait donné des détails sur les tenants et aboutissants connus à propos de ce projet en gestation dont l’étude de faisabilité a été voté par son conseil en novembre. Ses problématiques aussi : « Améliorer pour de bon la protection de la ville pour ne plus voir les habitants, commerçants et nos équipements publics sinistrés, réparer puis à nouveau commencer, oui, évidemment. Abandonner le centre de Rive-de-Gier, en revanche, non. » Ouvrir le Gier et le laisser de quoi s’étaler, revient en effet à repenser complètement le centre de la ville la plus encaissée de la vallée et peuplée de 15 000 habitants.

Améliorer pour de bon la protection de la ville. Abandonner le centre de Rive-de-Gier, en revanche, non.

Vincent Bony, maire de Rive-de-Gier.

Tout le long, des ponts devront être construits, des bâtiments devront être rasés, des propriétaires d’habitations et de commerces dédommagés et relogés ailleurs comme des services publics. Le moins loin possible, insiste le maire : « Pour cela, il y a des solutions : utiliser les friches industrielles ou commerciales situées suffisamment en hauteur et qui attendent leur reconversion. Je pense aux sites Carchi, Marrel, rue Emile-Zola etc. Plus que lever des problématiques des normes oui, il fait des moyens humains et financiers. » Pour ce qui est de la circulation automobile interne régulièrement lestée du délestage de l’A47 au moindre des fréquents blocages de l’indispensable axe à la liaison Saint-Etienne / Lyon, la solution de remplacement n’a rien d’évident… La couverture du Gier suit en effet grosso modo, la M88 (ex D88), la principale voie parcourant Rive-de-Gier d’ouest en est. Comment faire sans elle ou plutôt que faire à sa place pour assurer la mobilité des Ripagériens, de leurs visiteurs et des automobilistes déroutés de l’A47 ? Ce que pointe lui-même Vincent Bony, même s’il veut croire au fait de faire de faiblesses – désindustrialisation / exposition aux risques – une force pour l’avenir.

D’autres solutions ?

Au total, l’ensemble – découvrir le Gier et conséquences – représenterait donc, selon les estimations encore très grossières à ce stade et les plus optimistes, un minimum de 150 à 200 M€, probablement bien davantage. A comparer aux 43 M€ investis depuis 2020 contre les inondations sur l’ensemble de Saint-Etienne Métropole donc alors même que d’autres dizaines de millions sont actuellement investis sur la rénovation du centre-ville dans le cadre du Programme de Rénovation Urbain d’Intérêt Régional (PRIR) sur 10 ans… « N’oublions pas que l’Etat doit régulièrement et de plus en plus fréquemment renflouer les assurances en raison des catastrophes successives. C’est un à voir comme un investissement certes pas gagné d’avance », argue Vincent Bony. A l’échelle nationale, Rive-de-Gier risque de ne pas être la seule à se sentir légitime pour bénéficier d’un programme de grande ambition. Pour une association, comme l’Association de défense et de participation des riverains du Gier et de ses affluents (ADPRGA), l’idée est en tout cas irrationnelle.

Comme l’ont relaté nos confrères du Progrès en novembre, l’association qui bénéficie entre autres de l’expertise d’un ex-directeur des services techniques de Rive-de-Gier estime beaucoup plus pertinente la construction d’ouvrages de ralentissement dynamique (ORD) afin de « retenir les affluents sur l’ensemble de la vallée, améliorer l’écoulement du Gier sous la couverture avec la démolition de certains obstacles ». Mais aussi de « baisser les niveaux des quatre barrages de la vallée de 3 mètres à l’automne ». Solutions qui selon l’ADPRGA, auraient fait leurs preuves ailleurs (Nîmes et Paris sont citées), permettraient d’aller infiniment plus vite et « limiteraient » le coût à environ 100 M€. Déjà stratosphérique et pourtant indispensable…

* Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations.

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