Saint-Étienne
mercredi 18 septembre 2024
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Le CHU veut perfuser son attractivité via son projet d’établissement

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La direction du CHU de Saint-Etienne a présenté mi-décembre son projet d’établissement 2023/2027. Document d’orientation stratégique pour les 5 ans à venir qui aurait dû être réalisé plus tôt sans une pandémie mondiale. Le Covid a eu cependant le mérite de pousser cette définition des objectifs en direction de l’attractivité qu’il s’agisse du personnel ou des patients. Les représentants syndicaux de l’établissement se montrent sceptiques…

Le projet d’établissement vise à fixer les orientations stratégiques sur 5 ans ©NB/If Saint-Etienne

Covid ou pas, la loi de l’offre et de la demande garde la santé. Quand vous ne maîtrisez pas les salaires à la différence d’une concurrence privée qui s’en donne à cœur joie, comment lutter pour recruter ? « Bien sûr que nous ne sommes pas maîtres de ce paramètre essentiel, reconnaît Olivier Bossard, directeur général du CHU de Saint-Etienne. Mais nous avons quand même des leviers qui nous sont propres et que nous pouvons utiliser. C’est l’un des objectifs de ce projet d’établissement, qui a effectivement la particularité par rapport aux précédents de mettre en place des mesures visant à améliorer, avec tout ce que nous venons de connaître et connaissons, notre attractivité ». Une notion visant aussi bien à recruter le personnel, qu’à faire venir la patientèle, tient d’ailleurs à préciser le Pr Thierry Thomas, président de la Commission médicale d’établissement (CME).

Mise en avant, l’amélioration de l’attractivité n’est cependant pas le seul axe mais l’un des quatre du projet d’établissement 2023/2027 aux côtés de « l’affirmation du rôle », le « développement de la territorialité » et la « garantie de l’efficacité de l’établissement ». « Il s’agit de coucher sur le papier nos grandes ambitions, nos orientations stratégiques sur cinq ans puis de mener nos actions en fonction, synthétise Olivier Bossard. C’est le résultat d’un travail collégial mené depuis des mois qui a mobilisé une cinquantaine de personnes du conseil de la gouvernance, la Commission médicale d’établissement, travaillé avec le doyen de la Faculté de médecine. Un travail élargi aux membres du directoire et à de nombreux professionnels de l’établissement. Toutes les instances ont unanimement donné leur feu vert à l’exception du CTE (comité technique d’établissement, ex-CSE, composé par les syndicats) qui s’est abstenu. »

40 actions concrètes sur les cinq ans à venir

Pour Olivier Bossard, « on peut légitimement douter mais derrière, soit on ne fait rien, soit on agit. Dans le monde actuel, il faut un mouvement, une dynamique perpétuelle parce qu’il bouge autour de nous et sinon, on reste à quai ». Ce projet d’établissement n’est ni « un inventaire à la Prévert » de bonnes intentions, ni, assure le directeur, une énième maniaquerie technocratique quinquennale mais bien le guide suprême de tous les projets du CHU pour les cinq ans à venir. Il doit donner lieu à 40 actions concrètes, qu’il s’agisse d’organisation, de conditions de travail, de valeurs à respecter – jusqu’à réfléchir aux moyens de faire baisser la gigantesque masse de déchets, usage unique oblige – ou bien sûr d’offres médicales. « Affirmer le rôle » du CHU, c’est affirmer celui particulier « d’universitaire », et donc au-delà de soigner, former et mener des activités de R&D en collaboration toujours plus étroite avec la faculté de médecine.

On peut légitimement douter mais derrière, soit on ne fait rien, soit on agit.

Olivier Bossard, directeur général du CHU de Saint-Etienne.

Plus de territorialité, c’est aller encore plus loin que la logique de centre névralgique du GHT (groupement hospitalier) de la Loire : les liens du CHU de Saint-Etienne, y compris, pour revenir à l’affirmation du rôle, en R&D et formations, devraient s’approfondir avec les CH du Puy, de Valence et de Roanne mais aussi en direction des CHU de Grenoble et Clermont-Ferrand. Quant à « garantir l’efficacité », c’est en particulier « garantir l’équilibre financier ». A ce niveau, les dettes ont été en partie épongées par les 25 M€ du Ségur (s’ajoutent 50 M€ consacrés à l’investissement immobilier donnant lieu à de nouveaux bâtiments : psychiatrie à Nord, gériatrie à Bellevue). Restent 180 M€ de dettes, « montant qui n’a rien d’exceptionnel », note Olivier Bossard. Toutefois, le CHU compte encore sept emprunts structurés, à taux variable, dont un très toxique actuellement à plus de 18 % de taux d’intérêt (et cela peut aller plus loin). Il n’a pas pu bénéficier du fonds de soutien national comme tant d’autres collectivités pour s’en débarrasser car… paradoxalement impacté par le phénomène dans de trop fortes proportions !

Parcours patients et postes vacants

Reste l’immense chantier de l’attractivité donc. Côtés patients, c’est toute une logique, une fluidité du parcours de soins, une « expérience » pour citer un mot marketing en vogue, qu’il convient d’améliorer. Consciente par exemple « que la structure de ses urgences est à revoir car, pensée il y a plus de 15 ans, n’est plus adaptée aux flux des années 2020, grossis par les problématiques de la médecine de ville », la direction insiste sur l’enjeu de ses réflexions autour de la répartition de ses services au sein de ses bâtiments pour réduire la lourdeur des étapes de l’accueil jusqu’à l’éventuelle hospitalisation. Ce qui ne pourra qu’améliorer aussi les conditions de travail du personnel. Celles-ci dépendent des moyens certes. Mais aussi du management. A ce sujet, le CHU annonce son intention de former ses médecins chefs de service à une culture managériale pour améliorer motivation et cohésion d’équipe.

hopital public soignants
Comment retenir et faire venir du personnel ?

Objectif : se mettre à jour vis-à-vis d’actifs nouvelles générations à l’esprit « plus volatil comme l’ensemble de la société. Il faut arriver à combiner compétences techniques et humaines. Ce changement de génération, cette vision, cette exigence, on le voyait déjà avant le Covid », note Thierry Thomas. Mais oui, la situation sur le manque de personnel est bien sûr plus tendue qu’en 2019, confirme Olivier Bossard pour qui « le Ségur nous a cependant permis d’améliorer notre attractivité pour les paramédicaux. Je prends l’exemple des postes vacants de manipulateurs radios que nous avons réussi à pourvoir. Alors certes, il manque 65 infirmiers et infirmières et 11 aides-soignantes mais, pour relativiser, sur respectivement 2 300 et 1 000 postes ». Les manques sont compensés avec des heures supplémentaires, désormais majorées à 50 %, souligne OIivier Bossard.  

50 % de vacance chez les médecins urgentistes

La problématique est moins relative côté médecins où « ce n’est facile nulle part. Il ne nous manque cependant plus que deux postes en gériatrie et non plus 11 mais trois en psychiatrie avec l’arrivée de huit nouveaux médecins formés ici. Il y fatalement des fermetures de lits mais dans une proportion raisonnable par rapport à d’autres établissements publics. La grosse problématique reste les urgentistes avec 50 % de vacances », observe encore le directeur. La situation est évidemment aussi très difficile pour la chirurgie invasive où la concurrence du privé est là analogue à celle de la Première Ligue anglaise sur la L1 française. Alors comme cette dernière, on mise sur la formation. La formation et la R&D, cette « capacité qu’offre un CHU à se réaliser intellectuellement. Nos plateaux techniques, la possibilité d’effectuer une recherche clinique de manière optimisée ou encore de former sont aussi des éléments d’attractivité ».

Lors du vote du CTE (comité technique d’établissement, ex CSE) du CHU au sujet de ce projet d’établissement, l’ensemble des organisations syndicales s’est abstenu. « Si les ambitions et les moyens annoncés sur l’attractivité marchent, tant mieux mais nous sommes extrêmement sceptiques et critiques au regard de la situation passée et actuelle. Mais de toute façon, notre avis sur ce document ne compte pas. Que l’on soit pour ou contre, le projet se fera tel qu’il a été défini », explique à If Saint-Etienne un rien désabusé Alexandre Charly, secrétaire général du syndicat FO du CHU. Le syndicaliste pointe du doigt plus d’un écueil dans les ambitions de la direction qui selon lui minimise les postes vacants au sein de l’établissement en parlant équivalents temps plein (ETP).

« Une dizaine de médecins parte chaque année dans le privé » 

« Vous pouvez doubler, voire parfois tripler les manques évoqués en termes de postes. Il manque aussi 13 ETP de sage-femmes en pédiatrie, 18 ETP en « réa », sans parler de la gériatrie, des pédopsychiatres. Ce qui oblige à fermer de nombreux lits dans les services. Par-dessus tout, il fait ajouter à cela une forte proportion d’absentéisme impossible à combler, résultant des conditions de travail subies par les soignants, et qui n’apparaît pas dans les chiffres. » Aux yeux de cet infirmier, le projet d’attractivité est avant tout fait pour les médecins, beaucoup moins pour les paramédicaux dont la différence de traitement salarial avec le privé – « sans parler des primes, de tous ces petits plus qu’il y ailleurs, comme, par exemple, accorder des bons cadeaux » – ne s’est pas tant réduite, les dernières décisions du Ségur profitant aussi aux personnels des cliniques.

Le Ségur était un rattrapage a minima. Et on continue dans l’absurde.

Alexandre Charly, secrétaire général FO du CHU

Et, « de toute façon tout a été balayé par l’inflation : + 3,5 points par rapport à 7 %… Le Ségur était un rattrapage a minima. Et on continue dans l’absurde : une prime grand âge pour les aides-soignantes de la gériatrie mais pas pour ses infirmières, pas de primes d’urgences pour les brancardiers de nuit parce qu’administrativement rattachés à un autre pôle… » Quant aux médecins, « dont, en moyenne, une dizaine nous quitte chaque année pour le privé », appuyer sur l’aspect universitaire ne sera pas suffisant pour Alexandre Charly, « parce qu’il y a en France 12 CHU sur 32 largement devant nous même si la fusion avec l’ICL nous a fait gagner six places ». D’ailleurs, cette fusion a provoqué « d’un seul coup le départ de neuf oncologues sur les 12 pour le HPL, faisant perdre 50 % d’activités car on a toutes les peines du monde à recruter pour combler. Dans ce cas, c’est la perte de leur autonomie d’action en intégrant une machine centralisée qui les a fait partir. »

« On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif »

Selon Alexandre Charly également, tout n’est pas question d’argent mais aussi de reconnaissance : « On voit tellement de médecins qui, arrivés à 40 ans en ont marre du manque de reconnaissance systématique, de leurs travaux passés sous la signature d’un supérieur. Ici, un médecin veut faire carrière, de la recherche. » Mais aussi « et c’est encore un autre problème, mener des activités privées. Sur ce dernier aspect, c’était déjà possible, c’est de plus en plus clairement assumé, mais un service public doit rester public. Introduire du privé se fera au détriment des populations qui ne sont pas en capacité de payer. »  Alors forcément, FO ne voit pas d’un meilleur œil l’idée d’investir dans des formations des médecins chefs de service à des méthodes managériales car « on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif ».

Traduction : le meilleur médecin du service est-il systématiquement fait pour en être le capitaine ? Comment, dans un CHU, ne pas donner, dès lors qu’ils la convoitent, la « place » de chef à ses quelques Mbappé de la chirurgie n’ayant pas encore céder aux sirènes du privé ? Cela plutôt qu’à des Deschamps, aussi bon qu’ils soient, moins talentueux du scalpel, mais tellement plus incisifs pour mener un collectif ?

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