Saint-Étienne
jeudi 25 avril 2024
23:36
Soutenez IF

L’Enes veut faire « lire » aux parents sourds les pleurs de leurs bébés

0
1790 vues

Laboratoire star de l’université Jean-Monnet, l’Enes auquel nous avions consacré un large portrait en mars 2021, décrypte le « langage » des animaux et les interactions sociales liées. Humains compris avec ces recherches menées depuis 10 ans sur les cris bébés au CHU de Saint-Etienne. Ce qui a débouché sur l’idée de créer une interface pour que des parents atteints de surdité puissent voir, lire et même interpréter le son qu’ils n’entendent pas…

Le développement du projet « Seeing Sound », vise à donner aux parents sourds les moyens d’« entendre avec leurs yeux ». © Enes

C’est peut-être la genèse d’une aventure entrepreneuriale. On en est encore loin mais qui sait quelle start-up pourrait mettre l’idée sur le marché d’ici quelques années ? A ce stade, ce n’est évidemment pas la préoccupation du laboratoire Enes (Equipe de neuro-éthologie sensorielle) même si ce dernier fait partie de la promotion 2022-2023 du fonds d’amorçage de la Fondation de l’université Jean-Monnet financé par les entreprises membres pour son nouveau projet : « Substitution sensorielle « Voir le son » ». 25 000 € accordés à un nouveau projet qui découle d’un autre, plus ancien, initié il y a une dizaines d’années par le laboratoire universitaire créé et dirigé par Nicolas Mathevon autour de l’interprétation et des interactions sociales des cris des bébés entendus par leurs parents, d’autres parents ou des adultes sans enfants.

Comme cela a déjà été le cas avec les études sur les animaux, les différents résultats de cette recherche au long cours lui ont valu plusieurs parutions dans des revues internationales prestigieuses, Graal (s) de la reconnaissance et de la visibilité au sein du monde scientifique : Nature ou Current Biology. Cet été encore où la dernière citée a publié les conclusions des chercheurs stéphanois autour du soi-disant « instinct parental » : l’étude démontre s’être déjà occupé de bébés est indispensable pour interpréter correctement leurs pleurs. Autre démonstration ? Les cris donnent lieu à une réaction d’empathie, que l’on soit parents ou non, à l’image d’une gestion collective typique des primates que nous sommes. Mais encore ? Notre perception de la douleur chez un bébé à partir de son cri semble indexée à son genre. On la croit plus forte quand c’est un garçon. En réalité, c’est la rugosité qui peut distinguer un vrai cri de douleur du bébé, d’un autre, davantage poussé pour le bluff et nettement plus harmonieux.

« Traduction » sur spectrogramme d’un cri de bébé lors d’une vaccination issue d’un enregistrement de l’Enes.

Un véritable « baby phone » mais… visuel

Encore faut-il côté parents et adultes, pouvoir les entendre. Et c’est là qu’intervient l’idée du Pr David Reby : « Cette rugosité, nous pouvons l’observer à travers des écrans, des spectrogrammes, qui représentent visuellement les cris enregistrés. » S’il collaborait déjà avec lui depuis 2010, David Reby s’est décidé à rejoint le laboratoire stéphanois en 2018 après avoir enseigné pendant 20 ans à Brighton, en Angleterre, à l’université du Sussex. Depuis, ses travaux sur la reconstitution de cris d’animaux préhistoriques a donné lieu à une relative médiatisation et à une exposition en 2021 au Musée de Préhistoire de Solutré en Saône-et-Loire. A force d’observer des spectrogrammes traduire visuellement les cris et donner des modulations que l’on parvient à associer à des émotions, des raisons, David Reby s’est dit qu’une interface efficace pourrait être mise au point et ainsi profiter aux parents malentendants ou atteints de surdité.

Autre relevé de l’Enes à voir et entendre lié au stress d’un bain !

Une sorte de « baby phone » – objet en soi ? application sur smartphone, tablette ? – mais visuel qui permettrait d’interpréter immédiatement ce qui se passe en « voyant » le son émis par les pleurs. C’est ce qu’on appelle de la « « substitution sensorielle dont les dispositifs existants concernent essentiellement les aveugles, précise David Reby. L’idée d’arriver à « lire » la parole humaine avait été mise sur la table au siècle dernier mais finalement abandonnée dans les années 1970 car trop complexe à réaliser. Il y a une invariance entre a dimension acoustique et celle perceptuelle. En revanche, l’idée semble plus faisable à appliquer sur nos cris. Mais cela n’a jamais encore été tenté. » Car d’une manière générale, les liens comportements sociaux/modulations de voix des humains sont encore peu explorés par la science.

Appel aux volontaires pour lancer les tests

« Si nous sommes les seuls à avoir un langage aussi complexe, comme les autres animaux, nos intonations ne sont pas anodines : avant même la puberté, on sait par exemple, que les garçons ont tendance à arrondir les lèvres pour imiter les hommes adultes. Nous avons un comportement verbal inconscient en nous », souligne le chercheur. Le développement du projet « Seeing Sound », donner aux parents sourds les moyens d’« entendre avec leurs yeux » donc, a été lancé cet automne avec l’aide d’un étudiant de l’Insa Lyon puis d’un stagiaire en neurosciences en provenance de Toulouse pour effectuer des études préliminaires. « L’interprétation d’un spectrogramme n’est pas très compliquée à apprendre mais évidemment, il faudrait aboutir à une interface plus fonctionnelle si on devait arriver à un produit spécifique grand public. »

Emmalie Alvarado, en Master II bioacoustique, le Dr Kasia Pisanski, chercheuse CNRS et le Pr David Reby, membre de l’Institut Universitaire de France travaillent ensemble sur le projet. ©If Média/Xavier Alix

Car s’il existe déjà des applications qui prétendent reconnaître la cause des pleurs de bébés, « chaque bébé a son propre pleur, donc ces applications ne peuvent pas en principe indiquer de manière fiable les besoins ou l’état émotionnel d’un individu ». David Reby travaille actuellement sur ce sujet avec le Dr Kasia Pisanski, chercheuse CNRS et Emmalie Alvarado, présente pour les 6 mois qui viennent en Master II bioacoustique international, récemment créé. « Il s’agit de montrer que cela marche, on espère y arriver d’ici la fin de l’année 2023. Mais pour cela, il faut que nous testions nos résultats sur une population concernée. Ce qui n’est pas évident à trouver… » Avis aux volontaires. 6 millions de français souffrent de déficience auditive et 500  millions dans le monde d’une perte auditive « invalidante »…

Partagez
Signaler une erreur

    Signaler une erreur

    J'accepte de transmettre les informations personnelles saisies ci-dessus afin que mon signalement soit traité par IF MEDIA.

    Laisser un commentaire
    Recevoir la newsletter
    IF Saint-Étienne