Saint-Étienne
vendredi 19 avril 2024
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L’université Jean-Monnet doit faire sans les 30 M€ qui lui manquent de l’Etat

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La direction de l’université stéphanoise pointe l’injustifiable, voire inexplicable, sous dotation de fonctionnement annuelle accordée par l’Etat. Plaidant pour un rattrapage, Jean-Monnet est loin d’être la seule dans ce cas en France. En ce qui la concerne, il lui a manqué, en 2021, 1 540 € par étudiant par rapport à la moyenne accordée aux établissements pluridisciplinaires dotés d’une faculté de médecine…

Stéphane Riou, vice-président de Jean-Monnet chargé des moyens et de la stratégie. ©If Média/Xavier Alix

Et pourtant, elle tourne ! Et plutôt bien si on revient sur le chemin parcouru en 20 ans. Il faut dire que la débrouille est dans l’ADN de Jean-Monnet, jeune quinquagénaire à la naissance très tardive dans un paysage universitaire français séculaire, construite empiriquement et même, pièce par pièce, littéralement, dans ce qui a longtemps ressemblé – et ressemble souvent encore – à un combat pour exister. Moins de 15 000 étudiants étaient inscrits pour occuper ses bancs au milieu des années 2000. Ils sont 20 000 à la rentrée 2021, le tout dans un écrin immobilier en amélioration constante. Formations, internationalisation, recherche, liens fructueux avec le monde économique, insertion professionnelle, classements médiatiques : les voyants sont au vert, arguait en octobre dernier, dans nos colonnes, son président, Florent Pigeon.

Le fait qu’elle parvienne, grâce à ses formations en alternance, aux locations de son patrimoine et autres actions valorisantes à dégager 25 M€ annuels de revenus propres – « cela nous place dans le premier tiers des universités françaises à ce sujet », assure Stéphane Riou, vice-président chargé des moyens et de la stratégie – ne vient pas le démentir. Selon ses arguments, l’université Jean-Monnet tourne donc. Mais pour ce qui est de la faire tourner plus vite, plus fort, sur le long terme, cela risque de devenir de plus en plus compliqué… Ce n’est pas elle mais Saint-Etienne Métropole, au titre de sa compétence sur l’enseignement supérieur, qui a fixé cet objectif, souligné régulièrement, encore une fois début mai par son président Gaël Perdriau : « Nous voulons atteindre les 40 000 étudiants d’ici 2035 ».

Un déficit de 1 540 € par étudiant

Ils sont environ 28 000 actuellement. 71,5 % d’entre eux sont inscrits dans une formation de Jean-Monnet. L’université est donc censée prendre une part prépondérante dans ce plan, proportionnelle sinon approximative à son poids actuel. Mais accueillir plusieurs milliers d’étudiants de plus implique des centaines d’encadrants en plus. Or sur 1 627 membres du personnel – en additionnant enseignants-chercheurs, techniciens et administratifs –, les titulaires sont 1 059 pour 568 « contractuels », quasiment 35 % des effectifs. « Pour faire face à son développement, l’université a augmenté son nombre de contractuels non statutaires et donc leur prise en charge, sur nos revenus propres, en dehors du financement annuel de l’Etat. C’est beaucoup, et on est désormais au bout du bout de la logique. Si l’université doit continuer à se développer, et augmenter le nombre de ses étudiants, il faudra plus de titulaires de la fonction publique », avertit Stéphane Riou.

Et donc plus de dotation annuelle de l’Etat destinée à les payer. Or, à ce sujet, la direction de l’établissement fait remarquer qu’elle est atteinte de sous dotation financière chronique. On parle là de la subvention pour charge de service public (SCSP) censée couvrir les dépenses de personnel et de fonctionnement de l’Etat. Et non de ce qui relève des Contrats plan Etat région (CPER), permettant les conséquents investissements immobiliers actuels par exemple, des revenus obtenus par les frais d’inscription payés par les étudiants (marginaux par rapport à l’ensemble des ressources, ils sont directement fléchés sur de projets de vie étudiante) ou de toutes sortes d’appel à projets spécifiques et conventions passés avec l’Etat, l’UE et les collectivités locales. L’université Jean-Monnet a fait ses calculs : à périmètre comparable, c’est-à-dire les SCSP accordées à 37 universités pluridisciplinaires et, comme elle, ayant une faculté de médecine, elle n’a touché en 2021 que 5 750 € par étudiant contre une moyenne de 7 290 €.

Vue depuis la rue du 11-Novembre de l’entrée du campus Tréfilerie, une fois achevée avec son nouveau bâtiment et sa nouvelle entrée ouest. ©Gautier+Conquet architectes.

Les ratés de l’autonomie universitaire

Soit 115 M€ par an pour un total de plus de 30 M€ manquant. Une différence de traitement difficilement justifiable, d’ailleurs pointée il y a quelques années dans un rapport de la Cour des comptes. Elle relève d’une problématique nationale trop longtemps mise sous le tapis, estime Stéphane Riou. « D’autres universités sont dans notre cas, comme Angers ou plus proche de chez nous Lyon III. » Pour ce qui est de l’université Jean-Monnet, qu’est-ce qui explique cette différence de traitement, « fruit d’un processus historique », comme le synthétise Florent Pigeon ? Interrogé à ce sujet, Stéphane Riou s’essaie à une explication. Il ne remontera pas au-delà de 2007 année de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (dite « LRU »), celle de l’autonomie des universités, permettant l’accès aux responsabilités et compétences élargies (RCE), effective dans les années suivantes.

« On peut penser qu’il y a eu des ratés au départ à Saint-Etienne où l’on a sans doute sous-estimé le développement de nombre d’étudiants à venir lors des négociations initiales avec l’Etat. » L’habitude s’est ancrée et même empirée : alors que les effectifs étudiants ont par exemple bondi de 11 % entre 2014 et 2016, la SCSP – renégociée chaque année avec ministère – n’augmentait que de 3 % dans le même laps de temps. « On a hésité à rentrer dans un rapport de force avec le ministère, sans doute ne fallait-il pas faire trop de bruit alors qu’un plan de retour à l’équilibre financier était parallèlement préparé pour être appliqué en 2017 et mettre fin à un déficit. Ce qui a amené à développer nos ressources propres : elles ont à peu près doublé depuis 2016. » Un assainissement pérenne. Les résultats financiers de 2021 ont d’ailleurs été positifs à Jean-Monnet : + 6 M€.    

Gaël Perdriau en a discuté avec Emmanuel Macron

Le financement de l’université en France est un chantier dont l’ampleur fait en réalité très peur car très coûteux.

Stéphane Riou, vice-président chargé des moyens et de la stratégie

Pas de quoi y déceler un morceau de la solution au problème SCSP puisque les dépenses de fonctionnement ont été très réduites cette année-là par le Covid. 2022 devrait être à l’équilibre « si l’inflation n’emporte pas avec elle nos plans ». Pour revenir aux négociations sur la SCSP, l’université Jean-Monnet dit essayer, comme d’autres désormais, de mettre la problématique sur la table. Par ailleurs, elle été l’objet d’une des discussions tenues avec Emmanuel Macron, assure Gaël Perdriau lors de la venue du président de la République dans la Loire cet automne. Mais selon Stéphane Riou, « les critères exacts d’attribution des fonds restent très opaques. La base historique n’a jamais été détaillée, révisée. Nous n’avons pas l’impression d’être « récompensés » par notre capacité à dégager nos propres revenus. Ce n’est pas logique. C’est un chantier dont l’ampleur fait en réalité très peur car très coûteux. »

Cependant, l’Etat n’ignore pas complètement la situation puisqu’un fonds de dotation a été créé pour tenter de rattraper le problème. A l’issue des négociations, l’été dernier, il a ainsi accordé une rallonge supplémentaire sur le SCSP de Jean-Monnet qui approche le million d’euros, signale elle-même la direction l’université. Ce que confirme le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche que nous avons évidemment sollicité à ce sujet. Nous n’avons pas pu obtenir un réel échange avec un de ses représentants. Et à défaut, comme nous l’avions suggéré le cas échéant, c’est une réponse par mail que nous avons reçu mais ne répondant que très partiellement à la liste de nos questions. Elle confirme cependant la problématique. La voici :

Une dotation de rattrapage supplémentaire d’1 M€ en 2021

« La direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP) conduit chaque année, dans le cadre du dialogue stratégique et de gestion, une politique visant à augmenter les subventions pour charges de service public (SCSP) des établissements afin de leur permettre de conduire leur stratégie d’établissement et de déployer les politiques nationales prioritaires. A ces sommes sont ajoutées des mesures visant à permettre à des universités comme celle de Saint-Etienne Jean Monnet de se rapprocher des universités présentant les mêmes caractéristiques. A ce dernier titre, l’université Saint-Etienne Jean Monnet a reçu en 2021 une dotation supplémentaire d’1 M€. » Le Pôle presse pour l’Enseignement supérieur, la Recherche et l’Innovation ajoute :

« Au final, grâce aux moyens de la loi Orientation et réussite des étudiants (ORE), de la loi de programmation de la recherche (LPR) et du plan de relance, le montant annuel de la SCSP de l’université Jean Monnet a crû de 7,5 M€ entre 2017 et 2021. » Selon l’université Jean-Monnet, le fond de rattrapage devrait être à nouveau reconduit pour les négociations 2022. Et reconnaissant que le dialogue a davantage lieu qu’auparavant, elle annonce avoir demandé un rattrapage « réaliste au regard des contraintes budgétaires de l’Etat » d’à nouveau 1 M€ en 2022 et encore 1 M€ 2023. Parallèlement, l’université a obtenu récemment plusieurs accompagnements sur des appels à projets de recherche ou d’aménagement (Campus responsable par exemple). Mais pas de quoi créer des postes de titulaires dont elle aura très bientôt – cruellement ? – besoin…  

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