Pas dans leur assiette, les agriculteurs de la Loire manifestent
Les organisations syndicales FDSEA et Jeunes Agriculteurs de la Loire, déclinaient ce lundi 20 février à Saint-Etienne, une action nationale. Près d’une centaine d’agriculteurs se sont retrouvés devant Geoffroy-Guichard pour se rendre ensuite devant le siège de la DDT (Direction départementale des territoires). Dans leurs principaux griefs en effet, un carcan administratif de l’Etat qu’ils jugent aussi punitif qu’absurde et abusif. Derrière l’avenir très menacé de leur profession, arguent-ils, se joue, ni plus, ni moins que la souveraineté alimentaire du pays. Explications.
Qui nous fera manger demain ? « Pour l’instant, la plupart des Français ne se rendent pas compte parce qu’ils ont encore devant les yeux des rayons pleins. C’est plus cher ok mais « l’abondance », elle est encore là. Pour combien de temps ? On se prend actuellement le mur énergétique, il y aura bientôt le mur alimentaire. » Un brin alarmiste Gérard Gallot, président de la FDSEA de la Loire ? Ce serait oublier que le déclenchement de l’alarme ne date pas de la dernière pluie, qui se fait, par ailleurs, désespérément attendre. Leur alerte se fait entendre à la table depuis des décennies. Ce serait oublier aussi, et surtout, cette fournée de chiffres qui démontre l’érosion continuelle et de la production alimentaire et des producteurs. Bien sûr, la Loire n’y échappe pas : selon le dernier recensement agricole décennale publié par la Draaf, en 2020, on comptait 4 056 exploitations dans le département contre 5 701 en 2010, 8 098 en 2000.
De 2010 à 2020, le recul est spectaculaire et dans toutes les « spécialités » (entendre principale production) ou presque dans la Loire : – 32 % d’exploitations laitières, – 21 % d’élevages bovins destinés à la viande, – 30 % de bovins mixtes, – 45 % d’élevages ovins/caprins, – 59 % de ceux porcins et/ou volailles, – 51 % d’exploitations fruitières. Seules les exploitations dites de grandes cultures (+ 9 %) et d’horticulture/maraîchage (+ 4 %) progressent. Une érosion que l’on retrouve à l’échelle du pays et du grand « Massif central », zone retenue par la Draaf pour effectuer ses études localisées. Un territoire dont fait partie la Loire. L’effet sempiternel du remembrement : moins d’agriculteurs, moins d’exploitations mais pour de plus vastes et donc autant de production ? Certes, la surface agricole utilisée (SAU) est tombée de « seulement » 273 203 ha en 1970 à 261 586 en 1988 dans la Loire et dans le même temps, les exploitations de 18 715 à 12 450. Mais ensuite, elle a chuté à 233 553 ha en 2010 pour 5 701 exploitations. Les cheptels bovins et ovins reculent toujours plus. Selon la FDSEA, même le fameux trop plein laitier risque de bientôt être un souvenir.
Entre vieillissement et découragement
A l’échelle massif central, on constate un recul de 7,7 % des « unités gros bétail » de 2010 à 2020, et de 10,5 % de la PBS (production brute standard) exprimée en euros passée de 5,65 Md€ à 5,053 Md€… La SAU ligérienne a, elle, encore reculé depuis 2010, certes à un rythme moindre (- 0,1 % par an en moyenne contre -0,4 % la décennie précédente), soit – 2 000 ha en 10 ans. Et les effectifs dans tout ça ? 6 400 équivalents temps plein dans notre département en 2020 dont 4 600 comme chefs et co-exploitants. A ce sujet, la Loire en parvenant à remplacer « péniblement », précise Gérard Gallot, deux tiers de ses agriculteurs partant à la retraite par des installations, fait figure de département bien loti (même pas 50 % à l’échelle Auvergne-Rhône-Alpes). « Nous avons un peu plus de jeunes que la moyenne régionale (24 % de – de 40 ans contre 22 % en Aura) mais chez nous aussi, la moyenne d’âge augmente et 35 % de nos exploitants actuels devraient partir à la retraite d’ici 10 à 15 ans. »
On fait ce qu’on peut, laissez-nous du temps, de nous adapter, d’avoir la solution avant l’interdiction !
Henri Mazenod, responsable fruits FDSEA
Entre le vieillissement et le découragement, le monde agricole annonce une nouvelle vague de contraction de leur secteur aux conséquences, cette fois-ci de Tsunami. A l’heure où la nécessité d’être locavore sort de beaucoup de bouches, il y a de quoi être sur les dents : « Depuis quelques temps, on a maintenant des gens qui craquent à 30 ou 40 ans, qui abandonnent. Ça a toujours été un travail difficile mais des départs comme ça si tôt, c’est nouveau. Et je ne parle même pas des suicides, se désole Henri Mazenod, un vétéran du « fruit » dont il est représentant à la FSDEA Loire et désormais employé par son fils dans le Gaec qu’il lui a transmis dans le Gier. On est étranglé sur les prix, par l’administration et sans cesse montré du doigt. L’Office français de la biodiversité joue les cow-boys, nous pourchasse comme des criminels pour tout et pour rien. Les gens ont-ils conscience que ce que nous produisons les nourrit ? Personne ne voit les efforts faits en quelques décennies par la plupart d’entre nous pour une agriculture plus raisonnée. La France est, à l’aise, dans le top 10 mondial du souci environnemental agricole. On fait ce qu’on peut, laissez-nous du temps, de nous adapter, d’avoir la solution avant l’interdiction ! »
La charrue réglementaire avant les bœufs
La colère d’Henri Mazenod vise – entre autres – les réglementations sur les produits phytosanitaires. Il conteste, non pas leur nocivité, mais les conséquences, de ce qu’il estime être une brusque, aveugle et irresponsable tabula rasa d’un écosystème en place depuis des décennies. Celui qui a permis « l’abondance » qui nous va pourtant si bien au point d’en être inconscients. Lundi matin devant le stade Geoffroy-Guichard, parmi les dizaines d’agriculteurs réunis pour la mobilisation, les arboriculteurs étaient d’ailleurs particulièrement bien représentés. Il faut dire qu’un nouveau « coup », comme dit Henri Mazenod de l’administration vient de leur tomber dessus en 2023. L’interdiction fait penser à celle des néonicotinoïdes pour la betterave sucrière. Elle concerne là « l’imidan », insecticide et seule solution avérée sous la main, assure l’arboriculteur pour lutter contre un moucheron venu d’Asie – une sorte de drosophile – qui ravage les cerisiers (très présents dans le Jarez) rendant impropres la consommation des fruits.
« La recherche n’avance pas assez vite que la réglementation. Alors comment va-t-on faire ? C’est toujours comme ça. Il n’y a jamais d’argent pour accélérer ces études sur l’agriculture alors que pour d’autres domaines, moins essentiels – on parle de manger nous ! – il y en a toujours, n’en démord pas Henri Mazenod. Que l’on vienne voir dans nos exploitations si nous ne sommes pas dans une démarche responsable. Plein d’efforts sont faits. Il y a beaucoup gens qui ne sont pas en bio mais qui, eux, n’utilisent pas les saloperies justement autorisées en bio par le cahier des charges. Du bio que les consommateurs ne peuvent pas acheter : une pomme bio sur deux en France ne trouve pas preneur. Mais si on préfère nous faire disparaître pour perdre notre souveraineté alimentaire, donc polluer bien davantage pour importer notre nourriture d’autres pays qui n’ont pas les mêmes préoccupations, à 100 000 lieux de nos réglementations, et bien allons-y : on verra si c’est mieux ! »
L’eau, l’autre source de tensions
Les agriculteurs, d’autant plus dans des départements à petites exploitations comme la Loire, arguent souvent qu’ils utilisent de nos jours les produits phytosanitaires avec une parcimonie qui n’avait pas vraiment cure il y a 50 ans. Ne serait-ce que pour le prix… D’ailleurs Gérard Gallot souligne que le secteur est évidemment lui aussi touché par l’inflation des coûts de production mais dans un contexte économique « déjà très, très fragile avec des revenus moyens très bas ». Autre problématique toujours plus prégnante et source de tensions avec l’administration, voire les militants écologistes : l’eau. « Sans, on ne fera pas pousser et on ne mangera pas, clame Henri Mazenod. Plus encore que le manque de pluie, c’est l’évapotranspiration qui pose de très gros problèmes. On a désormais besoin d’économiser, de stocker mais rien n’est réellement fait dans ce sens. Oui, avec des retenues collinaires. Il est faux de dire que nos retenues massacrent la biodiversité. Là où il y en a, ce sont justement des zones riches en biodiversité. »
Ce qu’on demande, c’est de de la souplesse au lieu d’une administration pro militante dans son comportement.
Gérard Gallot, président de la FDSEA Loire
Comme les zones humides que la loi oblige à recréer lors d’aménagement destructeurs ? « Oui. Et il ne s’agit de toute façon pas forcément de détourner des rivières. Ce sont souvent des trous qui se remplissent en hiver. Et de toute façon, pour les autres, ce n’est pas un peu moins de débit en hiver pour finir, dans le cas du Gier, dans le Rhône avant la mer, qui va vraiment impacter la biodiversité », estime Henri Mazenod. Un débat autour d’exigences administratives, qui crée des tensions, nationalement certes, mais aussi localement. Par exemple avec Saint-Etienne Métropole ces dernières années, pressée par l’Etat au nom de sa compétence eau de surveiller les pratiques collinaires des arboriculteurs du Jarez. Ou encore, très récemment avec la DDT dans le Forez à propos de la capacité d’abaissement du niveau du barrage de Grangent (cet été, il a été autorisé par la préfecture une baisse exceptionnelle pour essayer de satisfaire les besoins), sollicité à la fois par l’agriculture, l’industrie et maintenant l’eau potable en alimentant le canal du Forez…
La mise à jour des arrêtés sécheresse patauge-t-elle ?
Alors qu’il n’a évidemment pas assez plu cet hiver pour rattraper une situation déjà dramatiquement déficitaire à la mi-automne, la révision de nouvelles règles d’usage de l’eau en cas de sécheresse – les arrêtés cadres jugés dépassés par la préfecture elle-même – n’a apparemment toujours pas abouti. Nous avons sollicité la préfecture à ce sujet à plusieurs reprises depuis cet automne pour savoir comment était mené le travail et vers où on se dirigeait. En vain. Alors, certes, Macron, le gouvernement et l’Etat via ses services et préfectures ne commandent pas la pluie. Les agriculteurs en ont bien conscience mais « ce qu’on demande, c’est de de la souplesse, du pragmatisme, du réalisme face à l’enjeu. Au lieu d’une administration froide et disons-le, souvent pro militante dans son comportement », assène Gérard Gallot. D’où le cheminement de cette manifestation, jusque devant le siège de la DDT de la Loire. La Direction départementale des territoires est en effet le service d’Etat interlocuteur des agriculteurs. D’autres actions pourraient avoir lieu dans la perspective du toujours médiatisé Salon de l’agriculture qui ouvre ce week-end.