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samedi 5 octobre 2024
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Saint-Bonnet-les-Oules : « Rénover ce château dépasse la responsabilité familiale »  

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Depuis plusieurs années, Sophie de Roquigny, aidée par ses enfants et quelques bénévoles passionnés, tente de rénover le château de Saint-Bonnet-les-Oules, par ailleurs sélectionné par la Mission patrimoine 2024. Édifice que lui a transmis sa mère en 2018 dont l’état délicat n’empêche pas la visite et même de proposer, avec succès, des chambres d’hôtes. Il nécessite toutefois de lourds et prenants travaux. Un investissement mental et pécuniaire aux allures de sacerdoce qui l’a poussée à quitter la région parisienne pour y habiter.

Le coup de pouce ne sera évidemment pas de trop. Mais il ne couvrira pas tout. Après avoir obtenu des subventions de l’Etat, via la Drac (Direction régionale des affaires culturelles) sur une partie des travaux de rénovation majeure déjà engagés, le château de Saint-Bonnet-les-Oules a été sélectionné il y a quelques semaines par la fameuse « Mission Patrimoine pour la sauvegarde du patrimoine en péril ». Cette initiative qui bénéficie de l’aura médiatique de Stéphane Bern et déployée par la Fondation du patrimoine avec le soutien du ministère de la Culture et La Française des Jeux (FDJ). Une bonne nouvelle qui devrait contribuer à financer la réfection complète de la toiture, de façades ainsi que de l’aile dite « nouvelle » car ajoutée en 1860. Mais seulement une étape d’un long, du très long cheminement entamé par Sophie de Roquigny voilà 6 ans.

Sophie de Roquigny représente la 3e génération de femmes de sa famille ayant pris en main le devenir de ce château. ©If Saint-Etienne / Xavier Alix

« J’espère bien faire avancer les choses de manière décisive dans les années qui viennent mais un jour, ce sera à mes enfants de prendre le relais et il y aura encore à faire. Mais moi aussi, je passerai à autre chose, j’irai habiter ailleurs », glisse-t-elle à la fin du tour de propriété ayant suivi nos échanges. Passer le « relais » comme sa grand-mère l’a fait avec sa mère en 1985 puis cette dernière avec elle. Que serait devenu le château de Saint-Bonnet-les-Oules, voisinant la mairie en plein centre bourg de cette petite commune forezienne si, elle-même, avait dit « non » au moment où sa mère l’a proposé en donation ? C’était en 2018 et cette ex-avocate du barreau de Versailles n’en veut pas spécialement à son frère et ses deux sœurs d’avoir décliné de leur côté, tant elle avait déjà conscience qu’accepter revenait à basculer dans un Odyssée. Pas seulement pour chauffer cette immense passoire thermique présentant 1 000 m2 planchers (avec une trentaine de pièces pour ne parler que des étages et du grenier). Déjà trop peu entretenu depuis des décennies, le bâtiment a subi une série de désordres – des infiltrations en particulier – ces dernières années ayant fini de mettre en évidence sa vétusté.

Du péril et des atouts

La Fondation du patrimoine dans son dossier de presse détaillant les 8 projets rhônalpins 2024 retenus synthétisait son « péril » ainsi : « Le diagnostic sanitaire réalisé en 2022 a confirmé les désordres importants constatés sur les toitures. Des glissements d’ardoises, la vétusté de la zinguerie, l’état général de la charpente, l’état général des lucarnes et tabatières sont très inquiétants. Le parement des façades et les éléments de décor se dégradent de manière accélérée à cause de l’état de la couverture sur l’ensemble du château. Le remplacement ponctuel d’ardoises a permis de maintenir l’édifice hors de dégât majeurs, mais ne peut garantir la pérennité de la couverture vue l’importance des désordres constatés. » En partie classé monument historique, le château remonte aux comtes du Forez : d’abord une maison forte au XIIe siècle, gagnant ses galons de château fort au siècle suivant à la suite de la transformation menée par la famille Angénieux. Avant que ne soit gommé quelques siècles plus tard l’aspect forteresse au profit de celui résidentiel, de plaisance, plus conforme à l’époque moderne.

Au XIXe siècle, il bénéficie d’une restauration et de modifications profondes lui donnant un style néo-Renaissance. Tâche menée dans les années 1870 par l’architecte Louis-Antoine-Maurice Bresson, inspiré de Viollet-le-Duc. Parmi ses atouts patrimoniaux récents, cet admirable escalier monumental, signé Bresson encore, éclairé d’une verrière circulaire qui met en valeur, à ses pieds, l’œuvre au rez-de-chaussée du sculpteur Pierre Julien : l’Atalante. Une copie de la statue antique conservée aujourd’hui au Louvre. Il y a aussi ces fresques vieilles de 400 ans : « Dans la salle du rez-de-chaussée du château, au niveau du Donjon, au-dessus de l’ancienne geôle, dite « petite salle à manger », anciennement salle des archives, et également anciennement salle du billard, se trouvent des fresques murales à priori du XVIIe siècle parlant de Jason et la toison d’or et de légende de Pyrame et Thisbé. » Sophie de Roquigny connaît tout cela comme sa poche : née à Versailles, elle a ensuite passé son enfance ici à Saint-Bonnet-les-Oules, jusqu’au collège, avec sa famille.

Pas question de « flancher »

Et c’est depuis resté le phare de sa « tribu », y compris « nucléaire ». « Avec mon ex-mari, officier de gendarmerie, au gré de nos choix de vie, des mutations, nous avons beaucoup bougé, voyagé, vécu dans les DOM/TOM, à l’étranger aussi, pas seulement en région parisienne. Aussi pour nous, comme les enfants, notre seul habitat de référence qui, lui, ne changeait pas au fil des ans, c’est ce château dans lequel nous venions pour les vacances », raconte-t-elle. Est-ce ce désir séculier de conserver coûte que coûte dans le giron familial cet héritage qui l’a décidée, ses quatre enfants dans les bagages, à quitter Versailles et en même temps sa profession d’avocate (parallèlement à ses activités de néo châtelaine, elle s’est reconvertie en kinésiologue à Saint-Etienne) ? « La municipalité avait approché ma mère dans les années 80 pour mais il était question de salle des fêtes et elle ne voulait surtout pas ça. Il y a une forte attache familiale chez moi aussi, évidemment. Mais non, ce n’est pas la motivation première, très franchement. Habiter et rénover ce château dépasse la notion de responsabilité familiale. Elle est d’ordre patrimoniale : ça ne doit pas disparaître. »

On ne peut pas se considérer propriétaire exclusif de tels bien mais davantage comme gestionnaire, ou même responsable actuel vis-à-vis des générations futures

En 2019, il y avait d’ailleurs au moins 2 000 châteaux en France dans l’attente d’un propriétaire rénovateur, nous indique celle qui est déléguée départementale de La Demeure historique. « Notre association est présente partout en France, c’est par exemple grâce à elle que le JEP existent (participer en ouvrant à la visite son bien donne lieu à des avantages fiscaux). Je suis intervenue lors de notre assemblée régionale fin mai : on ne peut pas se considérer complètement propriétaire exclusif de tels bien mais davantage comme gestionnaire, ou même responsable actuel vis-à-vis des générations futures. Ces lieux ont 800 ans, j’ai la responsabilité de ne pas les laisser s’effondrer. Une société dépouillée de ses racines, c’est comme un arbre, ça s’effondre. On ne peut pas se permettre de flancher. Et je crois que, de nos jours, la plupart des adhérents sont dans le même état d’esprit. D’ailleurs, même si on est plus ou moins subventionné en fonction du type de classement – et à ce sujet, il y a classement de 1er niveau et classement de 2e… -, on ne fait pas ce qu’on veut des murs et des sols.» 

Pas vraiment « la vie de château »

La particule qui va avec son « nom d’épouse » comme de « jeune fille », la noblesse – de robe côté paternel, acquise au XVIIe siècle -, être née et avoir vécu Versailles, avoir été avocate… tout concourt à ce qu’on lui assène un mal renseigné : « Oui mais vous, vous avez les moyens de faire ça aussi. » Sophie de Roquigny rétorque que c’est justement à son aisance financière engloutie dans ce projet qu’elle a dû renoncer afin d’assumer. Elle ne s’en plaint pas. C’est nous qui demandons. « Si on ne part plus en vacances avec les enfants, ce n’est pas pour rien. Mais si eux-mêmes n’avaient pas été d’accord, je n’aurais pas repris. » Pas malheureux donc mais pas vraiment « la vie de château » présumée. Et des sacrifices, sans cesse des choix pour déterminer ce qui doit être remplacé, rafistolé en priorité, trouver des subventions, renoncer, reporter, fixer… Rien que la partie « tour jumelles » à la rénovation achevée il y a peu, pourtant soutenue par la Drac, fait peser sur le ménage pour les 20 ans à venir un crédit mensuel de 2 200 €. La maman fait rapidement le calcul : sans parvenir à réaliser tout ce qu’elle souhaiterait, la charge financière du château, fiscalité comprise, représente environ 4 100 € par mois. Elle a l’habitude : dès 2018, il avait fallu lâcher 8 000 € pour la toiture.

« J’ai heureusement jusqu’à une de bénévoles, des passionnés qui m’ont offert spontanément leur aide dont certains viennent très régulièrement. » Là pour du bricolage, là pour recoudre, réparer le baldaquin d’un lit arraché par un client ou encore pour des campagnes d’entretien du parc d’1,6 ha qui ceint l’édifice et ses douves. Parce qu’ils sont du village ou de pas loin et tiennent aussi à un patrimoine qui moralement est un peu le leur, aussi. Certains s’y sont mis après une visite. Depuis 2018, en effet il n’y a pas que les Journées européennes du patrimoine (JEP) qui permettent – jusque-là exceptionnellement – d’admirer de près le château et son intérieur. Avec l’assistance des enfants, qui passent la semaine en pension, mais sont bien présents les week-ends et vacances scolaires, Sophie de Roquigny a ouvert les lieux à la visite durant la belle saison : « Les visites guidées durent 1 h 30 et c’est le grand truc de mon 2e, Alexandre, très motivé. Les autres m’aident autrement, sur les réseaux par exemple. On a attiré l’attention d’influenceurs ! » De quoi aider un petit peu à engranger des recettes. Mais pour cela, il y a mieux.

Chambre d’hôtes et projet de Cluedo

Là aussi, dans ce contexte castral, il y a eu encore et toujours « un avant et un après Covid » : « Nous avions « fui » la région parisienne juste avant l’officialisation du confinement dont nous savions qu’il allait tomber, raconte Sophie de Roquigny. C’est à partir de là que l’on n’est plus reparti. Inactive : je ne peux pas. Alors comme les magasins de bricolage étaient ouverts, on s’est dit que c’était le moment où jamais pour une idée depuis longtemps en tête : aménager des chambres d’hôtes. On s’y est mis, jour et nuit. » « Suite royale », « suite coloniale », « suite céleste » et « Chambre bleue » en sont les résultats pour une capacité d’accueil cumulée de 14 adultes et enfants, petits déjeuners et accès à cette petite piscine extérieure créée il y a 2 ans. « Certes, un peu moins cet été comme partout, mais cela bien fonctionné, on a des gens qui nous ont découvert et reviennent chaque été, 70 % de clientèle étrangère, souvent comme une étape d’une ou plusieurs nuits dans leur déplacement pour les vacances. Je vois des Bretons, des Normands qui s’arrêtent ici sur le chemin de Saint-Tropez. Cela fait 500 à 800 personnes cumulées chaque année. Avec les visites, cela amène de l’activité au village et les restaurateurs du coin n’en sont pas mécontents puisque nous ne proposons que les petits déjeuners. »  

J’aimerais faire venir un public qui n’a pas l’habitude de mettre les pieds dans un château.

Ils sont servis dans la grande salle à manger avec une fausse table de dîner réellement dressée au centre pour la déco, comme si Louis-Antoine-Maurice Bresson s’apprêtait à y assoir après avoir présenté ses plans au propriétaire. Sophie de Roquigny souhaiterait aller plus loin dans l’ouverture des lieux et « faire venir un public qui n’a pas l’habitude de mettre les pieds dans un château. » Ce qui implique des visites davantage théâtralisées, des animations ludiques, de l’événementiel. Elle a déjà expérimenté l’escape game théâtralisée conçu maison. Et l’ambiance se prêterait merveilleusement bien à une sorte de Cluedo / murder partie d’entre-deux guerres et grandeur nature. « Mais c’est très compliqué à mettre en œuvre : il faut des comédiens. On s’est renseigné, on a cherché et nous n’avons trouvé aucune compagnie dans la région prête à y aller, qui plus est en période estivale où elles sont très prises. » Alors, elle réfléchit carrément à accepter l’accueil de séances de spiritisme, comme d’autres châteaux l’on fait. Cela rapporte, on lui a proposé et l’atmosphère s’y prête tout autant. Mais là, ce cheminement n’a pas encore pris le départ.

Le Château de Saint-Bonnet-les-Oules sera bien sûr ouvert aux visites à l’occasion des JEP 2024 ce week-end.

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