Saint-Étienne
vendredi 19 avril 2024
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Saint-Etienne et les particules fines : point (s) de comparaison

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Quelques jours avant que ne soit déclaré par la préfecture, c’est-à-dire hier, un épisode de pollution aux particules fines touchant le bassin stéphanois, l’hebdomadaire Le Point a publié son premier palmarès dit de la « qualité de l’air » classant plus de 35 000 communes sur la concentration de… ce seul polluant. Saint-Etienne s’y avère très bien classée au sein des 100 grandes villes avec la 18e place des moins touchées et un recul de 55 % de ses émissions en 12 ans. Alors que les rapports sur les politiques de développement durable Ville et Métropole viennent d’être présentés publiquement, à quel point cet énième classement national entre cités est-il pertinent ? Analyse et contextualisation politique.

Un « classement des villes où l’on respire le mieux ». Le raccourci nous a semblé quelque peu cavalier quand on apprend très vite à sa lecture que seules les particules fines (PM 2.5) y sont prises en compte. S’ils ne sont pas forcément dénués d’intérêt, loin de là, il convient, naturellement, de prendre avec des pincettes les classements de ce type entre villes de France, si propices aux unes localisées de la presse nationale, au regard de la variabilité et de l’appréciation de leurs critères. Au traditionnel « prix de l’immobilier » et autres classements des meilleurs lycées, les palmarès n’en finissent plus ces dernières années de fleurir, décliner et détailler les comparaisons : attractivité économique, globale, « là où il fait bon vivre », « où il faut s’installer », étudier, où l’on peut faire du sport, jusqu’à celui d’un titre spécialisé dans les sports outdoor accordant une médaille d’argent à Saint-Etienne sur 30 cités mises en concurrence.

Au sujet de la pollution atmosphérique, ses tenants, ses aboutissants, son évolution à court et moyen terme, il convient mieux d’investir du temps dans un long plongeon au sein des rapports annuels détaillés d’Atmo Aura déclinés à échelle intercommunale, départementale et régionale (lire notre dossier paru en mai dernier). Si les particules fines et très fines sont la principale préoccupation actuelle des autorités en raison de la proportion de décès qui leur est attribuée, appréhender la pollution atmosphérique, c’est appréhender bien d’autres émissions : ozone, oxyde d’azote, COVNM, dioxyde de soufre et autres sympathiques ammoniac. Autre prudence qui convient d’accompagner la lecture de ce classement, peut-être davantage encore, la complexité d’effectuer des comparaisons pertinentes d’ordre géographique en raison de situations plus ou moins favorables, à la fois structurelles et conjoncturelles : aléas météo, densité de la présence d’infrastructures de transports dépassant l’enjeu local émettrices et contexte climatique permanent.

Selon Le Point, des 100 plus grandes villes de France, Saint-Etienne est la 18e la moins polluée aux particules fines

Quelle est la bonne échelle d’analyse ?

Comme a d’ailleurs l’honnêteté de le signaler dans sa présentation Le Point lui-même : « en Occitanie, des villes comme Montpellier, Nîmes ou encore Perpignan, qui caracolent en tête de ce classement, peuvent compter sur l’aide providentielle du mistral et de la tramontane, qui balaient régulièrement l’atmosphère ». D’autre part, au sein de ce palmarès qui présente d’autres classements, si Saint-Etienne apparaît, dans l’un d’eux, à la 18e place des 100 plus grandes villes les moins polluées aux particules fines, on peut s’interroger sur le fait de ne pas avoir dressé cette même comparaison à l’échelle des grandes agglomérations : parce que les problématiques d’un bassin de vie sont communes à l’écrasante majorité de ses habitants (même si une partie, comme à Saint-Etienne Métropole peut être domiciliée dans une campagne relativement éloignée des problématiques de la grande majorité).

Et parce que l’intercommunalité est davantage un vecteur de lutte contre la pollution via ses politiques publiques volontaristes ou appliquant plus ou moins bien, les obligations posées par le législateur, plus ou moins réalistes. Reste que, sur ces particules fines, les chiffres du Point sont très favorables à Saint-Etienne. L’hebdomadaire relève cependant dans sa synthèse que si « elles sont indispensables, les mesures visant à réduire les émissions polluantes n’expliquent pas tout, n’en déplaise à certains édiles qui auront vite fait de brandir le classement du Point pour vanter leur bilan. L’analyse de ce palmarès est plus complexe. Mais une petite idée de l’effet des politiques menées au niveau local et national peut tout de même se mesurer dans la colonne « diminution » de notre dossier. » Le Point met néanmoins en avant dans son article introductif le « bon élève » stéphanois : « La pollution (c’est-à-dire en réalité les seules particules fines, Ndlr) y a baissé de plus de 55 % en 12 ans (2009 – 2021) ».

Les particules fines sont émises à 74 % par l’habitat

C’est indéniable. Ce que n’a pas manqué de relayer ce vendredi 10 février la Ville de Saint-Etienne dans un communiqué qui associait cette information à des politiques menées ou co-alimentées par… Saint-Etienne Métropole – cela relevant d’abord de ses compétences – ainsi désignées par la municipalité comme « payantes », citant « le plan climat air énergie et le plan protection de l’atmosphère » qui « permettent de réduire fortement la pollution de l’air grâce à de nombreuses initiatives dans le domaine des transports, comme le tram, les trolleybus, ou encore de l’habitat. En effet, depuis 2014, Saint-Etienne Métropole et la Ville de Saint-Etienne multiplient les initiatives pour améliorer la qualité de l’air sur le territoire ». Autre exemple « d’un engagement fort », estime-t-elle : « depuis le 31 janvier 2022, une zone à faibles émission est instaurée sur une partie du territoire métropolitain, interdisant l’accès de certains axes aux véhicules (professionnels dans le cas stéphanois, Ndlr) les plus polluants ». Obligatoire « oui mais anticipée et adaptée de manière concertée », insiste la majorité.

Réduction du volume émis par chaque polluant relevé dans la Loire entre 2005 et 2019. Infographie issue du rapport Atmo Aura 2022.

Bonne nouvelle aussi : dans la Loire, mais comme dans l’ensemble de la région Aura, l’ensemble des émissions de polluants atmosphériques est en fait en recul significatif ou presque depuis le milieu des années 2000, l’oxyde d’azote, le Nox – à 63 % fournis par le transport routier dans la Loire – en tête, avec moins 50 % de 2005 à 2019. L’émission de particules fines (PM 2.5) dans la Loire, avait, elle reculé de 34 % dans le même laps de temps selon Atmo Aura. Pour savoir si Saint-Etienne parvient vraiment à aller plus vite que l’ensemble de son département, il faudrait une comparaison 2009-2021 à l’échelle de la Loire qui n’était pas présente dans ces données de long terme bien consolidées (d’où 2 ans de décalage) d’Atmo Aura et transmises au printemps dernier. Ce qui est certain en revanche, c’est que ces particules fines étaient à 74 % émises par le résidentiel dans la Loire en 2019, le chauffage au bois défaillant, provoquant des cas particuliers spectaculaires selon le contexte, avec l’exemple type systématiquement cité qu’est la vallée de l’Arve en Haute-Savoie.   

397 décès/an liés aux particules fines dans la Loire

L’effet croisé des politiques des collectivités locales (dont celles des intercommunalités comme Saint-Etienne Métropole) et de l’Etat ont, effectivement, permis de réduire cette émission de PM 2.5 même si là encore, jouent des circonstances météos, voire maintenant de pouvoir d’achat, ne serait-ce que sur l’intensité d’utilisation des chauffages en question. La mauvaise nouvelle pour tout le monde, que l’on habite Saint-Etienne, Paris, Lupé, Tourcoing ou Saint-Tropez, c’est la réalité des dégâts d’une exposition aux particules comme aux autres polluants. D’ailleurs l’OMS a revu ses seuils de dangerosité il y a 2 ans, désormais considérablement plus sévères que ceux de l’UE utilisés pour les alertes pollution préfectorales communiquées sur les routes comme c’est le cas depuis dimanche. Selon les indicateurs de l’OMS, 99,2 % des Ligériens ont ainsi été exposés en 2021 à une « pollution chronique » aux particules très fines, et 100 % pour les habitants de Saint-Etienne Métropole (97 % au niveau régional) … L’étude de l’Institut de veille sanitaire (INVS, devenue Santé publique France) régionale menée en 2014 avait conclu pour la Loire aux décès de 213 personnes par an dans le Sud Loire dus aux seules particules fines et très fines à partir de données compilées de 2009 à 2011.

Sources d’émissions de chaque polluant dans la Loire en 2019. Infographie issue du rapport Atmo Aura 2022.

Publiées en octobre 2021, toujours par Santé Publique France (là sur des éléments recueillis de 2016 à 2018), de nouvelles données ont révélé cette fois-ci que dans la Loire, 397 décès seraient attribuables chaque année à une exposition aux particules fines (PM2,5) et 214 à une exposition au dioxyde d’azote (NO2). Ce qui ne signifie pas forcément une augmentation des décès liés aux particules fines : le territoire sondé est plus large : il s’agit du département. Et la méthodologie est différente. Saint-Etienne (ou Saint-Etienne Métropole) semble en tout cas faire mieux que 82 autres villes de plus de 50 000 habitants. Mieux que Lyon (71e), Grenoble (81e) et Nantes (40e), souligne, non sans innocence le communiqué de la municipalité, ces villes étant aux mains de maires EELV sinon PS avec une majorité issue d’une coalition de gauche où pèsent les écologistes : depuis 2020 pour Lyon, 2014 pour Nantes et Grenoble. Ce qui est aussi le cas de Clermont-Ferrand, 8e mais pas du 47e, Le Havre (165 000 habitants qui ont pour maire Edouard Philippe, Horizons et cie) …

Quand Saint-Etienne se compare à Grenoble

De bonne guerre ? L’opposition, en particulier écologiste, met en en effet souvent en avant ces villes en contre-exemple du politique municipale stéphanoise lors des débats en conseil. Encore le 30 janvier, après l’écoute du Rapport du développement durable de la Ville de Saint-Etienne. Plan de sobriété énergétique, suivi du « label Climat énergie », évaluation climatique des budgets, baisse de la consommation de l’éclairage publique, verdissement de la flotte de véhicules de la Ville, investissements dans des dispositifs d’énergie renouvelable, ainsi que des initiatives métropolitaines – ZFE, transports publics plus propres, amélioration énergétiques – ont été évoqués. L’ensemble détaillé est à lire sur le site de la Ville. Sa présentation en conseil par Christiane Michaud-Farigoule, adjointe au développement durable, a donné lieu à moult réactions de l’opposition. Dont celle de l’élu écologiste Jean Duverger estimant que l’absence de Saint-Etienne à une bonne position dans de nombreux… classements médiatisés (« villes cyclables, « marchables », végétalisées ») illustrait un manque d’initiatives ou alors mal mises en œuvre.

Réveillez-vous : le temps de l’ébriété énergétique est révolu. Éteindre quelques lumières ne suffit plus.

Julie Tokhi, élue d’opposition EELV stéphanoise

« On pourrait croire que tout va pour le mieux en lisant vos réalisations et bonnes intentions ». La vérité pour lui, « c’est un retard conséquent sur une vraie politique. On n’a pas écouté les écologistes et il a fallu le Covid couplé à une guerre, pour une prise de conscience émerge sur l’énergie… et encore. Pendant que les villes gérées par les écologistes, souvent réélus anticipaient, vous restiez attentistes à des considérations d’un autre monde. Ne soyons pas pessimistes : vous avez une grande marge de progression ». Une marge à évaluer, service par service, dépense par dépense, dans le cadre du « budget vert », proposition reprise en 2021 par la majorité mais à l’application timorée et décevante aux yeux de Jean Duverger. Sa collègue Julie Tokhi, elle aussi du groupe Le Temps de l’écologie, considère que la majorité n’est pas ambitieuse au sujet du développement durable mais au contraire, se contente du « strict minimum. Par exemple, le plan de sobriété stéphanois ne va même pas aussi loin que les recommandations du gouvernement ».   

Questions d’anticipations

Visant ce qu’elle estime un manque d’anticipation illustré par les décisions d’économie, comme la fermeture des serres, une bétonisation de la ville cachée derrière de la communication, elle chahutait : « Réveillez-vous : le temps de l’ébriété énergétique est révolu. Éteindre quelques lumières ne suffit plus ». Se défendant d’avoir produit un « catalogue d’autosatisfactions », mais au contraire d’avoir présenté une démonstration de mesures concrètes comme le montre la prégnance des clauses environnementales dans les marchés publiques de la Ville, assurant que les évaluations du budget vert étaient bien réalisées, montrant de vraies avancées, le maire vilipendait les classements évoqués par Jean Duverger faisant appel aux seuls sondages d’habitants, du coup volontaires et subjectifs, plutôt qu’à des données qu’il considère objectives. « Grenoble n’a pas dû aussi bien anticiper que nous sur les problématiques énergétiques. Sinon, on n’y augmenterait pas les impôts de 25 % quand nous, on maintient les taux », assenait Gaël Perdriau.

Grenoble n’a pas dû aussi bien anticiper que nous sur les problématiques énergétiques. Sinon, on n’y augmenterait pas les impôts de 25 %…

Gaël Perdriau, maire de Saint-Etienne

Ajoutant : « Vous verrez, quand des chiffres de la qualité de l’air, ils paraîtront publiquement dans quelques jours, que Saint-Etienne sera beaucoup mieux classé que Grenoble… » Le maire parlait-il là, par anticipation, du palmarès du Point sorti le 8 février ? Très probable. Ce qui expliquerait tout aussi probablement ce communiqué cinq jours après. Il y a deux semaines, Gaël Perdriau avait également appuyer sa défense avec un donnée métropolitaine : – 34 % de gaz à effet de serre (GES) de 2018 à 2020, soit bien plus que les 20 % d’objectif du PCAET (Plan climat air énergie territorial) adopté en décembre 2018. 2020, c’est cependant l’année Covid : à quel point son exceptionnalité a joué sur les GES émis sur le territoire ? Les objectifs de mix énergétique (5,8 % contre 20 % fixés) et d’économies d’énergies (8,9 % contre 20 % aussi) n’ont, eux, pas été atteints. Très probable qu’il y ait eu depuis une accélération sur ce dernier au regard de ce qu’impose le contexte. Faire un point complet sur ce sujet est décidément infiniment plus complexe, du moins sur le fond, qu’établir un classement…

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