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Une autre espèce de jussie envahit à son tour le Forez

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La lutte est âpre. Roannais Agglomération et FNE Loire la mènent depuis 20 ans contre la jussie à grandes fleurs. Plante invasive* ultra nocive pour la biodiversité locale, elle est, chaque année fastidieusement arrachée sur leurs territoires respectifs, le long du fleuve Loire ou sur des étangs à proximité. Mais la problématique se voit considérablement alourdie par la présence établie en 2022 dans le Forez de la version « rampante », probablement plus nocive encore…

Pas moins de 46,34 t pour 62 m3 arrachés, 3 000 heures consacrées par des salariés, 2 200 par des stagiaires, bénévoles, intérimaires et autres services civiques volontaires… C’est le bilan chiffré, cumulé, année après année, de 20 ans de lutte contre la jussie à grandes fleurs par France Nature Environnement Loire (FNE), ex Frapna 42. L’association environnementaliste qui, dans la Loire, en fédère une vingtaine sous sa bannière aimerait bien engloutir son temps et son argent à autre chose. Autre chose qu’à débarrasser les berges de la Loire et plans d’eau foréziens situés sur ses propriétés et même au-delà, de la présence de cette plante invasive. Sachant que la jussie n’est pas la seule à s’approprier éhontément les lieux au détriment des espèces endémiques. Des autres espèces, tout court. La tenace renouée du Japon squatte parfois un peu ces lieux aussi, même si cette dernière a d’abord pour terrain de prédilection les milieux urbanisés en friche du sud Loire.

Zone infectée par la jussie rampante. ©Diane Corbin/FNE Loire

Davantage répandue au cœur du Forez, la berce du Caucase n’est pas mal dans son genre non plus, intensifiant d’ailleurs de son côté également sa présence indésirable ces dernières années. Diane Corbin connait parfaitement le contexte. Elle pourrait facilement parler des heures durant de toutes les plantes invasives auxquelles la Loire forézienne est confrontée. Cheffe de projet et adjointe au responsable du pôle Conservation de FNE Loire, elle a intégré l’association en 2003, l’année même où la jussie à grandes fleurs a été repérée au sein des centaines d’hectares composant « l’écozone » : 13 km de méandres du fleuve Loire et les terrains les bordant entre Montrond-les-Bains et Feurs. Hectares qui sont en grande partie la propriété de FNE Loire avec, au cœur, son fameux site de l’Ecopôle du Forez. Sur cette même « écozone » cependant, l’Etat a confié la gestion publique des berges à l’association.

La jussie asphyxie le milieu naturel

 « Il ne faut pas parler de la jussie mais DES jussie (il y en a 75 différentes !, Ndlr), avertit Diane Corbin. Certaines espèces sont de chez nous. D’autres ont été à l’origine importées de continents pour leur valeur ornementale (c’est la même explication pour la renouée du Japon, Ndlr) au début des années 1830. » C’est le cas de la jussie à grandes fleurs jaunes depuis l’Amérique du Sud* ainsi que de la jussie rampante. On sait qu’elles se sont rapidement « échappées » remontant le sillon rhodanien d’un côté, puis se propageant depuis la façade atlantique de l’autre. Cette plante est amphibie et a donc les pieds dans l’eau, sa tige remontant à la surface pour faire émerger une partie à l’air libre. Et à l’instar de la renouée, elle n’a besoin que d’un misérable morceau de rhizome ou même de fragment pour « faire des petits » et proliférer. Récemment, il a été identifié qu’elle pouvait coloniser d’autres milieux que les plans, cours d’eau et leurs berges immédiates : elle a en effet été repérée il y a quelques années, implantée les « pieds » au sec, dans des prairies relativement éloignées du milieu aquatique…

Notre arrachage est manuel : cette lutte doit être faite dans la dentelle pour être efficace et ne pas provoquer des dégâts collatéraux.

Diane Corbin, FNE Loire

« Cela fait une trentaine d’années que sa présence est avérée dans la Loire. Elle s’est développée à partir d’étangs de chasse connectés à la Loire. Nous l’avons sur nos propriétés de l’Ecozone, à coup sûr, depuis 2003 donc. Depuis nous la surveillons et effectuons des campagnes d’arrachage, du milieu du printemps jusqu’au début de l’automne, parfois jusqu’en novembre. Leur durée, leur ampleur, plus ou moins poussées, dépendent du contexte, des conditions météo notamment. La sécheresse, comme celles de 2022 et 2023, favorise son développement. Notre arrachage est manuel : cette lutte doit être faite dans la dentelle pour être efficace et ne pas provoquer des dégâts collatéraux dans un milieu protégé », explique Diane Corbin. Sans prédateur efficace sous nos tropiques pour la remettre à sa place, la jussie se reproduit librement. Il n’y a pas que le souci de son étalement, il y aussi le fait qu’elle ne partage rien. La Jussie confisque l’oxygène, empêche la lumière de traverser la surface et entrave les déplacements des poissons, voire humains.

La jussie rampante, « pire » que celle à fleurs

La beauté fatale de la jussie à grandes fleurs. ©Diane Corbin/FNE Loire

Pour ne rien arranger, son pic de croissance a de quoi rendre jaloux un ministre chinois de l’Economie : à l’apogée de son développement, une zone infestée double sa superficie en 15 jours. Elle peut ainsi se répandre sur toute la surface d’un étang, et donc y asphyxier toute autre forme de vie végétale ou animale. S’étendre, enfin, de manière tout aussi mortifère pour toutes autres depuis les berges jusqu’à une dizaine de mètres au milieu d’un cours d’eau, ici, en l’occurrence le fleuve Loire. Au nord du département, Roannais Agglomération tente de prendre en charge la situation du barrage de Villerest à la Saône-et-Loire, y compris sur les étangs. Plus en amont, jusqu’à Montrond, c’est donc avant tout l’affaire de FNE Loire, bien que cette lourde démarche annuelle, à la « Sisyphe », bénéficie à tout le département. Jusqu’en 2015, l’association pouvait compter sur des financements de la Région (entre autres) à ce sujet. Ce n’est donc plus le cas.

Toutefois, « nous avons parfois obtenu des aides financières pour nos campagnes d’arrachage de la part du privé : une mesure de compensation, par exemple, à la suite d’une extension d’une carrière très proche de nos propriétés en 2015 ayant une incidence sur les niveaux d’eau de l’Ecopôle. Ces abaissements de niveau (problématique permanente, justement, pour la biodiversité de la Loire forézienne en raison des activités du barrage de Grangent, Ndlr) favorisent en effet l’extension de la plante », précise Diane Corbin. C’est dans ce contexte déjà peu évident que la présence d’une seconde espèce de jussie envahissante* a été établie : la version rampante, aux effets comparables sur le milieu à celle à grande classique mais « en pire, apparemment », note Diane Corbin. Présence dans un premier temps soupçonnée par FNE Loire sur ses propriétés. C’était en 2021.

125 zones infestées repérées en 2022 

Opération d’arrachage de la jussie à grandes fleurs menée par FNE Loire. ©Diane Corbin/FNE Loire

Dans le cadre d’un appel à projets annuel du Département de la Loire autour de la lutte contre les plantes invasives, l’association avait, là, pu obtenir de la collectivité le financement à 80 % d’une « expédition de repérage » de plusieurs jours en canoë afin de vérifier si une seconde invasion rampante était véritablement en cours dans la Loire forézienne. Résultat de la prospection ? De Grangent à Balbigny, ce sont 125 « stations », c’est-à-dire autant de zones infestées – sur une superficie allant de quelques à plusieurs dizaines voire centaines de mètres carrés – qui ont été identifiées. Une autre espèce de jussie est donc bien en train d’envahir le Forez à toute vitesse. C’est la première fois que la version rampante était ainsi officiellement identifiée dans la Loire. Au sud, à Saint-Just-Saint-Rambert, il a été constaté que l’étang David, espace naturel sensible au Département abritant de nombreuses espèces animales et végétales fragiles et protégés, est touché (la collectivité y mène directement des arrachages). Mais il n’est pas connecté à la Loire, donc la contamination – accidentelle ? Plus ou moins volontaire (il suffit de vider le contenu d’un aquarium avec la plante) ? – y a été probablement faite de manière isolée.

FNE Loire mise d’avantage sur un étang situé à Unias, ex-sablière, comme probable épicentre de cette diffusion rampante. Son triste constat réalisé, FNE a alors alerté la Fédération de pêche, la DDT Loire (Etat), le conseil départemental et réunit tout ce monde-là pour un point spécifique, début octobre 2022, auquel se sont aussi joints la Fédération départementale des chasseurs et la mairie d’Andrézieux-Bouthéon. Des étangs appartenant à cette dernière en bord de Loire étant contaminés. Titre de la réunion : « Les Jussies sur la Loire forézienne, état des lieux et pistes d’action ». « Pour certains points de vue, c’était peine perdue. Pour d’autres, c’était au contraire le moment ou jamais d’agir à la racine avant que la rampante ne devienne complètement incontrôlable. Au bout de quelques mois, une stratégie de lutte partagée a pu se mettre en place », relève FNE Loire. Les appels à projets du Département contre les plantes invasives se poursuivent et l’association, comme d’autres acteurs (la commune d’Andrézieux-Bouthéon sur l’arrachage par exemple), a pu depuis obtenir des financements (toujours à 80 %) pour poursuivre les actions de recensement. En espérant que ce dispositif ne soit pas écarté dans le cadre de la révision par la collectivité de son Schéma départemental des milieux naturels.   

L’Etat va y consacrer 330 000 € dans la Loire

Zoom sur un plan de jussie rampante. ©Diane Corbin/FNE Loire

Pour ce qui est de l’essentiel arrachage de l’émergente jussie rampante le long de toute la Loire forézienne et des étangs à proximité, l’Etat va cette fois particulièrement mettre la main à la poche. Il a fallu, toutefois, parcourir d’autres méandres. Administratifs ceux-là, via le « fonds vert ». Celui-ci a bien accordé de l’argent national, principalement consacré à un plan d’arrachage d’ampleur confié, non à FNE 42, mais à une entreprise paysagiste privée. Cela un an après la réunion de l’automne 2022. Ce fonds vert prévoit ainsi, sur 3 ans, 330 000 € à la lutte dont 240 000 € pour cette campagne d’arrachage en trois étapes : 115 000 € la première année, 75 000 € la deuxième et 50 000 € la troisième. Le pronostic des partenaires étant en effet qu’un arrachage initial poussé permettrait de faire face les deux années suivantes à des besoins décroissants. Mais faute d’aboutissement administratif plus précoce, la campagne triennale censée être lancée 2023, selon ce pronostic, ne commence que cette année. Il y a une semaine, le lancement était imminent. Il faut espérer que ce ne soit pas déjà trop tard.

* En France, les deux espèces de Jussie invasives que sont celle dite à grande fleur (Ludwigia grandiflora) et celle dite rampante (Ludwigia peploides) ont été signalées comme ayant été accidentellement introduites dès 1820-1830 dans le Lez à Montpellier, puis rapidement considérées comme naturalisées dans le Gard et dans l’Hérault. De là, elles ont gagné la Bretagne, le Sud de la France puis remontent progressivement vers le nord et l’est.

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