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La Chambre régionale des comptes jette un froid sur la gestion de Chalmazel

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Chalmazel
Le télésiège fonctionnera à partir de ce mardi. ©CVDG

A la suite d’une enquête financière menée début 2023, la Chambre régionale des comptes (CRC) Auvergne-Rhône-Alpes émet dans son rapport de sérieux doutes sur la pertinence de la gestion de la station menée par le Département de la Loire. Qu’il s’agisse du fonctionnement, sous perfusion, ou de son plan de développement jugé inadapté au changement climatique. « La Chambre confirme notre analyse exprimée depuis 10 ans ! C’est un réquisitoire », en déduit l’opposition. « Nous nous adapterons aux préconisations mais une transition 4 saisons réclame du temps », rétorque la majorité qui n’envisage pas une seconde « l’abandon » de Chalmazel.

« J’ai hâte de lire les conclusions à propos des 25 autres stations. Vous connaissez l’adage : quand on se regarde, on se désole, quand on se compare, on se console ! » Il n’est pas pour autant dans l’intention de Jean-Yves Bonnefoy, vice-président 2e vice-président en charge du sport, de la jeunesse et des loisirs de minimiser l’importance du rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC) Auvergne-Rhône-Alpes sur la station de Chalmazel à la suite de son enquête menée au premier semestre de cette année qui s’achève. Examen de contrôle de ses comptes de gestion depuis 2017 jusqu’à 2022 dont il convient de rappeler qu’il s’inscrit, comme le dit le rapport dans son introduction, dans le cadre d’une enquête nationale. Celle « des juridictions financières relative aux acteurs publics locaux du tourisme hivernal face au changement climatique en montagne ». 25 autres stations françaises de moyenne montagne impliquant un investissement public ont vu ou verront, comme Chalmazel, leurs comptes et leurs projets épluchés par les magistrats.

66 000 journées skieurs en 2021/22 pour 96 jours d’ouverture à Chalmazel contre 6 908 pour 43 jours en 2019/2020, année plus touchée par la pénurie de neige que le Covid. ©CVDG

Dans la Loire, l’ampleur et la justification de l’implication du Département à propos de la station de Chalmazel font débat depuis longtemps. Nous y avions consacré un premier dossier, il y a 11 mois, alors que la collectivité venait de voter un investissement de 10 M€ pour un plan d’aménagement visant à en faire d’ici 2028, « une station quatre saisons ». Enveloppe visant donc aussi bien à développer l’attractivité hivernale que celle estivale. Cela dans un contexte interprété comme un « premier coup de semonce » par le groupe d’opposition de gauche « Loire en commun ». Celui du rendu d’un avis de la Mission régionale d’autorité environnementale (MRAE) sur ce même projet de réaménagement de la station : « Le choix d’augmenter la capacité de production de neige de culture dans un secteur de moyenne montagne nécessite d’être justifié, dans le contexte actuel d’augmentation des températures moyennes, de diminution de l’enneigement et de raréfaction de la ressource en eau. » 

« Totalement dépendante du soutien départemental »

Déjà associé à la commune dans un syndicat mixte de gestion de 1977 à 2003, le Département de la Loire est en effet l’autorité organisatrice des remontées mécaniques de la station via une délégation de gestion conventionnée avec la municipalité de Chalmazel-Jeansagnière. Gestion assurée par une régie départementale elle même administrée, sous l’autorité du président du conseil départemental, par un conseil d’exploitation. Pour des questions d’impératifs réglementaires, d’ordre national, la régie a été dotée d’une autonomie financière en 2022. Si son conseil d’exploitation peut prendre des décisions de gestion, celles-ci restent toutefois à valider par l’assemblée ou sa commission permanente. Créée dans les années 1930, le domaine (à l’altitude oscillant entre 1 108 m et 1 583 m) de la station de Chalmazel compte sept téléskis, un télésiège, 12 km de pistes de ski alpin, un snow park d’altitude et 119 km de pistes balisées ainsi que 25 km de piste raquette balisée.  

Extrait du rapport de la CRC Aura.

Dans son rapport qui analyse les comptes de gestion depuis 2017 et les projets d’investissements à venir et passés, La CRC Aura juge que la situation financière est « en apparence saine mais totalement dépendante du soutien du Département de la Loire ». Mais aussi que « le niveau de recettes dépend trop de l’aléa climatique ». Cela dans un contexte de réchauffement climatique condamnant chaque année un peu plus les probabilités d’un enneigement suffisant, étude de comparaison l’enneigement dans les Alpes à l’appui : à une altitude de 1 325 m, – 37,7 cm de hauteur moyenne de neige constaté entre 1990 et 2020 par rapport à la période 1960 / 1990. La station de Chalmazel fait l’objet d’un budget annexe rattaché au budget principal du Département. Sa capacité d’autofinancement brute a, certes, progresser mais « grâce au versement de la subvention de la part du budget principal (du Département, Ndlr) qui représente plus d’un quart de ses recettes réelles d’exploitation. Sans cette subvention, la capacité d’autofinancement brute aurait été négative pour la plupart des exercices comptables examinés par la Chambre. »

Une subvention d’équilibre prohibée ?

Le Département a en effet accordé une subvention d’équilibre d’environ 500 000 € trois ans de suite : en 2017, 2018, 2019. Puis d’1,1 M€ en 2020 et 650 000€ en 2021. Hausse du montant liée à la fois au Covid – l’Etat s’est d’ailleurs aussi ajouté au secours financier en 2021 – et au manque de neige ces deux années-là (temporellement, les comptes sont déconnectés d’une logique à cheval sur deux années : 2022/22 ; 2022/23, ce qui n’arrange pas la lisibilité) réduisant fortement la fréquentation et donc les recettes. Mais, à nouveau, une subvention d’équilibre d’1,1 M€ a été accordée par le Département en 2022, année davantage favorable en enneigement, donc en fréquentation et au niveau des recettes qui en découlent. Certes, ces subventions d’équilibre se justifient aussi par des investissements d’équipements, comme ceux liés aux travaux d’inspection du Télésiège des Jasseries ainsi que son adaptation à un objectif de débits de 1 800 personnes par heure à la descente (450 précédemment) en 2018/2019 pour un total d’1 M€. Mais il faudra sans doute remettre 0,5 M€ dès 2026 à la prochaine inspection et à nouveau en 2030, soit juste pour l’entretien…

Le Département argue de l’aspect service public de la station : ses investissements permettent aux Ligériens, scolaires ou non, d’accéder à l’activité. ©DR

Surtout, selon l’analyse de la CRC Aura, ce versement de subventions d’équilibre qui représente plus d’un quart des recettes réelles d’exploitation de la station de 2015 à 2022 (82 % en 2020, 40 % en 2018, 2021, 2022) dérogerait au principe d’équilibre en recettes et dépenses des budgets des services publics à caractère industriel ou commercial (Spic) exploités en régie posé par l’article L. 3241-4 du CGCT, Code général des collectivités territoriales. « L’article L. 3241-4 du même code précise qu’il est interdit aux Départements de prendre en charge leur budget propre au titre de ces services publics, des dépenses autres que celles résultant de traités ou cahiers des charges dûment approuvés. » Dans sa réponse à la CRC sur ce point de légalité, le président Georges Ziegler fait part d’une autre analyse : des dérogations au principe des Spic sont prévues par l’article L.2224-2 du CGCT pour les communes et peuvent ici s’appliquer en raison de la convention entre la municipalité et le Département car il s’agit bien « d’un service communal », même si délégué.

Des charges qui explosent

La Chambre, elle, n’en démord pas : « Il n’est pas établi que la subvention versée chaque année soit complètement justifiée par des contraintes de service public ou des investissements identifiés et évalués. Cette aide doit dès lors être regardée comme une subvention d’équilibre prohibée. » Georges Ziegler, insiste, encore en réponse, sur le caractère de service public de la station permettant de maintenir des tarifs acceptables pour les Ligériens et de faire venir un public, scolaire ou non, qui en serait sinon privé… Reste que, déjà en augmentation précédemment les deux années précédentes, les dépenses réelles de fonctionnement ont explosé de 2019 à 2022, passant de 937 000 à 1,6 M€ sans corrélation systématique, donc, avec une hausse des recettes hors subventions. Même s’il faut noter que les ventes des produits et charges d’exploitation sont passées de 790 000 euros à 1,065 M€ entre 2019 et 2022 (nous écartons volontairement les deux années 2020 et 2021 perturbées en partie par le Covid en plus d’un enneigement très bas). Le transport de skieurs jusqu’en haut de pistes étant assez comparable entre 2019 et 2022 (négligeable l’été : 4660 en 2017, 466 € en 2022…), la progression obtenue grâce à l’offre de restauration essentiellement, reprise par le Département.

Extrait du rapport de la CRC Aura.

Les charges générales comprennent pour plus de la moitié des dépenses d’eau et énergie ainsi que l’entretien et la réparation d’équipements : elles passent de 420 000 € en 2019 à 672 000 en 2022, hausse de l’énergie et des recours aux canons à neige, dont le nombre a augmenté (+ 6 selon la majorité, davantage selon l’opposition), obligent. Les Charges de personnel, elles aussi ont presque doublé entre 2019 et 2022, passant de 500 000 à 922 000 €. « Il y a plusieurs facteurs d’explication, justifie J.-Y. Bonnefoy. Une année de double direction en raison d’un passage de main, le recrutement de deux permanents supplémentaires (de 6 à 8), la reprise de la restauration – autrefois déléguée – avec sa nouvelle offre plus adaptée aux besoins, comme le montre son succès, correspondant à elle seule à 25 % des charges de personnel. L’autonomie financière de 2022 a induit des salaires d’agents transférés du budget principal au budget de la régie. Il y a enfin une hausse de 15 % du Smic de 2019 à 2022. »

Appel à « la plus grande prudence »

Estimant le modèle de fonctionnement trop dépendant d’un enneigement très incertain, invitant le Département à la « plus grande prudence » sur les investissements liés au ski, la CRC juge aussi les projets de développement 4 saisons « irréalistes » environnementalement et financièrement avec un scenario excessivement positif, par exemple en tablant sur une augmentation des… jours d’enneigement, donc des revenus liés au ski. La remarque est valable aussi pour les activités hors ski ou encore le projet de développement d’hébergements pour toute l’année (+ 5 000 m2 + un pôle d’hébergement commercial de 1 100 m2) dont le caractère privé ou public n’est pas déterminé. « Néanmoins, les friches immobilières existantes n’augurent pas d’un financement privé… » Et « sa réalisation occasionnerait une nouvelle artificialisation des sols ». Conclusion : « Au regard des incertitudes climatiques, du coût environnemental et d’un risque de faible attractivité, ce projet anachronique et onéreux devra vraisemblablement être interrogé en profondeur. » La lecture du rapport fait dire à Pierrick Courbon, président du groupe d’opposition la Loire qu’il s’agit d’« un véritable réquisitoire contre la gestion actuelle de la station et ses projets de développement hiver comme été. »

Le recours accru aux canons à neige est dénoncé par l’opposition départementale. ©CVDG

L’élu socialiste considère « que la CRC a validé point par point, brique par brique, tout ce que nous dénonçons depuis une dizaine d’années. » Sur la pratique skiable « confortée par la politique du Département, elle démontre le maintien onéreux des équipements actuels et des consommations énergétiques et d’eau en forte hausse et établit des indicateurs d’activité ski tous mauvais et inférieurs à la médiane des petites stations. Les choix précédents étaient déjà coûteux. Ils le sont encore plus avec le réchauffement ». Sur l’évolution 4 Saisons avec de nouvelles activités estivales, « rien de significatif n’a été concrétisé, cela s’éternise. Mais de toute façon, les choix de diversification n’ont rien de transcendants et entrent en concurrence avec les activités déjà en place dans les territoires environnants. Mise à part le projet de luge sur rail mais celui-ci est au point mort et décrit par la CRC « comme onéreux, impactant pour l’environnement », avec « un coût d’entretien non-déterminé et à la rentabilité hypothétique ». »

« Nous n’abandonnerons pas Chalmazel »

Il y a, aussi, « le projet immobilier de construction d’hébergements dont la CRC confirme la faible attractivité pour des investisseurs privés. Ce qui fait reposer le risque financier sur le Département, tout en évoquant une forte artificialisation des sols, à rebours des impératifs environnementaux actuels.» Bref, « la CRC le dit, comme nous : tous les choix sont anachroniques et les études justifiant les plans sont aussi onéreuses que légères sans compter qu’il faut sans cesse les refaire ». Il y a enfin, pour Pierrick Courbon, la réponse du président Georges Ziegler aux conclusions de la CRC « aux antipodes des propos tenus en Assemblée départementale. Celui-ci écrit en effet : « c’est un fait, le plan de développement imaginé ne semble plus soutenable en l’état » et que le Département a pris « la décision de réfléchir à de nouvelles orientations », dont nous n’avons jamais entendu parler ! Mais enfin ! Il n’a pas fallu attendre 2023 pour comprendre que l’enneigement à cette altitude sera de plus en plus rare. C’était déjà le cas en 2018. Ce n’est pas une question d’être pro ou anti-Chalmazel, mais celle d’une utilisation rationnelle de l’argent public. »

Cela n’a pas être tabou : à l’heure de difficultés financières montantes, le Département doit se poser la question de conserver la gestion de la station.

Pierrick Courbon, président du groupe d’opposition Loire en commun

Alors que faut-il faire de cette station à ses yeux ? « A minima, remettre à plat le plan de passage à 4 saisons en diminuant ses coûts et en arrêtant d’aller contre la nature, aller vers plus sobriété environnementale et financière. Et au-delà, oui, cela n’a pas être tabou : à l’heure où il est confronté à des difficultés financières montante, le Département doit se poser la question de conserver cette gestion, quitte à la transférer à Loire Forez, si l’intercommunalité y croit. » Jean-Yves Bonnefoy défend le point de vue contraire. Celui de la majorité clame que « non, nous n’abandonnerons pas la station de Chalmazel. Si ce n’est pas nous qui nous en occupons, elle fermera. C’est une question d’aménagement du territoire, de répercussions économiques pour un territoire, des monts du forez, qui a beaucoup souffert. » En particulier, au niveau démographique, comme l’illustre à elle seule la commune de Chalmazel : à la veille de sa fusion avec Jeansagnière en 2015, elle avait vusa population divisée par 3,2 en un siècle (1 233 habitants en 2011, 388 en 2013). Alors, hors de question « d’oser le vide » pour la majorité.

L’argument social

La CRC reprend d’ailleurs, elle-même, dans son rapport des données d’évaluation d’impact économique transmises par le Département lui-même et issues de données de l’Office de tourisme de Loire et de la commune de Chalmazel-Jeansagnière. Le chiffre d’affaires moyen annuel à 700 000 €  HT générerait 700 000 € HT de retombées économiques périphériques sur les commerces au pied des pistes. Et plus globalement 1,4 M€ HT de retombées commerciales et touristiques sur les Monts du Forez. La régie, au moment de l’enquête, employait, elle directement, huit permanents et 34 saisonniers en période de sports d’hiver, deux en été. Son activité induirait 100 emplois indirects en hiver et 12 en été. Jean-Yves Bonnefoy met aussi dans la balance l’aspect social de la station avec ses tarifs bas, un accès facilité pour les scolaires, un taux d’apprentissage important et une EFS (Ecole française de ski) débordée par les sollicitations dès lors que la neige est là. Environnementalement, le vice-président met en avant ces « 60 000 forfaits de ski une bonne année qui s’achètent à proximité des zones au lieu d’aller dans les Alpes en effectuant un trajet plus long, plus impactant. Nous facilitons l’accès en transport en commun avec des billets Til offerts aux acquéreurs de forfaits ».

Oui nous allons revoir la copie mais il faut aussi nous laisser du temps pour mettre en place notre plan 4 saisons et enfin évaluer cet investissement public à l’échelle de l’attractivité d’un territoire.

Jean-Yves Bonnefoy, vice-président en charge du sport et de la jeunesse

Et de relativiser la ponction en eau pour la neige de culture : « Nous avons consommé en 5 mois d’hiver 2022/23 78 000 m3 d’eau pour les canons à neige, soit 0,02 % du débit moyen du Lignon. » Alors, « oui, nous prenons en compte ces préconisations, oui nous allons revoir la copie mais il faut aussi nous laisser du temps pour mettre en place notre plan 4 saisons et enfin évaluer cet investissement public à l’échelle de l’attractivité d’un territoire. Les recettes hors remontées mécaniques progressent, leur proportion est passé de 5 % à 25-30 %. L’évolution de l’offre de restauration aux Epilobes a bien fonctionné l’été dernier. Nous ne sommes pas des inconscients vis-à-vis de l’enneigement : nous avons d’ailleurs commandé une étude précise au cabinet privé spécialisé Climsnow pour avoir une idée plus précise du climat et donc de la neige à Chalmazel en 2050. Et s’il n’y a plus de neige qu’une année sur 10, on en tira les conclusions sur l’activité ski. Mais on ne va pas tout arrêter brusquement, du jour au lendemain. » Décidément, pas évident de débrouiller les pistes quant au maintien de la station.

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