Moins d’une dizaine de retenues collinaires par an s’ajoutent aux 550 existantes
Une estimation, celles abandonnées en raison de la déprise agricole, échappant à un comptage précis de la DDT Loire (Direction départementale des territoires). Pour ce qui est des projets de nouvelles retenues, fait essentiellement agricole souvent controversé, bien que l’on soit dans le département très loin du contexte des fameuses « méga-bassines », la réglementation s’est durcie en 2021. Mais la préfecture dit mener une action partenariale avec la Chambre d’agriculture pour mieux accompagner les créations très encadrées. Etat des lieux et débat.
Ne noyons pas d’emblée le poisson mais la comparaison : il n’y a pas dans la Loire, de projets équivalent aux « méga-bassines » qui ont tant défrayé et défrayent la chronique en France. Parce que l’agriculture extensive y est certes existante mais peu présente par rapport à la moitié nord de la France et ses infinis champs céréaliers. Et parce qu’il n’y a pas de projets de ce type consistant à pomper les nappes phréatiques en hiver, nous assure la préfecture de la Loire. D’autant que pour s’abreuver, notre département a pour particularité de devoir d’abord compter sur ses eaux de surface, c’est-à-dire ses cours d’eau, à plus de 70 %, quand la proportion en France, est en moyenne, grosso modo, inverse. Dans la Loire comme ailleurs, les retenues collinaires existantes peuvent avoir des origines qui remontent à la nuit de temps, héritage à une galaxie de nos actuelles normes, législation (première loi sur l’eau en 1962 refondue en 1992 et à nouveau depuis) et débats. Certaines sont des simples trous qui captent l’eau de ruisselant des pentes ou tombant directement dedans.
D’autres se mettent en partie en travers des cours d’eau, formant ainsi de petits barrages sans commune mesure cependant avec les 15 grandes structures consacrées à l’eau potable dans le département. Combien en a-t-on chez nous ? Le dernier état des lieux assez récent – il date de quelques années – estime leur nombre pour celles non abandonnées « à 400 pour ce qui est des retenues dites collinaires (ou dit de substitution), 150 en ce qui concerne les retenues en travers de cours d’eau. A plus de 90 % elles appartiennent à un ou plusieurs agriculteurs et servent à leurs activités », a répondu en personne à If le préfet Alexandre Rochatte à la suite de notre sollicitation auprès de la préfecture. L’été 2022 suivi d’un hiver catastrophique en précipitations, la prise de conscience par les pouvoirs publics, certes tardive mais, au moins en partie, réelle de la raréfaction de l’eau, les débats et la « tension » extrême entre pour et contre (synthèse des arguments en cliquant ici) « méga bassines » et enfin le « plan eau » présenté le 30 mars par Emmanuel Macron… tout cela doit pousser à davantage de communication. Tant mieux.
18 mois de démarches grand minimum
Il y a les très vieilles retenues donc, forcément hors cadre, dont ont hérité des exploitants agricoles actuels, sinon abandonnées en raison de la déprise agricole et « quelques-unes qui, effectivement créées dans les années 70 et 80, l’ont été sans autorisations, observe le préfet. Aujourd’hui, sur chaque projet, de toute façon soumis à autorisation, tout est cadré comme jamais. Il faut fournir un dossier soumis à la DDT. Dans la Loire, l’Etat mène un projet précurseur depuis 2017 : un partenariat avec la Chambre d’agriculture et l’Office de la biodiversité au regard d’une proportion de dossiers n’ayant pas pu aboutir sur les 35 enregistrés depuis cette date. Précisons qu’il n’y a plus de projets se mettant au travers de cours d’eau. » Il faut dire que la réglementation sur les zones humides s’est durcie en 2021. Ce qui n’y est pas étranger étant donné que monter un dossier n’a rien d’évident : c’est à l’agriculture ou au collectif d’agriculteurs souhaitant créer une retenue de démontrer sa faisabilité économique, technique (sécurité, pas de fuite) et son impact environnemental suffisamment réduit (du moins tel que le définit la réglementation).
Il faut aussi rappeler que ces retenues, très cadrés sur leur impact, créent de nouvelles zones humides favorables à la biodiversité.
Alexandre Rochatte, préfet de la Loire.
Ce qui exige de commander donc des études à un tiers. Si le projet obtient le feu vert, ce n’est pas l’Etat français mais l’UE par l’intermédiaire de la Région qui peut éventuellement subventionner jusqu’à 40 % l’investissement pour un individuel, 70 % si collectif. Ce qui n’arrange sûrement pas les méandres bureaucratiques. Aussi, la lassitude – il faut compter neuf mois d’enquête publique si le dossier présenté est complet et donc, nous précise la chambre d’agriculture, au grand minimum 18 mois de démarches, plus souvent 24 mois –, « les exigences environnementales, l’impact trop fort sur les bassins versants mais aussi les obstacles économiques », souligne Alexandre Rochatte ont eu raison de plus d’un projet même si, ajoute le préfet, « il faut rappeler que ces retenues créent de nouvelles zones humides favorables à la biodiversité et que nous avons tant fait disparaître jusque-là ». Par rapport aux 35 projets en déshérence depuis 2017, une quinzaine a pu être relancée. Aucune création à venir ne se mettra en travers de cours d’eau donc.
Certains projets dépassent les 800 000 m3 tout de même
Mais, en revanche, des dossiers captant l’eau dans les alluvions le long de rivière, comme celui collectif et qui a le feu vert « dans le sud Loire » (Ondaine ? Gier ? Sur un de leurs affluents ; nous ignorons où exactement), le long du canal du Forez (cours d’eau artificiel qui sert déjà largement à l’irrigation). Si un projet d’ampleur envisage de pomper dans les alluvions de la Loire, le fleuve… Rhône est aussi, lui aussi, sollicité par des Ligériens via ce projet de rattachement des arboricultures du Jarez au système déjà en place dans le département voisin et jusqu’aux frontières de la Loire. Selon les chiffres donnés par la DDT, les plus gros projets collectifs – plusieurs agriculteurs sur une à plusieurs retenues – qui concernent la Loire amèneraient des réserves d’une capacité dépassant les 800 000 m3 ! Ce n’est pas rien, en volume, quand on sait que les « méga-bassines » approchent ou atteignent ce niveau là aussi, même si encore une fois, pomper une nappe phréatique et espérer profiter de l’eau de ruissèlement hiver comme été, via les gros orages, n’a rien à voir.
L’eau n’appartient à personne et nous avons tout à fait conscience qu’elle est à partager entre tous les usagers.
Nicolas Charretier, élu à la Chambre d’agriculture Loire
Cette capacité potentielle de nouvelles réserves n’est pas non plus celle des projets lambda, de quelques milliers à quelques dizaines de milliers de mètres cubes, autorisées dans la Loire au rythme de moins d’une dizaine par an (« 5-6 », dit la Chambre d’agriculture) depuis 2021. Et la DDT précise que les exigences sur la limitation d’impact mesurent précisément le ruissèlement qu’il risque de « manquer » aux débits des cours d’eau à partir des données référentes en sa possession, jusque loin en aval et donc hors du département pour les plus importants, c’est-à-dire à l’échelle des Agences de l’eau Loire-Bretagne / Rhône-Méditerranée. « L’eau n’appartient à personne et nous avons tout à fait conscience qu’elle est à partager entre tous les usagers. Après, oui, l’agriculture a beaucoup de besoins et des étés comme celui de 2022, beaucoup moins cette année, mettent en danger des productions », observe Nicolas Charretier, producteur laitier des Monts du lyonnais, élu depuis 2015 à la Chambre d’agriculture où il est en charge des problématiques de l’eau. Fourrage, abreuvement du bétail, irrigation (7 % de la surface agricole dans le département est irrigué) : les besoins ne manquent pas
« Laissez-nous du temps, laissez-nous nous adapter »
Mais une retenue a un coût prohibitif : « Il faut compter en moyenne 150 000 € dans la Loire, pour des stockages, toujours en moyenne, de 20 000 m3. Ce qui correspond à l’irrigation annuelle de 7 à 10 ha selon les années. » Sur les nerfs vis-à-vis de la réglementation en général (en particulier à propos des produits phytosanitaires) et de « l’agri-bashing », les agriculteurs de la Loire arguent régulièrement le fait que la France, qui plus est dans un département comme le leur relativement peu concerné par l’intensif, a, de loin, un encadrement le plus poussé du monde, et que leur situation économique précaire ne leur permet pas de suivre le rythme d’exigences toujours plus poussées. « Laissez-nous du temps, laissez-nous nous adapter, comme nous le faisons maintenant depuis des décennies vis-à-vis de l’environnement. Si nous disparaissons et nous sommes en train de disparaître, c’est l’autonomie alimentaire du pays qui va disparaître aussi. Alors, on devra importer une nourriture de moins bonnes qualité, issue de pratiques agricoles autrement plus catastrophiques que les nôtres pour l’eau et l’environnement en général », pouvait-on par exemple entendre en février lors d’une manifestation à Saint-Etienne en février de la FDSEA et des Jeunes Agriculteurs.
Loin de s’échanger au visage petites phrases, vendetta sur les réseaux sociaux et autres quolibets, « dans ce département, nous échangeons réellement et sereinement avec tout le monde : FNE, Etat, Fédération de pêche, assure Nicolas Charretier. Nous ne sommes pas toujours d’accord oui, mais on essaie de se comprendre et de trouver des terrains d’entente. Je tiens à ce dialogue. Après, cela reste parfois difficile avec l’administration entre le discours et les actes. Quand vous avez trois réponses paradoxales de trois agents différents sur la réglementation… je crois qu’ils s’y perdent aussi. Personne n’est parfait, nous non plus. Cependant, stop aux clichés. Oui, comme dans chaque profession il y a des gens qui font n’importe quoi. Mais il ne faut pas généraliser à cent irrigants celui que vous venez de voir arroser à côté sur une route, au mauvais moment, etc. De nos jours, nous utilisons des outils comme les capteurs d’humidité des sols, des bulletins hebdomadaires pour lancer l’irrigation au bon moment. Ça ne se fait pas au doigt mouillé. Les arboriculteurs du Jarez y vont à coup de goutte à goutte ! »
Un problème plus large pour FNE Loire
Bruno Lemallier co-président depuis cinq ans de France Nature Environnement (FNE) Loire, contacté par If Saint-Etienne, confirme ce dialogue relativement serein malgré les points de vue opposés. D’ailleurs, « nous ne sommes pas forcément contre l’idée de retenue collinaire quand c’est pertinent et bien fait. La réglementation est là et n’a pas que des défauts. Et c’est vrai que la Loire est loin d’être le département le plus problématique par rapport à ce qui peut se tramer ailleurs, comme l’hérésie absolue – environnementalement, agronomiquement – que sont les « méga-bassines » pompant dans les nappes. Mais il faut se montrer extrêmement prudent, d’autant plus que l’on utilise de l’argent public pour cela, vis-à-vis des écosystèmes en qui peuvent être balayés en aval. » Si Nicolas Charretier fait remarquer qu’avec le réchauffement climatique, une retenue peut profiter des trombes d’eau brusques ruisselant en période estivale sans du coup d’effets sur le cycle de l’eau, pour le représentant de l’association de défense de l’environnement, le danger est aussi là.
Nous ne sommes pas forcément contre l’idée de retenue collinaire quand c’est pertinent et bien fait.
Bruno Lemallier co-président de FNE Loire
« L’eau doit s’infiltrer avec les mêmes volumes qu’avant en hiver. Cela part dans le sol ou les rivières pas pour rien. L’été, si c’est pour que tout s’évapore sous l’effet du soleil… » Mais avec une perte de 20 à 50 mm par an du nord au sud liée au réchauffement, Bruno Lemallier préfère élargir la problématique à nos pratiques agricoles en général. « Ce n’est pas la faute de la plupart des agriculteurs qu’il convient d’accompagner réellement pour en sortir, mais notre modèle agricole est à revoir en profondeur et ça, ça vaut bien plus que de durcir des réglementations. Si, déjà, vous avez des sols épuisés, surexploités qui ne retiennent plus rien… Il n’y a pas de réponse simple mais la réflexion doit être globale. Nous avons besoin d’une logique de sobriété généralisée. Pas seulement pour les agriculteurs qui se font taper sur les doigts alors que l’on remplit des piscines dans des lotissements à côté de chez eux. Oui, l’interdire ne va pas nous sauver la situation mais moralement, c’est catastrophique et la population ne se sent souvent pas concernée… » L’eau est pourtant son problème numéro un. De loin puisqu’en amont de tout.