« Heureux de voir que l’esprit “sale gosse” de Charlie perdure »
À l’heure où s’est ouvert le procès des attentats de janvier 2015 contre la rédaction de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’Hyper Casher, où en est-on de la place de la presse en France, de sa liberté. Nous avons souhaité en discuter avec le président du Club de la presse et de la communication Saint-Etienne Loire, Eric Laisne.
Que pensez-vous du fait que Charlie Hebdo ait décidé de republier cette semaine les caricatures ayant entraîné les attaques des djihadistes ?
Quand j’ai vu qu’ils republiaient la même couverture, ça m’a fait immédiatement rire et je me suis dit “ils sont toujours aussi cons”. Car c’est ça l’esprit Charlie : l’irrévérence, l’irrespect, la critique acide, la provoc’… et l’art d’enfoncer le clou jusqu’au bis-repetita, comme c’est le cas aujourd’hui. Je suis heureux de voir que l’esprit “sale gosse” de Charlie perdure et que la très grande majorité des journalistes et personnalités des médias approuvent cette réédition. Un signe qu’on peut encore tout dire, exprimer et oser actuellement même si les audacieux ne sont pas très nombreux.
En tant que président du Club de la presse, pensez-vous que la liberté de la presse en France a évolué depuis ces événements ? Si oui, comment ?
Tout d’abord, tout président du Club que je suis, ma formation et mon expérience professionnelle n’est pas celle d’un journaliste. Aussi, il me serait difficile de répondre à cette question qui mériterait d’être scientifiquement analysée ; il faudrait lancer un sondage auprès des journalistes ou analyser les angles éditoriaux des éditions en France sur plusieurs années pour dresser un état de la presse et de sa liberté d’expression.
« Oui, il y a défiance et méfiance envers la presse. Le complotisme, gavé par les réseaux sociaux, est l’une des sources de cette distance vis-à-vis des médias et de la presse. »
Maintenant, à tous niveaux, j’ai l’impression que le métier est de plus en plus difficile et que le journaliste, en tant que rédacteur a de moins en moins de plaisir et de facilité à s’exprimer personnellement. Une tendance qui s’expliquerait par des lignes éditoriales de plus en plus strictes, laissant peu de liberté de ton au journaliste, ainsi qu’à un conformisme dans la procédure de l’écriture même, gangrenée par le web avec des obligations de redondance des mots-clefs facilitant le référencement, le support image prépondérant à la rédaction… Un mécanisme qui ne va pas dans le bon sens. Ajoutons à cela, l’enjeu économique auquel toute édition doit faire face. Pour vendre au plus grand nombre, il faut plaire au plus grand nombre et pour ce faire, les éditions s’orientent bien souvent vers une ligne éditoriale la plus politiquement correcte pour satisfaire, convaincre ou conquérir le plus de lecteurs. Difficile dans ce contexte de parler de liberté de la presse, tout du moins à l’échelle individuelle.
Mais concernant la liberté de la presse, un autre danger a fait son apparition depuis quelques années. La prédominance des réseaux sociaux ont permis depuis peu la naissance de nouveaux journalistes : bloggeurs, journalistes indépendants ou chaînes d’info sur Twitter, les réseaux sociaux sembleraient se présenter comme l’outil offrant une information indépendante, libre des systèmes éditoriaux précédemment décrits, et donc… vraie ! Or, il n’y a jamais eu autant de fake news depuis ces dernières années. Les réseaux sociaux sont sans doute un bel outil pour la liberté d’expression mais toute info diffusée sur ces flux n’est pas forcément bonne à prendre.
La presse est de plus en plus la cible de critiques alors qu’il y avait eu un élan de solidarité énorme après les attentats de Charlie Hebdo. Est-ce que la défiance a grandi au fil des dernières années ?
Oui, il y a défiance et méfiance envers la presse. Le complotisme, gavé par les réseaux sociaux, est l’une des sources de cette distance vis-à-vis des médias et de la presse. D’autre part, aujourd’hui, la presse doit non seulement assurer sa mission d’information, tout en vérifiant les informations qui circulent ailleurs, de plus en plus de service de check news se créent dans les principales éditions, et faire un travail de pédagogie pour expliquer. Expliquer qu’à certains moment, les faits relatés et vérifiés sont loin du story telling qu’on aurait voulu entendre. Un journaliste se doit de donner l’information qu’elle plaise ou pas. C’est aussi, à mon sens, ce qui dérange de plus en plus.
Dans la région, est-ce que le nombre de journalistes évolue positivement ou pas ? Existe-t-il une offre de presse importante par rapport au bassin de population ?
Avec ma vice-présidente, journaliste de métier, on s’est penché sur le site de la carte de la presse à l’échelle nationale. Si le chiffre est stable par rapport à l’année dernière avec environ 35 000 journalistes, on note cependant un nombre très – trop – important de salariés à la pige ou en CDD au détriment de postes en CDI. Un signe que le métier est de plus en plus précaire.
« La Loire est un département qui bénéficie déjà d’une belle couverture médiatique qu’elle soit radiophonique, écrite ou télévisuelle. Les Ligériens ont le choix ! »
Dans la région, il y a toujours eu de la place pour tout le monde et la Loire est un département qui bénéficie déjà d’une belle couverture médiatique qu’elle soit radiophonique, écrite ou télévisuelle. Les Ligériens ont le choix ! Mais les médias de la Loire doivent continuer à faire preuve d’originalité, de pertinence et d’attractivité dans leur format, leur ligne éditoriale ou les sujets proposés. La période était déjà compliquée pour les médias avant Covid, elle va l’être encore plus après. Alors, il n’y a qu’une chose à faire : innover. Proposer de nouvelles rubriques, des angles ou des formats différents, être à l’écoute des Ligériens, de leurs projets, des sujets qui les mobilisent et les bousculer en leur imposant d’autres sujets auxquels ils n’auraient pas pensé. Je pense qu’il faut laisser plus de place aux journalistes dans l’évolution du média, après tout, ce sont eux qui sont en contact direct avec la population et les “clients” qu’ils interviewent. Il faut casser les silos entre journalistes et commerciaux pour tisser plus de liens entre ces 2 services indispensables dans tous médias.
Qu’attendez-vous du procès des attentats de janvier 2015 ?
Qu’il soit suivi, médiatisé et expliqué notamment dans les établissements scolaires. La liberté de la presse et la liberté d’expression sont des droits fondamentaux en France ; il faut que les jeunes d’aujourd’hui comprennent cette chance et s’en saisissent. Hier après-midi, l’AFP signalait que “le Président du Conseil Français du Culte Musulman a appelé à “ignorer” les caricatures de Mahomet publiées à nouveau dans Charlie Hebdo et à penser aux victimes du terrorisme à la veille de l’ouverture du procès des attentats de janvier 2015”. Personnellement, je salue cette prise de position responsable et respectueuse de nos droits fondamentaux.