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lundi 29 avril 2024
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Casino : « Non, nous ne vivons pas un Manufrance bis »

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Il n’était pas question d’holdings, de négociations sur le capital, de garde à vue, de conciliation de dettes ou encore de lutte syndicale mardi à Casino. Mais de l’ajustement de sa stratégie commerciale. En pleine tempête financière, le groupe s’est ouvert non par communiqués mais directement, et ce n’est pas courant, aux médias ligériens. Objectif : démontrer que ses enseignes ne manquent pas d’atouts, qu’il a appris de ses erreurs, comprend l’évolution du marché et a entamé, bien avant cette année, une mue qui doit les ramener au rayon équilibre.

« Oui, nous baissons nos prix. C’est le message principal que j’ai souhaité adresser lors de l’assemblée générale du Groupe Casino. (…) nos équipes ne sont mobilisées que sur un seul objectif : la relance de notre dynamique commerciale. » Publiés il y a plus d’un mois sur les réseaux sociaux, les propos de Magali Daubinet Salen ont trouvé un nouvel écho, mardi, à Saint-Etienne. La nouvelle directrice générale des Enseignes Casino – dont le champ de responsabilité couvre les hypermarchés, supermarchés et Casino proximités* – a rencontré les médias locaux, aux côtés de son adjoint, Sébastien Corrado et de Melek Figuet, sa directrice RSE, affaires publiques et communication. Ce n’est pas courant.

Consciente de cette distance croissante qu’accentuent toujours plus les tourments financiers, les rumeurs, les alertes syndicales successives auxquels ne répondent que des communiqués maîtrisés depuis Paris pour ce qui concerne l’ensemble du groupe et ses informations boursières, Melek Figuet affirme qu’il s’agissait de montrer que « nous n’avons rien à cacher, au contraire ». Au menu : une dimension proximité avec la visite d’une supérette Vival de Saint-Martin-La-Plaine, finalement annulée ; la mue de long terme et les derniers ajustements appliqués au sein d’un hypermarché, ex Géant, pas rebaptisé « hyperfrais » pour rien il y a 10 mois, via l’exemple évident de Monthieu ; un déjeuner questions/réponses au siège et, enfin, une visite du travail de logistique aussi peu visible que décisif, argue le groupe, au centre de Saint-Bonnet-les-Oules.

Lors de la visite de l’hypermarché de Monthieu. Au centre, le directeur général adjoint des Enseignes Sébastien Corrado. A sa gauche, sa DG Magali Daubinet Salen. ©If Média/Xavier Alix

La fin du décrochage sur les prix

Notre impression est-elle faussée par notre attention davantage en alerte ? « Maxi lot », « Prix bloqués », « Petit prix », « Maxi éco » : certes, pas étonnant dans un hypermarché mais, dans les rayons de Monthieu, écrans, panneaux et autres affichettes à flèches centrés sur l’info prix nous semblent particulièrement nombreux, attirants et insistants. Quand il ne s’agit pas de développer les avantages que procurent une carte fidélité ou un abonnement. « Vous seriez venu il y a quelques mois, il y avait encore plus d’éléments, trop de messages même. On a fait le ménage mais surtout par rapport à la promotion de nos opérations commerciales. Car oui, ce que vous voyez aujourd’hui correspond effectivement à nos orientations actuelles sur les prix. » Subissant une érosion structurelle du chiffre d’affaires des ventes retail en France aux allures inexorables et confirmée en 2022, Casino a annoncé au début du printemps une baisse de prix sur 10 000 références en hyper, 20 000 en super : – 10 % en moyenne.

Nous avions espéré compenser par l’intensification d’opérations commerciales. Mais les consommateurs ne font pas le calcul comparatif et ne voyaient, logiquement, que des prix d’articles supérieurs.

Magali Daubinet Salen, DG des Enseignes Casino

Magali Daubinet Salen reconnait volontiers qu’il s’agit là de la fin d’un décrochage à ce niveau vis-à-vis de la concurrence ayant eu tendance à s’accentuer mais aussi que les premières réponses n’étaient pas les bonnes : « En 2022, il y a eu, pour le secteur de la Grande distribution, quatre négociations par rapport aux fournisseurs et l’inflation contre, habituellement, une seule fin février et appliquée dès mars pour un an. Nos concurrents n’ont pas appliqué la dernière négociation de 2022, contrairement à nous, amenant cette augmentation supérieure des prix. Nous avions espéré compenser par l’intensification d’opérations commerciales comme sur le carburant, des remises etc. Mais avec l’inflation persistante, les consommateurs ne font pas le calcul comparatif et ne voyaient, logiquement, que des prix d’articles supérieurs. Nous avons donc revu ça. »

Un « frémissement » dans les hypers

Ce qui s’est aussi traduit par le doublement de l’espace consacré à l’entrée de l’hyper aux produits Leader Price (dont les magasins ne relèvent pas de la division Enseignes Casino), « 40 % moins chers en moyenne que l’équivalent d’une marque nationale », et une mise en évidence plus poussée des produits de marque de distributeur (MDD) Casino, d’ailleurs sortis du travail de R&D au sein du siège de Châteaucreux. Revendiqués « de qualité », ceux-ci représentent 23 à 30 % des codes-barres passant à la caisse de Monthieu. Enfin, parallèlement, une chasse aux économies, celle interne, traque les « démarques ». Derrière, le terme qui recouvre aussi le porté disparu (erreur de gestion, sinon vols), il y a aussi la péremption. « Nous avons mis en place des systèmes d’informations automatisés pour que la mise en rayon soit informée en temps réel, et très précisément sur ce qui approche de la date limite et où cela se situe », précise Sébastien Corrado directeur général adjoint des Enseignes Casino. Des pistes d’économie, Casino en explore d’autres bien sûr : « Sur la logistique par exemple, le remplissage plus rationnel des camions. »  

Tout cela avec succès ? La relance du modèle est-elle déjà là ? Il est trop tôt pour le mesurer à échelle micro, celle de Monthieu par exemple qui emploie 166 personnes (133 équivalents temps plein) et ses 43 M€ de chiffre d’affaires (CA) en 2022 pour 20 000 à 23 000 clients par semaine. Pas plus que nous aurons des précisions sur l’évolution de son CA depuis 2010 et depuis 2015 avant sa dernière transformation majeure : « Trop dur à comparer au regard des évolutions, qu’il s’agisse du comportement des consommateurs ou du format de cet hyper et son offre. Et nous envisageons les résultats des hyperfrais dans leur globalité ». Alors quel résultat des dernières mesures à cette échelle macro ? « Nous constatons déjà au niveau des supermarchés une nette reprise du trafic alimentaire par rapport à 2022. Au niveau des hypers, nous n’y sommes pas encore mais il y a malgré tout un léger frémissement depuis quelques semaines », répond Magali Daubinet Salen.

Une mue entamée il y a 10 ans

Si des ajustements majeurs sur les prix viennent de s’appliquer, la mue du positionnement d’un hypermarché comme celui de Monthieu ne date, elle pas d’hier, ni même du printemps ou de l’hiver dernier. Une évolution générale dont l’établissement emblématique stéphanois, 51 ans, est un témoin depuis le milieu de la dernière décennie. Sexagénaire, lui, le modèle hyper n’était déjà plus en odeur de sainteté quand le Covid est venu accentuer la tendance. Ici comme ailleurs, la volonté de le changer et les nouvelles recettes appliquées ont été couronnées par une nouvelle appellation. Voilà bientôt un an, le groupe annonçait officiellement que ses 61 « Géant Casino » étaient rebaptisés « Casino #Hyper Frais », appliquant le principe en septembre dernier à Monthieu. Une ambition plus qu’un nom : voir les produits frais représenter 50 % des produits en rayon à terme contre 40 % actuellement (et moins de 35 % il y a un an). Signalons cependant que Casino place aussi ses surgelés dans cette catégorie.

Le changement de noms des Géants en #HyperFrais n’est pas anecdotique dans la stratégie. ©If Média/Xavier Alix

Reste que la politique marketing autour de ses boulangeries, produits traiteurs, fromages, fruits et autres légumes cherche, au-delà des questions de prix, à épouser les évolutions sociales. Comme vu ailleurs depuis longtemps, par exemple dans des établissements type Intermarché ou Super U, on met davantage avant ce qui découle d’une provenance locale, avec des informations personnalisées sur les fournisseurs qui ne travaillent pas trop loin de chez vous (quand il est avantageux le kilométrage est parfois donné). Côté produits, des fiches pédagogiques et autres « baromètres de saisonnalité » se multiplient. Casino renonce d’ailleurs à vendre, tout en l’expliquant, ce qui est jugé « abusivement » hors saison. Finies les fraises de décembre à février (la pleine saison de récolte est censée se situer majoritairement entre avril et juin mais peut aller au-delà).

La taille, ça compte aussi

Mais le frais, c’est aussi pour Casino le développement toujours plus poussé de ses « corners », ces boutiques au sein de sa boutique. Qu’elles soient sous-traitées, comme ces stands traiteurs – salades Vertus et Sushi – destinés « au midi » qui attirent tant de clients, et donc de potentiels chalands pour ses rayons classiques. Sinon, ceux possédés en propre. Comme la pâtisserie de Monthieu qui fabrique sur place artisanalement, et paraît-il, cartonne, aussi bien pour son gout que ses prix, comme nulle part ailleurs dans les Casinos d’Auvergne-Rhône Alpes. Du frais, du corner, de la proximité, davantage d’alimentaire certes. Mais la taille, ça compte aussi. Le gigantisme ne sied plus aux consommateurs même si Casino n’a jamais poussé jusqu’à des 17 000 ou 18 000 m2 comme Carrefour ou Leclerc. Avec l’ouverture de la galerie commerciale actuelle en 2016, le Géant devenu Hyperfrais de Monthieu est ainsi passé de 9 400 à 8 000 m2, suivant une politique générale enclenchée dès le début des années 2010.

Il ne reste plus qu’une douzaine d’hyper sur 61 à dépasser la barre des 8 000, beaucoup s’approchant désormais du seuil des 5 000 m2 et quelques. En raison de son offre peut-être trop dispersée, c’est le non alimentaire qui en a fait les frais passant ainsi de 30 % à 20 % du contenu vendu à Monthieu. Ce qui n’empêche pas de tenter l’évolution et l’extension du non alimentaire faisant encore mouche, à l’image, ici, de ces rayons pharmacie / parapharmacie sous traités et agrandis début décembre ou encore ce partenariat en place, lui, depuis 3 ans avec C&A pour tout ce qui touche au prêt-à-porter. Toutefois, pour rappel, si Monthieu n’est pas concerné, Firminy oui : d’ici la fin de l’année, une dizaine d’hyper passeront sous le contrôle des Mousquetaires et 47 supermarchés (sur 424) aussi. Avant une autre vague de cessions plus tard portant leur nombre total à 119.

La relance entamée doit aboutir dans 2 ans

« Le choix dans les deux cas a été orienté sur des établissements plus vétustes, plus en retard dans leur mue et/ou les plus déficitaires, mais aussi en privilégiant les zones géographiques où nous sommes les moins forts, là où nous avons moins de maillage. Historiquement, nous sommes plus implantés en Auvergne-Rhône-Alpes, dans le Sud de la France et en Ile-de-France », précisait Sébastien Corrado lors du déjeuner ayant suivi la visite de Monthieu au siège de Châteaucreux. Il y a une semaine pile, devant l’entrée du fameux paquebot, les syndicats CGT, CFDT et UNSA manifestaient l’inquiétude des salariés quant à l’avenir du groupe et d’une « vente à la découpe » qu’ils redoutent, la présence du siège social à Saint-Etienne (plus de 1 900 personnes rattachées, commerciaux itinérants compris), l’emploi en général au milieu de cette tempête.

Je comprends tout à fait les interrogations et les inquiétudes que le contexte suscite. Mais non, nous ne sommes pas en train de vivre un Manufrance bis.

Magali Daubinet Salen, DG des Enseignes Casino

« La remise en cause du siège à Saint-Etienne n’est pas un sujet dans le cadre des négociations du groupe, assure Magali Daubinet Salen. Et le transfert de salariés dans le cadre de nos cessions ne menace pas leurs emplois. Je comprends tout à fait les interrogations et les inquiétudes que le contexte suscite. J’ai encore rencontré les représentants du personnel et les directeurs de magasins la semaine passée. Mon rôle à moi et de mes équipes est d’emmener tout le monde sur une relance commerciale, des actions, de quoi être prêts à se battre pour reconquérir les clients. Nous avons 2 ans pour y parvenir dans nos objectifs. Mais nous ne sommes pas en train de vivre un Manufrance bis comme j’ai entendu. Il y a des faiblesses oui qu’il convient de corriger, ce que nous sommes en train de faire, comme le fait que nous étions devenus trop chers. Nous sommes à nouveau dans le match et Casino conserve aussi des forces. Le groupe reste la première enseigne de France de distribution pour ce nombre de magasins très bien positionnés géographiquement en raison de nos 125 ans d’Histoire. »

Le modèle Proximités va bien

Originaire de la Loire, à Casino depuis 16 ans, Magali Daubinet Salen a succédé à Tina Schuler début avril. ©If Média/Xavier Alix

Nommée en avril, en remplacement de Tina Schuler dont elle était jusque-là l’adjointe, la dimension « locale » du profil Magali Daubinet Salen, 46 ans, fille de l’ex député forézien Paul Salen, est sans doute un atout vis-à-vis du climat social ambiant. Diplômée de l’ESC Clermont , elle est revenue à Saint-Etienne en provenance de Paris où elle occupait des postes de contrôleuse de gestion pour rentrer chez Casino voilà 16 ans. Elle n’a pas hésité une seconde sur la proposition de promotion, son 6e poste dans la maison : « Oui, c’est un signal fort du groupe de nommer quelqu’un de Saint-Etienne. C’était dans la logique des choses, j’ai accepté en toute connaissance de cause vis-à-vis d’un contexte financier qui n’est de toute façon pas mon sujet : mon job, c’est que ça tourne dans les magasins. » Et pas seulement dans les gros. La nouvelle DG met en effet dans la balance la bonne santé et la progression du modèle proximités.

Si seulement cinq d’entre eux sur 6 300 seront cédés aux Mousquetaires dans la première vague d’ici fin 2023, ce n’est pas pour rien. 2022 a été une année marquée par plus de 700 ouvertures de points de vente dans cette catégorie où règne la franchise à plus de 90 %. « Nous ne sommes pas ultra exigeants avec les franchisés, il n’y a pas de droit d’entrée et nous leur apportons de nombreux services supplémentaires à offrir à leurs clients qui dans des milieux ruraux ou périurbains sont de gros atouts : colis ou bureau de Poste par exemple. Cette réussite est aussi possible en raison d’une logistique très efficace, un autre atout du groupe. » Le message est clair : le navire ne coule pas, il y a un capitaine à bord qui suit résolument un cap. Pas de quoi rassurer, en revanche, les actionnaires. Ce jeudi 29 juin, on apprenait que à la suite des annonces du groupe, la veille, depuis Paris – « quel que soit le plan de restructuration final (de la dette), « les actionnaires de Casino seront massivement dilués » -, l’action perdait 32,27 % pour tomber à un historiquement bas 5,07 €. L’avenir cependant ne se joue pas forcément qu’au rayon bourse…

* Casino shop, Spar, Spar supermarchés, Vival, Petit casino, enseignes très souvent franchisées. Sous sa responsabilité aussi, les Casino Express que l’on retrouve en stations-services. Franprix, Ledear Price ou encore Monoprix n’en font pas partie et son sous une autre responsabilité.  

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