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dimanche 28 avril 2024
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Casino : un nouveau Manufrance sur le tapis

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©XA/ If Saint-Etienne.

La direction Distribution Casino France (DCF) clamait le contraire il y a encore quelques mois. C’était en juin et cela semble déjà une éternité. Les syndicats et les salariés, eux, n’y croient plus. L’annonce en fin de semaine dernière, sortie d’abord dans la presse, d’une vente bien plus massive que prévu à la concurrence des hypers et de supermarchés du groupe Casino dont l’existence même de la marque semble maintenant menacée, a été celle de trop. Ce mardi matin, marque le début d’une mobilisation dans la rue. Le feuilleton financier suivi depuis des mois vient probablement d’accoucher d’un « spin-off » social qui sera long. Épisode 1…

Par Xavier Alix & Julie Tadduni

« Aucun commentaire ». Du moins, précise la communication « groupe » Casino, contactée par If Saint-Etienne, pas avant la réunion devant se tenir ce jeudi 7 décembre avec les syndicats et le consortium de reprise. « Ils auront naturellement la primeur de ce que la direction aura à leur dire. » Voilà qui va changer des habitudes prises avec les intéressés, selon la version de ces derniers. FO, CFE-CGC, UNSA, CGT… Tous les représentants syndicaux de Casino que nous avons interrogés ces derniers mois, sinon ce matin, l’ont dit, le disent et le redisent : « Les infos ? Vous les médias, les avez systématiquement avant nous. On ne reçoit pas les communiqués financiers en même temps que vous. Il n’y a aucun dialogue réel. Les hauts cadres, les directions en place Saint-Etienne, eux aussi semblent complètement désinformés, perdus. Au mieux, on est prévenu des dernières évolutions un quart d’heure avant que ça sorte dans la presse. Ce manque de respect, c’est comme ça. Depuis le début. » Le ras-le-bol, l’impression « d’être baladés » ont atteint un point de non-retour la semaine dernière à l’annonce d’une seconde vague de ventes d’hypers/supers, allant bien au-delà de ce que prévoyait le plan présenté à la fin du printemps.

Ce mardi matin, devant le siège, avant le départ du cortège de l’intersyndicale. ©If Média / Xavier Alix

De quoi mettre sur le pied de guerre, en quelques jours, une intersyndicale – CFDT, FO, CFE-CGC, UNSA et CGT – unanime sur le constat et les actions à entreprendre. Cette fois, c’est un appel à la grève générale au sein de Casino France – sièges de Saint-Etienne mais aussi de Vitry, de Clichy (filiales logistiques), personnels des magasins qu’ils soient petits ou géants, franchisés ou non, etc. – qui a été lancé. Cela jusqu’au 31 décembre. Grève doublée d’une mobilisation, dans la rue à Saint-Etienne (un rassemblement était aussi prévu devant le siège de Vitry en Ile-de-France) à laquelle tous les Ligériens étaient invités ce mardi 5 décembre. La consigne de rassemblement avait été donnée à 9 h devant le siège de la gare de Châteaucreux, cet immense paquebot auquel sont rattachés jusqu’à 2 500 salariés, même si entre 1 500 et 2 000 y travaillent réellement au quotidien. Dans cette ambiance multi étendards et multicolore – bleu, blanc, rouge, orange – à laquelle nous a familiarisé un semestre entier de manifestations contre la réforme des retraites, le cortège est ainsi parti manifester en direction du centre-ville, l’hôtel-de-ville, la préfecture.

3 500 à 4 000 emplois menacés directement dans la Loire

850 personnes selon les services de l’Etat, près de 2 000 selon les syndicats, la plupart travaillant d’une manière ou d’une autre par Casino : on est encore loin, très loin des manifestations monstres de Manufrance d’il y a 40 ans. Mais très près, en revanche, d’une situation analogue à en croire les manifestants : c’est-à-dire celle d’une casse sociale monstrueuse pour l’emploi. Ce traumatisme de première ligne, s’il se vérifie, se doublera d’un autre, pour l’ensemble du territoire ligérien, que l’on ait travaillé ou non « chez » Casino : la disparition d’une identité économique locale de premier plan, vieille de 125 ans qui a résisté aux pertes industrielles stéphanoises et ayant même incarné une certaine fierté. De nos jours, environ 50 000 personnes travaillent pour le groupe en France dont 5 000 en Auvergne-Rhône-Alpes, ce qui en fait un des premiers employeurs privés, probablement le premier dans la Loire avec de 3 500 à 4 000 collaborateurs sur le département, toutes activités confondues. Mais combien d’emplois sont en fait indirectement menacés dans le département ne serait-ce qu’en cas de réduction de l’activité de Casino ? Cela fait des années que les syndicats dénoncent la stratégie commerciale et l’étiquette qui colle en conséquence à Casino : « cher ! ». Politique prolongée en plein contexte inflationniste, souligne Richard Ramos, représentant FO d’Easydis, filiale logistique du groupe.

Pourquoi maintenant ? Parce que nous avons, hélas bien voulu croire aux plans annoncés avec l’arrivée de Kretinsky. C’était déjà douloureux, mais cela était censé permettre d’enfin passer ce cap. Et on y a crû…

Richard Ramos, représentant FO d’Easydis

La peau des entrepôts de Casino – 12 sites en France dont ceux de Saint-Bonnet-les-Oules et Andrézieux-Bouthéon –, ce syndicaliste n’en donne pas cher. « On paie plein pot l’inertie de la direction sur les prix. Alors, oui, ils les ont enfin bougés à la fin du printemps. Mais beaucoup trop tard : il faudrait 18 mois pour retourner l’esprit des consommateurs. On n’a pas ce temps-là devant nous.» Parallèlement, il y a eu « cette succession de manœuvres financières sur plusieurs années pour assainir les comptes sans le résultat escompté. Les 2,3 Md€ obtenus en 2016/2017 en se séparant de l’Asie du Sud-Est, la vente du siège de Saint-Etienne (pour en devenir locataire, Ndlr) puis plus récemment les 4,5 Md€ du plan Rocade. Tout cela, en fait, c’était déjà du démantèlement. Naouri fait dans le dépeçage depuis 8 ans. » Alors, pourquoi une mobilisation générale seulement maintenant ? N’est-il pas déjà trop tard ? « Pourquoi maintenant ? Parce que nous avons, hélas bien voulu croire aux plans annoncés avec l’arrivée de Kretinsky. C’était déjà douloureux, il y avait des ventes injustifiées mais cela était censé permettre d’enfin passer ce cap. Et on y a crû. On a avalé ces couleuvres, on a essayé de digérer. Mais là, on ne peut plus, ça ne passe plus », se désole le représentant FO.

Le sentiment d’une profonde trahison

Une réponse en écho exact à celles de ses collègue UNSA et CFE-CGC confrontés à la même question. La nouvelle vague de ventes massives envisagée par Casino et les repreneurs de son capital, révélée en fin de semaine dernière, peu après l’annonce du remaniement du plan de redressement, par La Lettre, a été interprétée comme une trahison profonde par l’ensemble des syndicats vis-à-vis des discours entendus jusque-là. Pour rappel, selon nos confrères nationaux, après que Casino ait missionné début novembre la banque Rothschild pour une seconde vague de ventes bien supérieure à la première présentée au printemps, « la plupart des distributeurs, à l’exception de E.Leclerc, ont cherché, et réussi, à s’unir pour proposer une offre de reprise globale de l’ensemble des 50 hypermarchés et 290 supermarchés sous enseigne Casino encore disponibles. Seul Carrefour n’est pas parvenu à trouver de confrère avec lequel s’allier ». Un duo Auchan-Intermarché est ainsi aux premiers rangs. Leur intérêt ? Augmenter leur force de frappe commerciale, qui plus est au regard des emplacements dits « premium », historiques, des surfaces Casino. Ainsi que leurs poids vis-à-vis des fournisseurs : reprise des Casino comprise, leur alliance représenterait 28 % de part de marché cumulée à comparer des 23,7 % du – pour l’instant – leader E. Leclerc.

Ce manque de constance, cette absence de loyauté et même d’informations sont profondément choquants.

Didier Marion, représentant CFE-CGC

Une alliance Lidl / Super U s’ajoutant aux offres, avancée dans un premier temps par La Lettre a été, en revanche, démentie. Leclerc, Carrefour, Aldi auraient aussi, de leurs côtés, déposé des offres partielles. Pour La Lettre, au sein de Casino, les choses se sont précipitées ces dernières semaines : « La trésorerie est tellement abîmée que c’est maintenant plus de 2 Md€ qui devront être réinvestis ».  Dans ces conditions, les syndicats ne croient plus une seconde à ce qui est censé être l’obsession numéro une des dirigeants, Jean-Charles Naouri en tête : le maintien des emplois et du siège stéphanois, soulignés à plusieurs reprises y compris pour défendre une vente des parts dans le cadre du projet Kretinsky. Mais avec la perspective de perdre autant d’enseignes, si ce n’est la disparition de la marque elle-même, comment désormais imaginer, a minima, le maintien de l’ensemble des entrepôts logistiques situés dans la Loire et ailleurs ? Ainsi que de l’ensemble des « fonctions supports » à Châteaucreux ? Probablement habillées d’un indécent écran de sobriété dénommé « synergies », les suppressions de postes risquent de tomber. « Ce n’est jamais trop tard pour se mobiliser, ose toutefois espérer Didier Marion, représentant CFE-CGC. Mais oui, ce manque de constance, cette absence de loyauté et même d’informations sont profondément choquants. »

« Au gouvernement aussi, ils ont menti »

A ses côtés Henri Bezerka. Le secrétaire fédéral national de la branche agroalimentaire est descendu à Saint-Etienne pour cette mobilisation et renchérit sur le climat social subi : « On a l’habitude de se dire, et d’être décrits, comme des gens responsables dans les échanges, les négociations, non ? Alors, effectivement, nous étions prêts à les accompagner sur les mesures annoncées pour que le groupe s’en sorte le mieux possible malgré des erreurs stratégiques. » Or, poursuit-il, « on constate brusquement, via la presse, que l’on nous a caché des choses et cela, délibérément. C’est ça le dialogue social prôné ? Le respect mutuel, c’est la base du dialogue. Il n’y en a pas avec eux.» Selon Didier Marion, la direction pousserait le « vice » jusqu’à tenter de minimiser la mobilisation en maintenant les charges de travail malgré les absences du coup non payées des salariés grévistes, ceux étant au forfait horaire type cadres notamment. « Rappelons que la promesse du maintien du siège stéphanois, de la préservation des emplois a été faite à Bercy (le ministère de l’Economie, avec, à la clé, dit la CFE-CGC des lignes de crédits ayant obtenu des garanties d’Etat Ndlr) même cet été. A Emmanuel Macron, à Bruno Le Maire, au gouvernement aussi, ces gens-là ont menti, souligne, lui, Frédéric Buisson, délégué adjoint UNSA de Casino. Ras-le-bol que notre direction RH, ce soit la presse ! Que va-t-on encore apprendre d’ici le 20 décembre censé être le jour de validation du projet de reprise ? Ils ont berné tout le monde. La réalité, c’est qu’ils sont en train d’écrire la fin de Casino, de son histoire. »

Ras-le-bol que notre direction RH, ce soit la presse ! Que va-t-on encore apprendre ? La réalité, c’est qu’ils sont en train d’écrire la fin de Casino, de son histoire. 

Frédéric Buisson, délégué adjoint UNSA de Casino

Arrivé place hôtel-de-ville, le cortège a vu ses leaders syndicaux reçus en mairie. Avec, à ses côtés, Jean-Pierre Berger, 1er adjoint au maire (et… ex DRH de Casino !), et Quentin Bataillon, député Renaissance de la Loire, le maire Gaël Perdriau a échangé plus d’une heure avec eux. Il leur apporte son « soutien » dénonçant, aussi, « le manque de transparence sur le projet des repreneurs » qui « crée de légitimes inquiétudes en termes d’emplois au siège social mais également dans les magasins et les entrepôts du groupe, et si l’engagement de garder un siège social à Saint-Etienne est fort, celui-ci n’est pas suffisant car il faut que ce siège soit animé des 2 000 emplois qui, aujourd’hui, font vivre le groupe. Il convient de clarifier la situation en demandant au gouvernement qui a des possibilités d’actions, de prendre à bras le corps ce dossier concernant plusieurs dizaines de milliers d’emplois en France. Je veux d’ailleurs ici remercier le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire (il aura un entretien avec celui-ci vendredi, Ndlr), qui à la table des négociations de reprise du Groupe, a accepté de geler la dette sociale de Casino, s’élevant à 300 M€. »

Lundi, le tribunal de commerce de Paris est censé donner un verdict sur le prolongement de deux mois de la procédure de sauvegarde accélérée. Ce qui reporterait à fin février, selon la CFE-CGC, la validation de l’ensemble des décisions : l’évolution du capital, objet d’un feuilleton depuis des mois. Et aussi, forcément liée, cette offre de reprise d’enseignes à réalité très augmentée.  

« Nous avons appris que la dette serait plutôt de l’ordre 10 à 12 milliards d’euros »

Trois questions à Didier Marion, représentant CFE-CGC :

Vous sortez d’une réunion avec la direction. Qu’avez-vous appris ?

« Il y a un rendez-vous planifié à Paris à 14 heures jeudi 7 décembre, où nous devrions rencontrer deux membres du consortium, avec deux membres du Comex. On attend de cette rencontre que le repreneur exprime clairement ce qu’il compte faire, qu’il nous dise pourquoi il rachète. Et si l’on part sur cette option, qu’en sera-t-il du siège et des entrepôts ? ».

Vous avez été également reçu par le maire de Saint-Etienne, Gaël Perdriau ce matin, en présence du député de la Loire Quentin Bataillon. Que vous a-ton dit ?

« Gaël Perdriau partage nos inquiétudes et nous a annoncé être impuissant. D’autant que nous avons appris par Quentin Bataillon que la dette serait plutôt de l’ordre de 10 à 12 milliards d’euros et que la cession serait très certainement validée le 20 décembre. Il tient ces informations d’une rencontre avec le consortium et avec des membres du Gouvernement. Sachant que le consortium doute des chiffres qui lui ont été communiqués au mois de juillet ».

Quel est votre sentiment après cette mobilisation ?

« Malheureusement, nous avons dû en arriver là pour obtenir un rendez-vous. On a été floués par des informations qui étaient trop rassurantes. Bien sûr, on souhaite cette rencontre. Nous sommes prêts à tout entendre, mais ce que l’on ne veut pas , c’est que les choses se fassent en catimini, pour que l’on puisse accompagner au mieux les salariés vers cette chose qui nous semble inéluctable ».

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